Essai Triumph Tiger Explorer XCa
Un objectif, l'a(d)venture, 7 façons de l'atteindre
Une révolution technologique conséquente masquée par un relifting assez timide.
Lors d'une conférence de presse qui a quasiment duré deux heures (c'est qu'il y en a, des fonctionnalités à présenter !), personne n'a prononcé son nom mais tout le monde l'avait en tête. Qui ça ? La BMW R 1200 GS pardi, épouvantail de la catégorie des gros trails et machine de grosse cylindrée la plus vendue au monde. Pensez donc : cette machine et sa déclinaison Adventure, parviennent grosso modo à s'écouler à quasiment 50.000 unités par an dans le monde, de quoi donner des sueurs froides - ou des envies, c'est selon - à la concurrence.
Que voulez-vous, le monde du marketing doit faire avec des totems : en maxi scooter, les Yamaha Tmax éclipsent la concurrence, le monde du custom butte contre Harley-Davidson, son HOG et son image de marque en béton et celui des gros trails doit vivre dans l'ombre de la teutonne, même si aucun des constructeurs majeurs ne veut renoncer à sa part du gâteau.
Pour ce faire, Triumph ne résonne pas seulement en termes de machine, mais d'usage. Car, dans le dictionnaire, à la définition de "couteau suisse", on devrait mettre un gros trail tellement ces motos polyvalentes savent tout faire (alors qu'à l'ère du 2.0, un couteau devient un peu limité). Résonner en termes d'usage, ça veut dire que le gros trail peut-être tout à la fois un palliatif à un scooter pour du commuting, une routière patentée, un faire-valoir, une machine qui vivra l'Aventure, une monture qui inspirera l'Aventure, voire une machine de guerre avec des performances de sportives d'il y a quelques années mais une tout autre facilité de conduite (ce qui fait sens, vu l'âge moyen du motard et de ses vertèbres).
Et comme un gros trail, c'est tout cela à la fois, Triumph ne présente pas moins de 7 versions de la Tiger Explorer (le détail des versions est présenté ici et là). Nous avons eu pour cet essai le plus abouti des modèles, le XCa. C pour Cross (donc, roues à 32 rayons, sabot moteur, crash bars et protège-mains) et a pour Adventure, soit le package électronique total. Son prix est de 19 700 €, mais la gamme commence avec la XR à 15.400 €. On voit ici que Triumph est suffisamment sûr de lui pour ne pas casser les tarifs face à Bertha.
Découverte
Faut-il jouer au jeu des 7 erreurs ? Car un observateur non averti, un quidam, quoi, risque de ne pas déceler tout de suite l'importance des évolutions du millésime 2016. En gros, l'allure générale est la même, les lignes tranchées du châssis, du réservoir, de la face avant et de la selle nous placent dans un terrain connu depuis la présentation de la première Tiger Explorer en 2012 ; et comme la gamme des Tiger 800 reprend des codes similaires, le doute habite l'esprit du contemplateur.
Celui-ci ira donc regarder dans les détails : selle plus large et plus plate, écopes de réservoir, déflecteurs de carénage, habillage du double optique, tableau de bord, élément d'habillage (rétroviseurs, logos), les feux antibrouillards, les repose pieds usinés, le système de fixation pour les valises. C'est comme cela que l'on reconnaît le nouveau modèle. Certains coloris sont également nouveaux dans la gamme : la XCa s'habille au choix de blanc, de bleu ou de kaki.
En selle
Elle est lourde, avec ses 258 kilos à sec. Elle est large. Elle est haute. Elle est imposante, sûrement. Elle est valorisante, probablement. La Tiger Explorer, ça, c'est de la moto !
Je fais connaissance du modèle avec la selle haute (857 mm), le réservoir est large et malgré mon gabarit (1,88 m), je ne pose pas les deux pieds à plat. Pour cela, une manipulation facile (un déplacement d'encoche sous la selle) permet de la redescendre à 837 mm. La Tiger Explorer se mérite ? Pas tout à fait : les versions XCxLow et XRxLow permettent d'avoir une selle qui évolue de 785 à 805 mm par le truchement d'une nouvelle fourche et d'un nouvel amortisseur, ce qui est déjà démocratique. Cela ne fait pas pour autant la Tiger Explorer une machine de débutant, au vu de son poids, de sa puissance et de son encombrement.
Une fois en selle et lors d'une première prise en main, le plus dur commence : se familiariser avec tout le package électronique, les 5 cartographies moteur, le fonctionnement des suspensions auto-adaptatives, le paramétrage des différents niveau de traction control et d'ABS.
Heureusement, Triumph a bien travaillé l'ergonomie et la logique du système. Au commodo gauche, un bouton situé à l'arrière (emplacement traditionnel de bien des appels de phare) permet de parcourir les menus de la fenêtre de gauche du tableau de bord. Par ordre chronologique : pare-brise réglable électriquement (le premier du genre sur un gros trail), gestion des suspensions, deux trips avec chacun leur ordinateur de bord... Ensuite, un autre bouton sur le devant du commodo permet de faire défiler les choix et de les sélectionner. Triumph vous facilite la vie avec des modes de cartographie moteur pré-définis, road, rain, sport, off-road ou personnalisable.
Cela permet de sélectionner un ensemble de settings et de se familiariser ensuite avec les différentes possibilités offertes. On note avec plaisir que les autres commandes sont toutes ergonomiques, que ce soit les anti-brouillards ou les poignées chauffantes, ou bien le régulateur de vitesse, à droite. Placée au niveau de la colonne de direction, une prise 12V permet d'alimenter un GPS que l'on positionnera sur le gros guidon de section variable.
En ville
Lourde et haute, on l'a dit. C'est donc avec une petite appréhension teintée d'un zeste de réserve que l'on s'engage dans le trafic. Et, rapidement, tout ceci s'envole : les commandes sont douces, avec un embrayage léger (son nouveau type d'assistance demande 30% d'effort en moins), la commande d'accélérateur by-wire est parfaitement calibrée, quel que soit la cartographie sélectionnée. Autre bonne nouvelle : l'équilibre de la moto qui permet de se faufiler en douceur entre les filles de voitures, sans subir le poids. Et les rétroviseurs passent au-dessus de ceux des autos conventionnelles, ce qui est toujours appréciable dans les environnements congestionnés.
Sur cette XCa "full house", Triumph inaugure une nouvelle fonction : l'assistance au maintien en côte ("hill assist"), le mal nommé car il fonctionne aussi sur une surface parfaitement plane. On pourrait penser que c'est un gadget : ce n'en est pas un !
Son fonctionnement est simple : une forte pression sur le levier de frein avant et il se met en marche et conserve la moto parfaitement immobile. Il se désactive quand les capteurs décèlent du mouvement par les actions sur l'embrayage et les gaz, ou par une seconde forte pression sur le levier de frein. Vu le gabarit et le poids de la moto, cela permet de se concentrer sur l'essentiel sans avoir à subir l'inertie de la moto. Utile, lors des démarrages en côte, avec passager et bagages et en dévers.
Le 3 cylindres de 1215 cm3 est d'une souplesse confondante : à 50 km/h en sixième, il tourne à 1800 tr/mn et sa rondeur lui permet de traverser des villages sans rétrograder. A noter également que la cartographie "Rain" bride à la fois le couple et la vivacité des montées en régime. La Tiger Explorer devient douce comme un agneau et agressive comme un lémurien sous Xanax. Vous le remercierez sur les pavés mouillés de la Place de l'Etoile un soir de pluie.
Autoroute et voies rapides
130 km/h. 6ème rapport. 4700 tr/mn. Le gros trois cylindres ronronne dans un grondement sourd qui ne laisse planer aucun doute sur son architecture. La bulle haute est montée électriquement sur son zénith. Un léger filet d'air vient taper le haut du casque, au-dessus des yeux. Les déflecteurs soigneusement étudiés ne génère aucun tourbillon sur le buste ni dans le dos.
Là encore, c'est l'occasion de jouer avec les fonctionnalités : la cartographie sur Road délivre déjà des performances copieuses (on sait que la Tiger Explorer a gagné 6 % de couple par rapport à l'ancienne, aux environs de 4000 tr/m, tandis que la valeur globale est passée de 121 à 123 Nm). En mode Sport, la vivacité est améliorée et la Tiger Explorer se fait plus vigoureuse à partir de 5000 tr/mn. Dans tous les cas, aucun problème pour dépasser et les vitesses atteintes deviennent vite rapidement répréhensibles.
Les suspensions offrent 9 niveaux de réglages différents entre Confort, Normal et Sport, chacune des familles ayant ses propres niveaux de finesse. Autant dire que sur Confort, la Tiger Explorer offre un moelleux agréable qui permet d'absorber les petites cassure en finesse et les grandes ondulations en souplesse.
Triumph prétend que la nouvelle selle est nettement plus confortable que l'ancienne. Les avis des différents essayeurs ont divergé sur ce point. Je l'ai trouvé rapidement assez, si ce n'est ferme, disons, manquant de moelleux. Certaines motos de la concurrence restent plus accueillantes sur ce point.
Départementales
90 km/h. 6ème rapport. 3100 tr/mn. La grande force de la Tiger Explorer, c'est son moteur qui agit d'abord comme un gros élastique. Présent à tous les régimes, il vous tracte avec force et répond présent à chaque instant. Ainsi, il est l'auxiliaire idéal d'un gros trail dont une des missions est de pouvoir baguenauder avec facilité et insouciance sur le réseau secondaire. Dans ce type d'usage, la Tiger Explorer est aussi royale que sereine.
Cependant, elle a aussi son côté Mr Hyde. Cartographie réglée sur Sport, elle libère ses 139 chevaux avec force et avec la manière.
L'inertie mécanique réduite renforce la bande son et la Tiger Explorer se fait nerveuse à 5000, rageuse à 8000 et ne baisse pas la garde jusqu'à plus de 9000 tr/mn, toujours avec une finesse de contrôle du by-wire à citer en exemple. Mais là, attention, les bras s'allongent, la moto se rue en avant, le paysage se met à défiler vite et en cas de prune, c'est Cayenne. Cependant, les amateurs de mécaniques de caractère ne pourront pas y être insensible. La baroudo-voyageuse cache bien son jeu.
Sur les chemins
Contrairement aux différents modes destinés à la route, il est nécessaire d'être à l'arrêt pour sélectionner le package off-road. C'est que la précontrainte a un peu de boulot à faire (environ 6 secondes) pour être prête à ces nouvelles conditions de conduite.
En mode Off-Road standard, la réponse du moteur, le niveau de contrôle de traction et la réponse de l'ABS sont complètement modifiés. Le traction control laisse un peu de dérive en sortie de courbe, tandis que l'antipatinage autorise la machine à franchir un obstacle en se délestant de l'avant sur un coup de gaz. Côté ABS, l'arrière est déconnecté : on peut donc placer la machine en courbe sur une dérive aux freins et l'avant séduit par la finesse de sa réponse.
Bien entendu, on se posera la question de la pertinence d'emmener une machine de plus de 280 kilos avec les pleins faire du TT. Les parcours trialisants sont exclus, mais sur des grandes pistes roulantes recouvertes de graviers j'ai pu apprécier sa stabilité à plus de 130 km/h. Et dans des petits chemins plus resserrés descendant vers le bord de l'Océan Atlantique, la Tiger Explorer se laisse emmener en douceur et ne fait pas trop subir son poids, à condition d'anticiper le terrain et les difficultés.
L'ergonomie en position debout est naturelle même si les très grands gabarits mettront un pontet sur le guidon afin de ne pas se casser le dos. Quant à la progressivité (pas dénuée de force au coup de gaz) de la réponse du moteur et la capacité des suspensions à absorber les chocs. Pour une machine de ce poids, respect !
Partie-cycle
Cela ne se voit pas au premier abord, mais le restylage de la Tiger masque des évolutions conséquentes en matière de châssis avec une géométrie entièrement nouvelle : l'angle de chasse passe en effet de 24,1° à 23,1° et la chasse de 107,8 à 99,2 mm. Le train avant est donc un peu plus "fermé", avec comme objectif direct d'en finir avec les critiques d'une certaine catégorie d'utilisateurs qui trouvaient que l'avant des précédentes versions manquait un peu de franchise en conduite dynamique.
A l'issue d'un essai de plus de 260 kilomètres où il y a bien eu au moins 200 kilomètres de virage, le constat est clair : la Tiger Explorer dispose d'un train avant sain et sécurisant. Avec elle, on n'hésite pas à rentrer fort sur l'avant, à resserrer ou à casser une trajectoire sans craindre un petit sous-virage ou un manque de remontée d'informations qui nous rendraient hésitant.
On l'a dit à de nombreuses reprises : l'éventail et la qualité des services offert par les suspensions semi-actives est juste bluffant. Mais le bluff n'est pas suffisant pour effacer les grandes lois de la Physique, pondues par des Maîtres depuis des millénaires : un trail de plus de 280 kilos avec les pleins et doté de suspensions à grand débattement ne peut pas faire de miracles. Oui, la Tiger Explorer est saine à un rythme d'enroulage rapide et, la confiance venant, on se retrouve à faire lécher les repose-pieds sur le bitume. Par contre, elle marque sa désapprobation par des mouvements de suspension quand l'attaque devient plus saignante.
Freins
Le nouveau système radial fourni par Brembo mérite beaucoup de louanges et une critique. D'abord, rien à dire sur la commande elle-même, le feeling au levier, l'attaque du ralentissement, la progressivité, la puissance de freinage dans l'absolu. Seconde salve avec le mode off-road, tout simplement ahurissant de finesse et de réactivité : voilà qui permet de descendre un chemin caillouteux escarpé en freinant de l'avant et sans se faire de sueurs froides !
Par contre et comme au chapitre précédent, la Tiger Explorer ne peut effacer sa masse en cas de conduite très dynamique. Dans ce cas (mais qui doit correspondre à une très faible demande des utilisateurs), les mouvements d'assiette deviennent prononcés, l'ABS est très sensible à l'arrière au point qu'il est préférable de ne plus utiliser cette commande.
Mais dans 95 % des usages, la Tiger Explorer remplit sa mission. Et sur les freinages sur l'angle, l'ABS avec fonction "virage" se fait totalement transparent.
Confort / duo
Selle spacieuse et généreuse, ergonomie naturelle, volume disponible à bord, suspensions conciliantes et réglables à la demande : que demander de plus ? Une absence de vibrations mécaniques, un moteur doux et progressif ? La Tiger Explorer offre cela aussi.
Pratique
A noter que le nouvel échappement, en passant de 6,5 à 4,5 l, permet désormais le montage de valises latérales symétriques.
Conclusion
On a vu en introduction que le gros trail, ça pouvait être beaucoup de choses à la fois. Mais le trail, c'est aussi - et Triumph n'a pas retenu cette option et la majorité de ses concurrents l'ont également oublié - une moto légère et insouciante. Cela, la Triumph Tiger Explorer ne l'est pas.
Ce qu'elle est, par contre, grâce à l'éventail des possibles autorisés par tout son package électronique, c'est une machine qui vous permettra de détaler des pistes roulantes au Maroc ou de traverser l'Europe en duo, avec la même appétence, la même facilité et, surtout, la même sécurité.
Oui, elle est lourde. Oui, elle est chère, mais la clientèle avide d'innovations efficaces y trouvera son compte. Et le caractère tonitruant du 3 cylindres en mode Sport n'est pas rien dans l'attachement que l'on peut avoir pour cette machine.
Points forts
- Moteur doux ou rageur à la demande
- Confort de suspensions
- Package électronique carrément à la pointe
- Package électronique pertinent dans le cadre d'un usage varié en situations de conduite
- Train avant sain
- Dévoreuse de bitume
Points faibles
- Poids élevé dans l'absolu
- Poids qui se ressent à l'attaque
- Prix à la hauteur de la dotation
- Selle manquant un peu de moelleux
La concurrence : Honda 1000 Africa Twin, BMW R 1200 GS, Ducati Multistrada, Honda CrossTourer, Aprilia Caponord, KTM 1290 Adventure
La fiche technique de la Triumph Tiger Explorer 1200 XCa
Conditions d’essais
- Itinéraire: 260 kilomètres dans la région de l'Algarve au Sud du Portugal, entre Faro, Monchique et Portimao. Itinéraire varié, avec beaucoup de routes sineuses et défoncées et environ 25 kilomètres de piste.
- Kilométrage de la moto : 1200 km
- Problème rencontré : des entrées en courbe un peu musclées lors de la séance photo qui actionnent l'alerte du TPMS de la roue avant. Problème isolé.
Commentaires
Conso ?
19-02-2016 14:49Capacité du réservoir?
Bonjour aussi ! Ca va ?
22-02-2016 10:30La capacité du réservoir n'a pas changé : c'est toujours 20 litres, mais avec le travail fait sur les cartographies et l'échappement, Triumph annonce une conso en baisse de 5 %. Cependant, c'est toujours difficile de parler de conso à l'issue d'une présentation presse, car en général on ne refait pas le plein nous-mêmes et en plus, on roule souvent comme des porcs. Du coup, j'avais une indication à l'ODB : 7,3 l/100. A confirmer lors d'un autre roulage, car c'est sûr qu'on peut faire beaucoup moins.
Voilà, voilà...
Sur ce, bonne journée, bien le bonjour chez vous, salutations motardes, etc, etc,
PG