Radioscoopie : Moto passion, moto raison
Journaliste, reporter, grand reporter, chroniqueur radio et Rédacteur en Chef sur France Inter...
Serge Martin signe chaque 1er du mois une chronique radiophonique sur Le Repaire
Pour avoir aimé et pratiqué la moto passionnément, plus que de raison, je dois aujourd’hui me rendre à l’évidence, si la passion demeure, les raisons d’en faire et l’approche que l’on peut en avoir ont, elles, bien changé. A cela plusieurs raisons.
L’âge et le temps bien sûr. Même si, pardonnez-moi cette comparaison, on peut regarder après bien des années une femme (sa femme…) avec toujours les yeux de la passion, précipitation et déraison sont deux notions qui, passé un certain cap, ne sont plus vraiment au rendez-vous. Il en va de même de la moto et de sa pratique. Ajoutons à ces facteurs ceux d’un renforcement de la réglementation et son train de sanctions sans oublier une nouvelle conception du deux-roues considéré bien plus souvent maintenant comme un moyen utilitaire que comme un objet plaisir et l’on comprend pourquoi la passion a trop souvent fait place à la raison…
Finies, pratiquement oubliées ces gigantesques concentrations de fin de semaine des années 70 sur l’espace Rungis. Ces soirées de folie, de passion et en même temps de déraison qui voyaient se côtoyer le vendredi soir mobylettes, scooters, 125cm3 et gros cubes, 2T et 4T confondus, dans de folles poursuites sur un « circuit » improvisé au milieu de plusieurs rangées de spectateurs. Des courses épiques où tout un chacun pouvait, selon son gros cœur et ses envies, s’aligner sur la ligne de départ, sans démarche préalable, sans règles et sans licence pour un nombre de tours souvent fixé au dernier moment. Des « runs sauvages » seulement dictés par la passion de la vitesse et l’esprit de compétition qui allaient finir par connaître leur organisation et pour ne pas dire leur réglementation à la naissance du circuit Carole le 1er décembre 1979. Carole du nom ou plus exactement du prénom de la dernière spectatrice tuée un soir de Rungis lors d’une sortie de route d’un concurrent.
Des rassemblements « passion » qui débutaient bien souvent par une concentration voire une folle farandole pétaradante autour de la colonne de la Bastille. C’est là que se retrouvaient tous les motards, parisiens et banlieusards, du vendredi soir pour discuter, échanger ou bien encore acheter des pièces dont il était préférable de ne pas demander la provenance, avant un départ groupé vers Rungis ou bien alors vers l’Esplanade du Château de Vincennes autre théâtre de burns spectaculaires et enfumés.
Une passion également vécue et partagée en province. J’ai pour ma part souvenir dans ces années 70-80 de ces rassemblements place de la Victoire à Bordeaux. C’est là, dans ce quartier fréquenté par les étudiants le soir, qu’en fin de semaine les autos devaient laisser place, par la force des choses, aux motos avant de temps en temps l’intervention des forces de l’ordre… Une concentration qui, comme pour Paris, s’excentrait au fil de la soirée vers le quartier de Bordeaux-Lac pour là aussi quelques runs endiablés. J’imagine que ces rassemblements « passion » ont également dû trouver place dans bien d’autres villes de province et compte sur vous pour en parler dans « les commentaires ».
C’est encore à cette époque bénite des « bad boys », le 29 juillet 1982 très précisément, que la rédaction de Moto Revue se lançait dans un défi aujourd’hui inconcevable, celui de battre le TGV sur la distance Paris-Lyon. Un défi tenté, réalisé et accompli au guidon d’une Honda CB 1100 R. Un challenge renouvelé, trois ans plus tard, toujours contre un TGV, mais cette fois-ci sur la distance Paris-Marseille et au guidon d’une Kawasaki 900 Ninja. Des tentatives totalement impensables et irréalisables aujourd’hui d’une part compte-tenu de la vitesse actuelle des TGV et d’autre part de la législation en vigueur en matière de sécurité routière sans parler de la « philosophie » qui l’accompagne.
C’est enfin, quelques années plus tard encore, au mois de septembre 1989 qu’allait entrer en scène, dernier épisode de passion exacerbée, un certain Prince Noir. Là encore le déraisonnable fut à l’honneur avec ce record de vitesse (filmé) sur le périphérique parisien parcouru vers 7h du matin en 11’04 (pour une distance d’environ 35km) au guidon cette fois-ci d’une Suzuki GSX-R 1100. Un « exploit » diffusé à l’époque à la télévision sur la Cinq et largement relayé par la presse écrite quotidienne et magazine. Une « provocation » très controversée qui allait déchaîner les passions, susciter bon nombre de prises de positions violentes et controversées opposant notamment les « bien pensant » aux amoureux du risque et de la vitesse quelque peu « déjantés ».
Une « performance » qui allait aussi scinder le monde de la moto en deux, entre ceux que cela faisait plutôt marrer et les autres soucieux, en marge de leur passion, d’essayer de sauvegarder ou de renforcer une image du motard respectueux des autres usagers de la route et de la réglementation.
C’est d’ailleurs à partir de cette période là, encore un peu folle et libérale, que l’on a vu s’opérer le changement. Avec le renforcement de la réglementation, l’augmentation des contrôles et la multiplication des radars, l’attitude du motard n’a pas tardé, par la force des choses, à évoluer.
Fini les runs sauvages, les folles farandoles des années 70 et 80, fini également ou pratiquement fini les poursuites infernales ou parcours de vitesse sur routes ouvertes à l’exception de quelques « inconscients » qui, pour certains d’entre eux, ont parfois dû laisser leur moto sur place, entre les mains de la maréchaussée. S’octroyant encore la liberté de pouvoir, à vitesse plus raisonnable, remonter les files de voitures et de se faufiler dans la circulation des villes, la pratique du deux roues s’est considérablement modifiée.
La passion elle aussi a évolué devenant l’apanage des concentrations, de vitesse sur circuit ou bien alors de tous ceux qui ont pris le parti de continuer à entretenir cette flamme dans leur garage, leur parking voire pour certains dans leur salon en bichonnant ce modèle d’un autre âge, d’une autre époque. Des modèles dont certaines municipalités (merci Paris) envisageraient maintenant d’en interdire l’usage dans leurs rues histoire, là encore, de porter un nouveau coup de canif à ce qu’il peut encore rester de passion.
Une passion qui, en dépit de toutes ces « attaques » demeure. Il suffit pour s’en persuader de regarder tous ceux qui aiment encore à prendre la route pour de longues virées bucoliques ou bien alors de regarder la fréquentation de ces rendez-vous « vintage » comme le Salon Moto-Légende au parc floral de Vincennes. Une passion qui s’exprime encore au travers d’autres manifestations comme par exemples ces Coupes Moto-Légende à Dijon rassemblant passionnés d’hier et d'aujourd’hui.
Même si elle a du évoluer et faire de plus en plus de place à la raison, la passion perdure et c’est tant mieux !
Commentaires
C'était mieux avant ?
01-04-2016 11:48C'est toujours mieux avant! Mais peut-être moins bien que plus tard en tout cas on peut le souhaiter pour les futurs motards...
01-04-2016 13:09nostalgie des années passées trop vite ou l'on pouvait faire tout ce que l'on voulait ou presque ....maintenant si l'on roule le nez dans le compteur c'est juste pour éviter de prendre une prime et en plus ça arrange bien car prendre une gamelle a notre age on ne s'en remettrait pas .enfin il faut le reconnaitre les djeunes sont en moyenne un peu moins c... que nous .V a tous.
01-04-2016 14:34C'était pas mieux avant, c'était seulement différent !
01-04-2016 14:48La nostalgie plombe l'ambiance et fige dans la naphtaline l'âge d'or (?) d'une génération qui a profité des bienfaits des 30 glorieuses et des effets de mai 68.
La nostalgie est dangereuse, dans le sens où elle indique aux jeunes qu'ils n'ont pas connu ça qu'ils ont forcément raté ça, et qu'ils ne connaîtront pas mieux ...
Pfff ... forcément, tout ce qui suit paraît ensuite bien fade.
Le problème, car il y en a un gros, réside surtout dans le fait que la génération évoquée dans ce superbe article de Serge, n'a pas su transmettre la passion et les valeurs.
Trop occupée par une quête insatiable du confort et du plaisir, dans une échelle sociale où on doit toujours grimper quel qu'en soit le prix ... l'individualisme triomphant a petit-à-petit altéré la confraternité et l'ambiance.
Heureusement, il semble aujourd'hui qu'on s'interroge sur le conformisme dans lequel nous baignons. Anciens ou jeunes, peuvent remettre en question les compromis aliénants, le consumérisme, les modes, les pratiques, les mises en scène et les clichés !
Place aux émotions, on expérimente l'amitié, le partage, la solidarité, la route et le voyage, la simplicité, l'inconfort et les petites choses du quotidien ... et on a plaisir à rencontrer l'autre, on a de l'intérêt pour l'autre !
Donc ça sera mieux demain qu'avant, c'est du moins ce que je perçois, vu d'ma fenêtre, et ce que j'ai la chance de vivre parfois, grâce à la moto !
Moi qui n'ai jamais pu choisir entre la raison et la passion, les deux étant à la même hauteur... Je trouve sympa cette chronique dans laquelle je me retrouve et qui me rappelle quelques belles années où l'on pouvait faire les "cons" sans raison mais avec passion!
01-04-2016 18:55On peut ENCORE faire les cons avec des deux temps qui puent, des bi anémiques, des pisseuses d'anglaises, des teutones qui avancent toutes seules sur leur béquilles, etc ...
01-04-2016 19:52Suffit de participer aux multiples démo d'anciennes qui éclosent en France.
On y retrouve toujours la même ambiance des bonnes années, la mauvaise foi des vieux cons qui disent que c'était mieux avant, y a même des jeunes qui essaient de nous apprendre à piloter (bandes de petits saligauds !)
A chaque fois c'est comme au bon vieux temps sauf que c'est maintenant.
Que demander de plus ?!
Salut
Mouais effectivement, ce que je regrette c'est lorsque mon frangin avec sa bande de déjantés me trainait la-dessus
sinon c'est de la zoub tout ça, depuis 79, je fais toujours de la moto avec autant de plaisir,
et sinon, PUTAAINNNNN qu'elle est belle cette GS1000S.
Ah oui, est ce qu'il y a quelqu'un qui se souvient de ce crobar sur MJ représentant un monument dédié à la moto suite je crois à la Loi Gérondeau... On disait la moto morte On connait la suite
et la semaine dernière MJ a remis ça... Rdv dans 30 ans
On aime bien agiter le drapeau rouge....
V
01-04-2016 20:35
Il ne tient qu'à nous, peut-être, de recréer des mouvements festifs, libres de tout encadrement, de toute structure... Pas spécialement pour faire les cons ni de la provoc, simplement pour se retrouver entre motards et motos, autrement qu'en payant un billet d'entrée pour une expo ou un salon...
01-04-2016 22:29La liberté ne s'use que si l'on ne s'en sert pas...
C'est vrai que la GS1000S ...
02-04-2016 08:54Et puis, il faut agiter le drapeau rouge pour éviter de s'endormir. C'est bien de rester "aware" comme disait l'autre.
oui, ça s'appelle des concentres, y'en a plein en France des rassemblements comme ça
tom4 02-04-2016 09:17
avant, j'étais jeune ! je ne m'amuse plus de la même manière !
02-04-2016 10:37mais je prends toujours autant de plaisir à monter sur mes bécanes, que ce soit pour aller acheter le pain, pour voir s'il fait toujours aussi beau en Italie ou pour aller voir mes potes faire les cons sur un circuit à l'autre bout du pays, j'y vais moins vite, c'est tout
Et maintenant, t'es vieux
(Ah, on me dis dans l'oreillette que je suis plus près de ton âge que de celui de ceux qui passent leur permis ) 02-04-2016 18:22
Comme disait VATANEN lors d'une interview ... : " Avant j'était jeune et rapide , maintenant je suis rapide .... "
03-04-2016 09:42C'est pas que c'était mieux avant, c'est qu'aujourd'hui c'est pire(c).
03-04-2016 11:08C'était mieux avant parce qu'il n'y avait pas débordement de l'informatique (et ses nombreuses applications perverses) et de radars automatiques. Franchement, le passage du millénaire n'a pas été gage de liberté...
04-04-2016 09:34que de bon souvenir a Voisin sur le circuit de l'ancien aerodrome pres de coulomiers 77
02-05-2016 08:49Pour s'amuser encore ? Il doit bien y avoir une appli...
02-05-2016 15:31Les jeux à Rungis ont tellement fait de morts qu'on a dû créer le circuit Carole.
Sur les rassemblements à Bastille, fallait pas demander la carte grise pour racheter une épave et on cuisait les frites à l'huile de vidange (cf. Margerin).
Quant au prince noir, comme prince il se pose là, surtout de la connerie, lui qui qui a créé cette image désastreuse - et semble-t-il indélébile dans l'esprit du grand public, du motard décérébré, fou de vitesse atteignant le rupteur à 5 heures du mat' dans les rues de Paris - alors qu'avant, le motard c'était le moustachu sympa avec les mains dans le cambouis et qui roulait pépère dans la campagne.
Si tu veux rouler comme avant, la Yamaha SR 400 est très bien (elle n'a presque pas changé depuis 1978), voire la 4 pattes Honda, qui, elle aussi, a surtout récupéré l'injection, mais est (presque) toujours aussi belle.
Si ma passion de la moto ne s'est jamais éteinte, c'est parce que je l'ai toujours conjuguée avec "raison", c'est parce que s'éclater n'a jamais été pour moi rouler à tombeau ouvert, comme faire la fête ne m'a jamais sembler rimer avec se bourrer la gueule ou fumer des pétards.
Bah franchement...50/80 en bécane ??? Non mais sans blague...trop chiant ,je n y vois plus aucun avantage et encore moins du plaisir..dans les années 80 /90 c était l eclate a chaque sortie n en déplaise aux gens raisonnables et a Bordeaux,tous les vendredis soirs c était megateuf..fini tout ça ...en tous cas pour moi car j ai besoin de mon permis pour bosser...me suis mis à l enduro pour échapper aux radars mais bon ...ça devient assez compliqué aussi !! La raison a gagné,tant mieux sans doute, on mourra moins sur la route...on crèvera d ennui ?
17-08-2020 19:26