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Qui sont les motards en Jordanie ?

400 motards ont sillonné les routes de Jordanie à l'occasion de la 3ème édition du Jordan Riders Rally

Interdite avant 2008, la pratique de la moto en Jordanie est véhiculée par des motards en quête de reconnaissance

Qui sont les Jordan Riders ?Lorsque l'on est un motard français et que les contraintes du quotidien sont constituées par l'omniprésence des radars sur les routes ou par l'épée de Damoclès d'un serpent de mer nommé contrôle technique, il est difficile d'imaginer la situation d'un motard en Jordanie. Le premier écueil consiste souvent à situer la Jordanie sur une carte. Le doigt hésite. Proche Orient, Moyen-Orient, monde arabe, pays du Golfe ? En France, force est de reconnaître que la géographie n'est pas notre point fort. En réalité, le Royaume hachémite de Jordanie est un pays du Proche Orient frontalier de l'Iraq, de l'Arabie Saoudite, de la Syrie et Israël.

Mais la géographie n'est pas notre seul point faible. Politiquement, notre vision de cette région du monde est le plus souvent confuse. Deux choses nous viennent principalement à l'esprit lorsque l'on pense à la Jordanie : l'instabilité politique et les splendeurs de Petra. En réalité, suite à l'action du roi Abdallah II, qui est monté sur le trône hachémite en 1999, la Jordanie est un royaume paisible, pacifié depuis de nombreuses années et où la liberté individuelle n'est pas une notion abstraite. Les droits des femmes sont également respectés en Jordanie.

Mais si la Jordanie est le berceau de 8.000 ans d'histoire de l'humanité au cours de laquelle de nombreuses civilisations se sont succédées, côté moto, le royaume hachémite est une nation très jeune. Interdite pendant plus de vingt ans jusque 2008 pour des raisons de sécurité, la pratique de la moto est donc très récente en Jordanie.

Le symbole d'un rallye

Un selfie entre participant pour immortaliser le voyageDans ce contexte d'éveil à la culture motarde, le rallye de Jordanie, le Jordan Riders Rally, créé en 2014, est pour les motards jordaniens une véritable fierté. Et l'occasion unique de pratiquer la moto au sein d'une communauté motarde dispersée sur le territoire jordanien et au-delà. Cette année, pas moins de dix nationalités étaient représentées au sein du Jordan Riders Rally. Des Libanais, des Irakiens, des Koweitiens, mais aussi des Bulgares, quelques Italiens, mais aussi des Israéliens d'origine palestinienne.

Dans un pays où la moto, encore fortement taxée et concernée par des restrictions administratives, est toujours considérée comme un loisir de riches, qui sont ces Jordan Riders ?

La plupart d'entre eux appartiennent aux classes aisées du pays et vivent la moto comme un moyen d'évasion. Mais aussi comme une manière de transmettre un message véhiculé par la moto. Un message de convivialité entre amis, d'humour potache et de sérénité. Les motards ont à coeur de faire du Jordan Riders Rally une vitrine qui témoigne d'un certain art de vivre en Jordanie. Et ils font tout pour que leur message soit largement relayé.

Murad, Jordanien et motard

Murad, Jordanien et motardMurad est Jordanien. Assis sur la selle de son Indian, il attend le départ de la seconde étape du Jordan Riders Rally. Le drapeau de son pays flotte à l'arrière de sa moto au gré de la brise matinale. Gérant d'un magasin de sport dans la capitale d'Amman, Murad ne pratique pas la moto depuis très longtemps, mais il n'aurait manqué le rallye pour rien au monde :

Pendant de longues années, la moto était interdite dans mon pays. Aujourd'hui, elle est autorisée et pourtant, je pense que faire de la moto en Jordanie n'est pas une chose de naturelle. Les difficultés sont concrètes. En Jordanie, les motos sont très peu nombreuses. Donc rouler à moto est une curiosité à laquelle les gens ne sont pas encore habitués. Ce n'est pas neutre de rouler à moto en Jordanie. Et puis, les rues de la capitale Amman sont très encombrées par la circulation. On pourrait croire que cela encourage la pratique de la moto. Mais là encore, rouler dans Amman avec une moto reste assez dangereux. Moi j'ai voulu faire de la moto, car j'ai découvert ce moyen d'évasion lors d'un voyage en Europe. J'aime aussi l'idée de participer à la promotion de mon pays par la moto. Notre roi est lui-même motard. Il a oeuvré pour l'autorisation de la moto dans notre pays. En roulant à moto sur les routes de mon pays, j'ai la sensation d'être un petit élément de modernisation et d'ouverture du pays. A l'étranger, on imagine encore trop souvent la Jordanie comme un pays strict et fermé, alors que c'est tout le contraire. C'est pourquoi je tiens à participer au Jordan Riders Rally. Je veux montrer grâce à la moto que la Jordanie connaît une profonde mutation. Alors même si l'accès à la moto coûte cher et qu'il est soumis à certaines contraintes administratives, j'espère que nous serons chaque année plus nombreux sur les routes du Jordan Riders Rally.

Hani, Libanais et motard

On retrouve des fans de Harley chez les Lebanon RidersCarrure de rugbyman et coeur sur la main, Hani est fier de lisser sa moustache fournie à la manière traditionnelle en vigueur dans son pays. Fan de Harley-Davidson, il est le porte-parole naturel de l'important groupe de motards venus spécialement du Liban pour participer au Jordan Riders Rally. Comme de nombreux motards jordaniens, on remarque que sa présence a une double vocation : conjuguer quelques jours de vacances entre amis et représenter le Liban sur les routes de Jordanie :

En 2015, j'étais déjà venu participer au Jordan Riders Rally. L'organisation avait organisé une tombola. J'ai été tiré au sort et j'ai gagné une Kawasaki Versys ! Bon, je l'ai revendue aussitôt, car moi, je roule en Harley ! Sur une Kawasaki, les copains m'auraient chambré ! C'est dû à une particularité de la moto au Liban. Dans mon pays, les motards se réunissent beaucoup selon la marque de moto qu'ils utilisent. Il y a quelques mois par exemple, j'ai participé à un tour du Liban au milieu de 600 Harley-Davidson. Au Liban, il existe aussi un club de motards qui roulent en Goldwing et un autre en BMW. La plupart de ces groupes se retrouvent le dimanche pour rouler ensemble. Mais notre groupe, le Leabanon Riders est ouvert à tous les motards.

Au Liban, la géographie se prête naturellement à la pratique de la moto. Nous avons des montagnes et des forêts et la température n'est pas trop chaude. Nous aimerions mettre sur place l'équivalent du rallye de Jordanie. Au Liban, il existe encore certaines restrictions à la pratique de la moto. Par exemple, pour rouler la nuit, il faut demander un permis spécial au ministère de l'Intérieur. En revanche, la notion de compétition moto est bien présente au Liban, puisque KTM détient un circuit d'essai. Il est également question de créer une piste de vitesse ouverte à tous.

Mariana, Jordanienne, motarde et femme

Mariana, Jordanienne, motarde et femmeSi légère et mince qu'elle dégage une impression d'apparente fragilité, Mariana possède un regard profond qui interpelle. Membre du comité d'organisation du Jordan Riders Rally, elle est à la fois l'une des rares femmes à participer à moto au rallye de Jordanie et dans le même temps, une motarde comme les autres :

Je pratique la moto depuis 1995, donc bien avant la levée de l'interdiction en Jordanie. A l'époque, je roulais à chacun de mes déplacements en dehors de la Jordanie. J'ai cette passion en moi depuis toujours et ce qui apparaît comme des obstacles pour certains n'en sont pas pour moi. Le fait que la moto a été interdite pendant si longtemps dans mon pays n'a jamais émoussé ma passion pour la moto. Et le fait que je sois une femme n'est pas non plus une question en soi. J'aime la moto, alors je fais de la moto, un point c'est tout.

Tout au long de mes années de pratique, j'ai conduit tous types de motos. Même des sportives, car j'ai eu une Honda CBR par le passé. De toute manière, j'ai toujours eu une conduite plutôt sportive. Avant, je n'hésitais pas à faire des wheelings. Malheureusement, j'ai dû subir récemment une opération chirurgicale et le chirurgien m'a strictement interdit de faire de la moto. Mais encore une fois, je n'ai pas pris cela comme un obstacle insurmontable. Et comme j'ai tenu à être présente sur ce rallye de Jordanie 2016, je roule désormais avec un Can Am Spyder. Le chirurgien n'a rien dit au sujet d'un engin à trois roues, alors j'en profite !

En Jordanie, ce n'est pas plus difficile pour une femme que pour un homme de faire de la moto. Je dirais en réalité que nous avons les mêmes contraintes. Je connais les motardes jordaniennes. Elles sont souvent dispersées et j'aimerais bien les rassembler sous la coupe d'un groupe spécifique. Je participe activement à l'organisation du rallye depuis plusieurs années et j'ai envie de m'investir pour le développement de la moto au féminin dans mon pays.

Eddy, président du Goldwing Leabanon Club

Eddy, président du Goldwing Leabanon ClubComme nombre de Libanais, Eddy parle un français impeccable. Il est venu rouler en Jordanie avec les Leabanon Riders. Président du Honda Goldwing Club de son pays, il a sillonné les routes de Jordanie au guidon d'une Harley. Une exception forcée, puisque Eddy n'ayant pas pu louer de Goldwing, il s'est rabattu sur une Harley :

Depuis 2010, il existe un groupe de motards qui roulent en Goldwing au Liban. Mais le club n'existe officiellement que depuis un an. A la base, je suis juste un motard amoureux des Goldwing que je trouve très confortables et luxueuses. Je roule en Goldwing depuis 2007. Les membres du club se rassemblent le dimanche et nous participons à de nombreuses oeuvres de charité. Et chaque année, nous organisons un voyage en Europe à moto. On embarque les motos sur le bateau et on traverse la Méditerranée. Nous sommes allés ainsi en Italie et en Suisse.

Au Liban, la moto se développe beaucoup. On compte aujourd'hui environ 30 fois plus de motos qu'il y a dix ans. Je parle de grosses cylindrées, pas des nombreuses mobylettes que l'on rencontre aussi au Liban. Dans mon pays, les motos sont un peu moins taxées qu'en Jordanie, mais elles restent tout de même un peu plus chères qu'en Europe. Grâce aux accords du Liban avec les USA, les motos américaines sont moins taxées. En revanche, les machines japonaises restent chères.

Notre club travaille beaucoup pour la sécurité. Je milite pour le port du casque et de l'équipement complet. Au Liban, il y a encore beaucoup d'accidents de la route. La plupart ont pour cause le non-respect des règles. C'est une question de culture. Les usagers ne considèrent pas les accidents comme pouvant être graves. Et les motards sont encore trop souvent perçus comme des citoyens de seconde zone. C'est dû au fait que de nombreux jeunes prennent une moto pour faire n'importe quoi et sont impliqués dans des accidents. Il y a donc un gros travail éducatif à mener. Et c'est aussi le rôle de notre club.

C'est aussi pour cela que notre club organise chaque année plusieurs conférences sur la sécurité routière au sein d'universités. Au Liban, il y a environ 250 motards qui roulent en Goldwing et notre club en compte une cinquantaine. Mon projet est de fonder un club Goldwing pour l'ensemble des pays du monde arabe.

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