Moto Punk 2077

Et si on m'avait dit en 1980 à quoi les motos du futur ressemblaient, est-ce que ça m'aurait fait rêver ?

Est sorti il y a quelques jours un jeu vidéo où il faut tuer tout le monde. Bon. Mais on est en 2021 et si on m'avait dit en 1980 à quoi les motos du futur ressemblaient, est-ce que ça m'aurait fait rêver ?

Le problème avec le futur, c'est qu'il finit un jour par advenir. L'avenir devenu présent se fout de mes rêves d'alors. Ce qui me fait penser que le naufrage de la presse moto a peut-être une cause plus sournoise : le futur a déçu. Parce que si une 900 Ninja (la Vraie, la GPZ-R, pas une Z900 avec un autocollant) collait une pile à un TGV en 1985, imagine les motos qu'on aura en 2005 ! Imagine !

2005, c'était il y a quinze ans et on a vu. Non ? En 2005, BMW envisageait déjà de sortir une japonaise, probablement parce que les Japonais eux-mêmes n'y croyaient plus. C'est te dire l'étendue du malaise. En 2005 c'est foutu : le TGV a gagné. On a eu droit à notre petite semaine de gloire avec la 900 Ninja et puis pouf ! Fini ! Notre futur de 1985 a capitulé devant le présent de 2005.

Alors quand je vois les trois motos du jeu vidéo auquel je fais allusion (et qui n'a pas besoin de publicité supplémentaire parce que c'est un jeu idiot où il faut tuer tout le monde) je me dis qu'on est drôlement résignés ces temps-ci. Ça fait pas beaucoup rêver, l'année 2077 ! Trois pauvres modèles de bécanes qui ont juste tout en plus gros : grosse fourche, gros pneus, gros pots. V'là la gueule du futur tout moisi.

Alors qu'il y a cinquante ans, en 1971, quand on imaginait les motos de 2021, on rêvait à des bécanes volantes, nucléaires, avec des champs de force pour remplacer les carénages et des lasers pour essuie-glaces. Minimum. Et toutes à moteur deux-temps, parce que le quatre-temps, c'est pour les chalutiers.

Quand je vois comment on concevait la voiture de l'An 2000 en 1960 ‒tiens ! Regarde la Simca Fulgur : si Robert Opron s'était penché sur la GSX-R de l'An 2000 en 1985, ça aurait été un brin plus révolutionnaire qu'abandonner le refroidissement air-huile pour passer à la flotte, tu ne penses pas ?

C'est un peu comme avec les avions. En gros : en 1897, on a l'Avion de Clément Ader. Vingt ans plus tard on vole sur Spad S.XIII. Vingt ans plus tard je grimpe dans mon Tempest MkV (à côté de JF-E, évidemment). Dix ans de plus et le Mig 21 fout la pétoche à JF-K. Vingt ans plus tard le F-16. Vingt ans plus tard ? Encore le F-16. Vingt ans de plus ? Toujours le F-16. Le futur bégaye.

Aujourd'hui, on devrait tous rouler sur des Ninja 900 turbo 2x2 qui prennent 350 km/h et croisent à 220, la vitesse de pointe du S.XIII il y a un siècle. Ce serait logique.

Alors oui, les ingénieurs ont été remplacés par des comptables et les comptables par les queues de promo des écoles privées qui vendent des diplômes tellement minables qu'elles leur donnent des noms anglais pour cacher la misère.

À l'époque, ils faisaient des motos qui allaient le plus vite possible. Alors qu'aujourd'hui ils se contentent de mouler des bécanes qui ont l'air d'aller vite dans les vidéos de promotion, avec des petits bouts de plastique partout ‒en matière d'esthétique, ils font dans le gothique cucu-la-praline.

Tiens ! Les pneus, par exemple. La fameuse GPZ 900 R dont il est question avait un pneu de 130 à l'arrière. Aujourd'hui, c'est ce que je découvre, dubitatif, à l'arrière de toute 125 à prétentions "sportives" qui prend 120 à donf'. J'en conclus que les punks ont perdu ; bientôt, on ne pourra plus lire Nietzsche sans ordonnance.

Peut-être que nous en sommes arrivés au point que nous n'avons plus besoin du futur. Que l'iPhone 23 ressemblera tellement au modèle 8 qu'il sera livré avec une bouteille de gaz hilarant pour rendre son achat mémorable. Je choisis ici un exemple neutre, pour éviter de froisser les sensibilités des acheteurs de fausses 900 Ninja à autocollant.

C'est pas qu'avant c'était mieux. C'est qu'aujourd'hui c'est de pire en pire.

Je ferais mieux de rouler en 125 Mito au lieu de râler.

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