Essai Kawasaki ZX-6R
Question de taille
4 cylindres en ligne, 636 cm3, 130 ch, 70,8 Nm, 196 kg pleins faits, 11.699 euros
Alors que tout le monde s’accorde pour remiser la catégorie 600 Supersport dans les manuels d’histoire de la moto, puisque seules les 1000 et les moins de 500 cm3 trouvent grâce aux yeux des constructeurs (l’époque est au grand écart, parfois aux extrêmes…), Kawasaki vient de ressortir la ZX -6R de son chapeau vert. S’il ne s’agit pas vraiment d’un tout nouveau modèle - il utilise le même moteur 636 cm3 et la même partie-cycle que le modèle retiré des ventes en 2017- il reçoit quelques ajustements astucieux, sans oublier la version performance avec son pack d'accessoires. Au point que cet essai a réveillé la vieille question, au centre de tout : la taille importe-t-elle ?
Découverte
Avant de répondre à cette cruciale interrogation, redécouvrons la guêpe. Car c’est presque en catimini que la ZX-6R nous revient. D’habitude, les marques organisent des présentations à la presse pour donner un coup de « boost com’ » à leur nouveauté, mais cette fois rien en France. Même s’il ne s’agit pas d’une toute nouvelle moto, ce genre d’événement permet de dire « Ohé, la ZX-6R revient ! » et les concessionnaires apprécient, même si les clients de ce genre de sportive se raréfient chaque année (environ trois cents sportives 600 cm3 se sont vendues en France en 2018). Aux Etats-Unis, marché évidemment plus important que le nôtre, une telle présentation a eu lieu, en octobre dernier, à Las Vegas, réunissant journalistes et concessionnaires. Personne ne s’est ému quand les ingénieurs ont détaillé les quelques évolutions de la ZX-6R 2019, des clameurs se sont en revanche envolées quand le responsable com’ a parlé du prix. Nous aurions pu en faire autant en France : la ZX-6R coûte aujourd’hui 11.699 euros, soit quasiment 2 000 euros de moins qu’en 2016. Elle vaut ainsi 1 000 euros de moins que les Z 1000 et Z 900 RS, alors que sa technologie (cadre, électronique…) est plus évoluée. Surtout, elle s’affiche 2.300 euros moins chère que sa grande rivale (remarquez qu’il n’en reste plus beaucoup…), la Yamaha R6. Sorte de coup de poignard tarifaire. Si chaque sportive contemporaine est un diamant technique, là, c’est le service comptabilité qui s’est offert la vedette.
Qu’offre-t-elle pour ce prix ? Le plus flagrant reste le nouvel habillage, à mi-chemin entre Ninja 400 pour la partie avant et ZX-10 R pour l’arrière, sorte de demi-tronçon de chacune, harmonieux tout de même, l’œuvre de Miki Nagase, le designer de Kawasaki depuis cinq ans. Le tableau de bord aussi est nouveau, bourré de petites barres numériques, mais heureusement, le tachymètre reste clair et traditionnel.
Tout l'éclairage est maintenant à LED.
Subtilité propre à la Kawa, la serrure sous le flanc arrière ne déverrouille pas la selle passager, mais la selle pilote, sous laquelle on trouve un petit câble sur lequel on tire pour cette retirer la seconde selle… A l’ancienne. Mais à 11 699 euros, on ne va pas pleurnicher pour ce genre de fadaise.
Nouveauté 2019, le shifter, uniquement pour monter les rapports (et non pas le ‘up and down’ réservé aux déesses 1000), un antipatinage réglable selon trois niveaux et toujours deux modes moteur, dénommés F pour Full et L pour Low. Ce dernier mode ne change pas la puissance mais la façon dont elle se délivre, avec progressivité. Laquelle puissance reste sensiblement la même qu’avant, malgré les nouvelles normes Euro4. Si l'alésage et la course des pistons, le taux de compression ou le nombre de soupapes (seize) n'ont pas changé par rapport à la version 2016, l’injection si : le mélange gazeux est désormais distillé par des corps de 38 mm, avec double injecteurs. L’échappement a été modifié en conséquence. L’attention des motoristes s’est portée vers le couple, qui n’est pas le point fort de ce style de mécanique et on verra qu’ils ont plutôt bien bossé. Autre petite modif’ a priori anodine, le pignon de sortie de boîte de vitesses a perdu une dent (cela correspond environ à trois dents de plus sur la couronne), ce qui change pas de mal de choses, on le verra aussi.
La grosse fourche Showa Big Piston n’a pas bougé, réglable en hydraulique et ressort, tout comme l’amortisseur. La triangulation de la position de conduite n’a pas changé non plus, mais le nouveau réservoir donne la sensation de mieux enserrer la moto. Détail, le levier d’embrayage se règle aussi, encore une question de taille, de main cette fois.
En selle
Je redoutais un peu ce moment, sachant que j’allais passer quinze jours de ma vie quotidienne avec la ZX-6R. Je la regarde, les fesses en l’air, les bracelets bien bas, je jette un dernier œil humide pour ma placide CBF 600 et son guidon droit, je me lance. Lever de patte droite, passage au-dessus de la selle arrière, le pied gauche en pointe sur le sol (selle à 830 mm de haut oblige), j’avais oublié cette danse, seulement une semaine après avoir quitté une petite Yamaha R3. Je me cale, comme si j’entrais dans une boîte, les genoux plaqués au réservoir, les bras à demi pliés.
Le compte-tours m’impressionne tout de suite, plus accueillant celui-là : la zone rouge débute à 16.000 tr/mn ! N’importe quel 500 deux-temps des années 80 en aurait rêvé. L’embrayage tout doux apaise mes craintes, le shifter m’étonne. Les vitesses passent facile, sans toucher à l’embrayage, même à 3 000 tr/mn, la poignée de gaz à peine ouverte. Premières bosses et dos d’âne (la plaie contemporaine), nouveau sourire, les suspensions semblent d’une grande qualité, amortissant avec progressivité, même à basse vitesse. C’est pour moi l’un des critères essentiels avec ces dingueries de la route, la qualité des suspensions. Jamais deux sans trois (je ne sais plus à combien de bonnes nouvelles j’en suis), encore une belle surprise, le moteur souple, pas creux, presque rond, plus en tout cas que celui de ma routière Honda. J’espérais en revanche une maniabilité supérieure en ville ou en se faufilant. Fidèle aux préceptes sportifs, la ZX-6R se manie d’un bloc, elle ne virevolte pas, elle s’engage, entière. Le pneu arrière de 180, un standard pour n’importe quelle moto de moyenne cylindrée aujourd’hui, reste trop large à mon sens.
Je sais par expérience (l’âge…) que la découverte d’une moto se fait en plusieurs étapes. J’écourte cette première rencontre, m’arrête après une trentaine de bornes, passe un coup de fil etc. Je reprends le guidon, seconde saveur, je commence à me faire à la position. Quand ça roule, elle se supporte, à moins de 60 km/h, elle rend dingue. Plus loin, là où le peuple se fait rare, la ZX-6R s’exprime, sans qu’il faille en venir aux sueurs froides ou coups de chaud.
Autoroute
L’A13 promet les déserts verts de la Normandie. Elle n’est pas très encombrée aujourd’hui, je commence à me poser à 130 km/h, le compte-tours est à 8.000 tr/mn ! Le pignon de sortie de boîte avec sa dent en moins l’explique, ça ne va pas faire les affaires de la consommation, ça. La bulle ne protège pas grand-chose, heureusement que je ne mesure qu’1m67 ; les géants, oubliez la ZX-6R et même toute sportive en général, ou offrez-vous une bulle de type Tourist Trophy ou endurance, courbée et relevée, ça fait classe et ça abrite. Première station-service, je calcule vite fait la conso, on a dépassé les 7 litres pour 100 km, en se traînant aux limites…
Plus loin, les engourdissements menacent, j’alterne entre les appuis sur les bras pour soulager les jambes et l’inverse. Sur une sportive, on fait du sport, du gainage, même à 140 en ligne droite. Je me distrais en testant la souplesse du moteur sur le sixième rapport, assez bluffante. La 636 s’est toujours distinguée par sa rondeur (grâce à la course de ses pistons pas trop courte), son supplément de muscle à mi-régimes, un vrai truc du plaisir quotidien, parce qu’on n’a pas toujours le moral pour tirer les rapports à la limite chaque jour que Dieu (ou un autre) fait. Bon allez, basta, je sors du couloir, direction Pont-Audemer.
Départementale
Voilà, ça c’est d’la route. Une petite langue grise en mouvement, des champs sur les bords, visibilité nette, tant pour les tracteurs que pour les radars. J’ai une grande confiance dans les Bridgestone S22, monte d’origine de la ZX-6R. Ils ne trahissent pas mon sentiment. La partie-cycle est prodigieuse, le train avant rassure, envoie les infos façon Twitter, il reste stable, pas de mouvements bizarres ni de sensation de lourdeur (on parle aussi de train avant qui « engage », bien qu’il n’engage pas à tenter le diable), digne d’une sportive de route. Il est possible que sur circuit la ZX-6R manque un peu de vivacité, on vérifiera un jour, mais pour la route, pour nous autres quoi, c’est parfait. L’association entre pneus de qualité et suspensions de très haut niveau ne trompe jamais.
Et je pense à ce moment à une grosse 1000, ZX-10R ou GSX-R et je suis incapable de dire ce qu’elles ont de plus, à part coûter le double de la ZX-6R. On en vient à la taille. Franchement, sur une départementale normande ou corse, auvergnate ou cévenole, qui croit qu’une 1000 donnera plus de plaisir, moins de fil à retordre qu’une 600 comme cette Kawa ? Tout de suite, je ne troquerai pour rien au monde la 636 contre n’importe quelle grosse, fusse-t-elle Panigale V4 ou MV Agusta F4. Et la sonorité aiguë du « petit » quatre cylindres, qui frise les 14.000 tr/mn, à grands coups de passages de rapports au shifter, contribue à refonder toutes les dimensions habituelles. Là, ça va vite, ça hurle, ça donne envie de gueuler de joie, c’est une autre dimension, au-dessus des autres, un tout petit peu au-dessus, mais on la survole quand-même, comme un avion de chasse en rase-motte.
Il n’est pas question d’efficacité, une 1000 ira toujours plus vite qu’une 600 (voyez les chronos de petits circuits comme Croix-en-Ternois ou Carole) mais d’un pêle-mêle de sensations, entre légèreté et puissance, stridences et adrénaline, les 600 sont géniales ! Ça me rappelle ma ZXR 400, il y a 25 ans, intraitable dans les S de Pourville (seuls les Dieppois comprendront), ridiculisant les bêtement lourdaudes FZR 1000 ou GSX-R 1100. Question de taille ? La légèreté est LE luxe à moto, les nostalgiques du deux-temps vous en parleront. Les chiffres parlent peu : 196 kg tous pleins faits annoncés pour la ZX-6R, seulement 10 kg de plus pour la ZX-10R (plus ou moins 10%, faudrait peser...), ça n’a plus rien à voir avec les 50 kg qui séparaient mon 400 ZXR d’une GSX-R 1100. Mais l’inertie d’un 1000 cm3 impressionne, embarque à l’extérieur, laisse moins de place à l’improvisation, même quand on n’attaque pas. Je m’émerveille de redécouvrir la catégorie 600. Il faut être juste toutefois, la Yamaha R6, si elle est plus chère, est aussi plus agile, plus alerte encore. Mais je crois que je préférerais la Kawa pour rouler tous les jours, encore une fois grâce à son moteur plus rond.
Ville
Retour dans l’enfer urbain, j’en ai déjà parlé, ce n’est pas le terrain de jeu idéal de la bestiole. Quelques précisions pratiques toutefois : la béquille se déplie facilement grâce à son ergot, elle n’est ni trop haute ni trop basse (selon les dénivelés), les commandes se repèrent vite, comme les infos les plus utiles au tableau de bord (vitesse, jauge à essence, trip, horloge). Les rétros sont suffisamment lisibles. Quand il fait chaud, le moteur ne dégage pas ses calories vers le pilote. Sous les selles (…), on ne rangera rien d’autre qu’un gilet jaune (je parle du vêtement…). Et la consommation ne s’abaisse pas, au contraire, elle flirte avec les 8 l aux 100 km. Il est moins là moins question de taille que d’espace, le sport se pratique en horizons larges. Mais une 1000 se montre plus pénible encore qu’une 600 en ville. On va croire que je milite…
Partie-cycle
La stabilité et la confiance dans le train restent les immenses points forts de la ZX-6R. Elle se manie facilement, elle reste 600, mais moins qu’une R6 ou qu’une Triumph 675 Daytona, quand elle existait encore. Sur route, la Kawa se conduit trajectoires rondes, moteur calé dans les hurlevents, shifter sur la godasse, ou plus tranquillement, mais encore en rondeurs. Cet accord entre partie-cycle rassurante et efficace et moteur plein (pour un 600 cm3) parfait la personnalité de la Kawa. Elle se place comme une sportive de route évidente, capable de circuit, capable de coups de sang, capables de 365 jours avec la banane. Le reste est affaire de goûts esthétiques et ça ne regarde que soi. Ayez la curiosité de redécouvrir une 600 sport.
Freinage
L’autre gros point fort de la ZX-6R, son freinage puissant et progressif. Devant, ce sont deux étriers Nissin monoblocs radiaux à 4 pistons, qui pincent deux disques de 310 mm de diamètre. Ça cause. L’arrière sert surtout à resserrer une trajectoire, ou se ralentir. L’accord entre ce freinage et la fourche, capable d’encaisser les contraintes du freinage, contribue à l’harmonie de la Kawa. L’ABS n’est pas déconnectable.
Confort
Paramètre toujours ironique quand on parle de sportive. La selle large manque de rembourrage, heureusement les suspensions amortissent très bien. La position de conduite est typique du genre, avec des bracelets un peu trop cintrés à mon goût. Il ne faut hésiter à les adapter à sa morphologie. Dommage aussi que les repose-pieds ne soient pas réglables. Les sportives, plus que toute autre moto, mériteraient de mieux s’adapter aux différentes corpulences. Concernant le duo, pas la peine de s’éterniser, il est pénible, sans poignées de maintien, mais certaines passagères adorent la position crapaud, la ZX-6R les ravira.
Consommation
J’en ai déjà parlé plus haut, la ZX-6R est assez gourmande, son moteur mouline souvent à plus de 8 000 tr/mn (moitié du compte-tours), ce qui explique les quelques 7,3 l aux 100 km moyens de cet essai. Il est toujours possible de rallonger la démultiplication finale, mais ce serait nuire à la joie du quatre cylindres. Résultat, on fera en moyenne deux cent kilomètres avant que la réserve ne s'allume avec le réservoir de 17 litres.
Essai en vidéo
Conclusion
C’est un vrai plaisir de retrouver la ZX-6R et presque un acte militant que d’aller au moins l’essayer (comme toutes les 600 sportives), pour protéger l’espèce. On a perdu les deux-temps, on a perdu les 400 quatre cylindres, les routières de moyenne cylindrée, faisons en sorte de ne pas perdre les 600 sportives. La ZX-6R allie un moteur capable de régimes furieux et de mi-régimes agréables, une partie-cycle rassurante parfaite pour la route, le tout à un tarif vraiment intéressant. Une chouette moto, qu’on aimerait peut-être disponible dans des coloris moins criards, ou plus sobres…
Points forts
- Stabilité du train avant
- Qualité des suspensions
- Les 16 000 tr/mn avant la zone rouge !
- Freinage
- Souplesse moteur
Points faibles
- Protection de la bulle faible
- Consommation élevée
- Maniabilité inférieure à la R6
La fiche technique de la Kawasaki ZX-6R
Conditions de l’essai
- Itinéraire : 560 km en entre région parisienne et Normandie, mais surtout en usage quotidien
- Météo : alternance de beau temps et de pluie, entre 7 et 20°
- Kilométrage de la moto : 1.552 km au compteur au départ
Equipements essayeur
- Blouson Spidi Garage
- Casque Araï Profile-V
- Gants VQuattro V4
- Chaussures Vanucci Tifoso VTS4
Commentaires
Mais elle a quoi dans la main la passagère?
ah ok
14-06-2019 12:13une perche pour la vidéo...
P.... j'ai cru à une matraque pour calmer le pilote...
Bonsoir au repaire
14-06-2019 23:30Un bon compte-rendu très bien détaillé et très attendu me concernant c'est top !!
Par contre une coquille s'est glissée dans la partie freinage, vous parlez d'étriers Brembo sur disques de 330mm alors que d'après la photo, vôtre légende et Kawasaki il s'agit d'étriers Nissin sur disque de 310mm...
V
Les clients ne se bousculent pas,moi
06-07-2019 13:55Le premier, parce que les compagnies
D 'assurances ont torpillé ,par leur
Tarifs ,cette catégorie dite sport.
Suffit qu'il y 'ait un carénage...
Pour que le prix soit doublé au minimum.