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La Chronique de Koud'pied o'Kick

La KronikKoud'pied o'Kick est un journaliste professionnel écrivant actuellement pour un grand hebdomadaire. Vous le retrouvez chaque mois exprimant son opinion sur un monde qu'il affectionne énormément : la moto, avec un amour immodéré de la controverse, à nul autre pareil.

KroniK de février

Des plaies et des bosses

Marc Urochrome est amateur de plaies et de bosses. Tout petit déjà, sur son BMX bleu pailleté et or, il s'amusait à sauter sur tout ce qui bouge : bancs publics, trottoirs, capots de voitures... Il lui arrivait aussi d'atterrir ailleurs que sur ses roues, ce qui fait que ses genoux et ses coudes ont aujourd'hui la même texture qu'une piste d'atterrissage où une douzaine de missiles Durandal et quelques centaines de bombinettes Rockeye auraient organisé une surprise-party. Bref, Marc Urochrome était un client tout trouvé pour la dernière discipline qui fait mal là où elle passe, j'ai nommé :

LE STUNT

Kronik février 2005 -

Déjà, rien que le mot m'énerve. Stunt, c'est le bruit que fait un casque en dégringolant d'un réservoir sur le bitume quand on fait pas trop gaffe. (en fait, le casque fait : stunt ! roule roule roule roule roule. Et le motard fait : p*** de b*** de s*** de m*** !).

Faut croire que quand on donne un nom anglo-saxon à un sport, ça fait tout de suite plus « in ».

Prenez par exemple l'activité qui consiste à se balader avec un PC portable équipé d'une carte WiFi à la recherche de points d'accès. En Français, on dirait « se balader avec un PC portable équipé d'une carte WiFi à la recherche de points d'accès ». Les Américains, eux, disent « Wardriving ». Tout de suite, ça pète carrément plus. Et c'est plus court, par la même occaze. Dire qu'on fait du Wardriving, ça fait tout de suite vachtement plus r3b3lz que d'expliquer que tu te trimballe avec ton pauv' portable hors d'âge à la recherche d'une saleté de réseau ouvert qui te permettrait d'aller tchatter avec MaRi3-KaR|n3, ta copine de sur le tchatte sur Vanadoo. Le motard, lui, il fait « du stunt » et pas « le c** sur sa meule pérave repeinte à la bombe, essayant de tester la résistance de ses broches ».

Bon, bref, déjà le mot Stunt m'énerve. Çà commence mal.

Ensuite, j'aurais plutôt tendance à faire gaffe à mes bécanes (même si j'ai bouzillé 2 moteurs en 2003). Du coup, quand j'en vois partir à pleine balle avec un moteur froid, ça me fait mal au bide. Bousiller inutilement du matos, c'est pas trop dans mon éducation. Mébon, y paraît que ça fait partie de la « liberté » du stunteur de massacrer sa bécane si bon lui chante.

Marc Urochrome, lui, s'est payé une GSX-R 1000 dernier modèle, et a commencé par percer le carénage pour lui mettre un peu partout des pare-carters, et découper les flancs de selle pour installer uen barre de slide. Il a commandé spécialement une couronne arrière de 62 dents, mais a dû renoncer à l'installer : elle frottait contre le bras oscillant. Il a donc dû se contenter d'une couronne de 55. Pour assurer côté freinage, il s'est offert un kit complet Beringer, ultra-chic en rouge. Il a troqué ses bracelets pour un guidon de cross. Mais celui-ci bute un peu contre le haut du carénage. Du coup, le rayon de braquage a presque doublé et dès qu'il manoeuvre, Marc se cogne les phalanges dans l'araignée. Philosophe, il prend ça comme un baptême, une sorte de rite initiatique. Enfin, il s'est acheté un casque de cross et une paire de gants maxi-flashy assortie à ses baskets Converse pour assurer côté look.

Il n'a jamais fait un wheeling de sa vie, mais il sent qu'avec ça, il va devenir un « rider » respecté dans le monde. Il n'a aucun doute sur ses capacités à maîtriser : abonné à Motos & Motards, il a failli aller deux fois aux Burns-Day, mais a commandé les cassettes vidéo. Et depuis 6 mois, il passe en boucle les bandes-son des vidéos qu'il a fait venir, à prix d'or, des Zuèsses.

Marc Urochrome a le « feeling », il ne lui manque plus que le « style » et « l'impulse ». Le « spirit », quoi...

Le « style », il va le chercher dans les magazines. La fin de la parution d'Option Moto lui a porté un rude coup au moral, mais il a pu se rattraper avec Speed Bikes et Maxi Stunt, qui lui donnent de précieux conseils pour réaliser des « stoppies de ouf' » ou des wheeling de la mort ». Du coup, il en profite pour accroître son vocabulaire, et apprend ainsi qu'un guidon peut être « paré » de pontets, une couronne « additionnée » à un bras oscillant, le carbone « fondu » pour former une pièce, un châssis « capturer » l'attention de son propriétaire ou une culasse être « équipée » d'un polissage. Le stunt est vraiment le seul univers où une fourche peut être « agressive », une ligne d'échappement « finalisée » par un pot tout en étant « perchée » sur une culasse, ou un cadre peut être « agrémenté » d'un bras oscillant. C'est plein de poésie, finalement, le stunt.

« L'impulse », il le trouve dans son impressionnante collection de vidéos de stunt. Du coup, il passe des heures entières à détailler au ralenti les passages gaz grand en ville de ratiboisés du carafon dont même la division « équipements spéciaux » des Marines n'ont pas voulu. Télécommande à la main, il passe chaque séquence au ralenti, minutieusement. Concentré, les yeux fermés, il répète les nouveaux mots qu'il entend : fenwick, stoppie, trick, amazone ou christ-air, et s'entraîne à les prononcer à l'américaine. Quelques fois, ça fait aboyer le chien.

Pour être complètement dans le mouv', Marc a ouvert un site ouèbe. Ca s'appelle Marclemaladeouf'defolie.fr.st. Comme il n'avait pas grand chose à raconter après son introduction ("Salus, je m'appel Marc, j'est 21 ans, et je suis un stunteur par pation"), il a fait des copier-coller d'autres sites pour combler un peu les vides. La majorité des photos ont été récupérées sur un site néo-zélandais : Marc est persuadé que personne n'ira jamais chercher aussi loin, et se considère donc à priori peinard.

Tout est en place, Marc Urochrome peut entamer sa quête du « Spirit ».

Marc s'est levé tôt ce dimanche matin. C'est aujourd'hui qu'il commence son « training » (entraînement, en Français). Sa GSX-R sous le bras (il faut bien que je commence un jour à écrire comme dans les mag's spécialisées stunt, non ?), il rejoint le parking du supermarché à côté de chez lui, désert car fermé le dimanche. Et il commence. Comme il a lu qu'il fallait que les pneus soient chauds, il commence par faire deux ou trois accélérations brusques, suivies de freinages appuyés, à au moins 30 km/h. Comme il est en rodage, il ne veut pas encore trop solliciter la mécanique.

Enfin... le grand moment est arrivé... Bien en ligne, il commence à rouler, passe la 2e, coupe un peu les gaz et ouvre en grand en se penchant bien sur l'avant. La GSX-R fait un bond en avant, mais de roue arrière, point. Marc se souvient alors des précieux conseils donnés par tous les magazines : il faut commencer progressivement, certes, mais aussi persévérer. Il recommence. Jambes serrées, buste légèrement penché sur l'avant, il passe la 2e, et ouvre. Toujours rien. Pourtant, tout est là : la moto, la couronne de 55 dents, la barre anti-cabrage, le grand guidon...

Marc est perplexe. Deux échecs sur deux tentatives, ça fait 100% de ratage. Est-il à classer parmi les « lamerz » (gros naze, en Français) dont parlent les sites américains ? Peut-être faut-il mettre plus de gaz ?

Il se réaligne. Première. Il laisse filer la moto et prend sa position. Deuxième. 25 km/h (les magazines disent de prendre une bonne marge de sécurité au début). Il coupe et rouvre rapidement les gaz. Toujours pas de roue arrière. Arrivé assez vite à 40 à l'heure, perdu dans ses pensées, debout sur ses cale-pieds en fixant pensivement le garde-boue sous lequel tourne cette fameuse roue avant qui refuse de quitter le sol, Marc ne voit qu'au dernier moment cette bordure de trottoir qui vient entraver sournoisement sa marche vers le « spirit ». Il réalise, bien malgré lui, sa première figure de stunt, avec un « fumble » (une taule, en Français) magistral, terminé par un « 120° air » pour lui et un « flank spin » pour sa moto (respectivement : culbute, et massacre de flanc de carénage, en Français). Le pare-carter gauche, pourtant solidement boulonné à la patte de fixation du clignotant avant, n'a pas résisté au choc.

Marc relève péniblement sa GSX-R blessée. Heureusement, son levier d'embrayage n'a presque pas cassé net. « De toute façon », pense-t-il, « il n'y a que les lamerz qui ont des motos nickel. Avec mon flanc râpé, je fais maintenant partie de la famille ». De plus, son pantalon est maintenant déchiré au niveau du genou, qui saigne un peu, et l'une des poches arrière est à moitié déchirée. Son jean aussi a acquis ses lettres de noblesse.

Il décide de persévérer. Laissant le wheeling de côté pour l'instant, il décide de s'essayer au stoppie. En seconde, lancé à 40 à l'heure, bras écartés, genoux serrés, il fixe arbitrairement un point à quelques mètres devant la moto, et serre progressivement les freins. Bump ! C'est net ! Il a senti l'arrière se lever ! Dès sa première tentative, il a réussi !

Tout regonflé, Marc retente immédiatement de rééditer son exploit. Il prend sa position, adopte une vitesse un peu supérieure, et empoigne le frein avant. Une fois encore, il sent la moto décoller légèrement de l'arrière, mais plus que la dernière fois.

Après quelques passages, Marc a la satisfaction de constater que son pneu avant a commencé à se teinter d'une magnifique couleur noir foncé, signe distinctif de tout bon stunteur qui se respecte. Il multiplie les passages, et essai après essai, il monte toujours un petit peu plus haut. Maintenant, il travaille l'atterrissage : il cherche à garder la moto en ligne pour continuer à rouler, comme dans les vidéos américaines.

Au bout d'une demi-heure, Marc pense avoir fait des progrès énormes : il maîtrise l'art du stoppie. Avant de rentrer chez lui, il décide d'en tenter un à haute vitesse. Mais le parking est trop petit pour ce genre d'exercice. Se sentant suffisamment sûr de lui, Marc le quitte et s'engage sur la nationale qui borde le parking. Les conditions sont idéales : pas trop de circulation, il fait sec. Pour son premier stoppie sur route ouverte, il joue la prudence : pas question de se ridiculiser devant des connaissances. Il compte répéter l'exercice plusieurs fois, avant de filer chez des potes pour leur montrer à quel point il assure.

C'est le coeur un peu battant qu'à l'approche d'un feu rouge, lancé à un bon 70, il commence à serrer la poignée de frein. Tout se passe bien : la moto se lève doucement. Il serre un peu plus les jambes, et accentue sa pression sur le levier pour conserver de la hauteur. Parfaitement en ligne, la GSX-R file droit vers l'intersection.

Arrivé presque à l'arrêt, Marc s'apprête à relâcher les freins quand la stridulation aiguë d'un Sifflet à Roulette modèle 17 rectifié 36 se fait entendre, manié par un Représentant des Forces de l'Ordre qui contredansait justement par là.

Pris un instant de cours, suspendu dans les airs, Marc prend sa décision : comme les R3b3Lz de ses vidéos Zétzuniennes, il va tenter une figure périlleuse, nommée « fock da fokin' copz ya motherfoka sonovabitch » (délit de fuite, en Français). Au moment où il va reposer la roue arrière, Marc étend le bras gauche, et adresse au Représentant des Force de l'Ordre un signe très vilain mais très pratique quand on veut conseiller à son interlocuteur, d'un seul geste, d'aller pratiquer des activités sexuelles déviantes avec un ressortissant de la république grecque.

Mais ce que Marc ignore, c'est que cette périlleuse figure ne doit pas être réalisée sans un long entraînement préalable. Son mouvement brusque a déséquilibré la moto qui dérive vers la gauche, guidon légèrement braqué. En désespoir de cause, Marc sort les pieds et lâche le levier de frein. Peine perdue : au moment où sa roue arrière retouche terre, la moto bascule vers la gauche, entraînant son propriétaire dans sa chute.

Le degré de « coolitude » et de « spirit » de Marc descendit largement en dessous de zéro quand le Représentant des Forces de l'Ordre prononça la phrase rituelle :

« Policeuh Nationaleuh. Papiers du véhiculeuh s'il vous plé ».

Koud'pied o'Kick, - le 1er février 2005

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