Essai moto Paton S1-R Lightweight
La sportive légère du TT
Bicylindre de 649 cm3, 82 ch et 87 Nm, 158 kg, à partir de 28.500 euros
Remporter n'importe quelle course du Tourist Trophy sur l'Ile de Man est un véritable exploit, encore plus quand c'est le cas 19 fois, comme a pu le faire Michael Dunlop. Mais réitérer sa victoire plusieurs années de suite avec la même machine en dit long sur les qualités de la moto et c'est ce que Michael a réalisé avec la Paton S1-R d'origine italienne en 2018 et 2019 dans la classe très disputée des twins de 650 cm3 du Lightweight TT.
Il y a un an, Dunlop célébrait le 60e anniversaire de la marque historique Paton en remportant le Lightweight TT de 4 tours et long de 106 miles en bouclant la course à une vitesse moyenne record de 194 km/h (120.601 mph) sur la S1-R Factory avec 14 secondes d'avance sur la Kawasaki de Derek McGee. Ce faisant, il établissait aussi un nouveau record du tour sur sa 650 avec une vitesse de 197 km/h (122.750 mph). Il se retrouvait alors devant en leader des 5 Patons arrivant dans les 6 premières places face aux 47 concurrents sur la grille de départ, réalisant une démonstration convaincante de la maniabilité et du poids réduit de cette Italienne à moteur Kawasaki.
Cette année encore, Michael a réitéré sa victoire sur la même moto, mais avec une avance réduite à seulement 1,299 s devant la Kawasaki de Jamie Coward lors d'une course réduite à deux tours en raison des conditions météo. Peu de temps avant, c'est son coéquipier Stefano Bonetti qui s'imposait sur la North West 200 avec sa Paton.
La machine doublement victorieuse au TT de Dunlop est dérivée de la séduisante mais coûteuse Paton S1-R Lightweight, qui n'est ni plus ni moins qu'une moto de course avec des phares et une immatriculation. Actuellement disponible à partir de 28.500 € hors taxes (oui, c'est plus cher qu'une Ducati Panigale V4 S !), ce modèle est lui-même dérivé de la S1 Strada, présentant des caractéristiques inférieures et dont la production avait débuté en 2014, modèle qui s'est écoulé à plus de 50 exemplaires... selon le constructeur. Petite série donc...
Cependant, cette version "économique" de l'ancien modèle que j'avais piloté sous la forme d'un prototype il y a cinq ans comportait une fourche conventionnelle, des freins non radiaux, des jantes à rayons et était propulsée par un moteur de Kawasaki ER6 entièrement stock. Celle-ci a depuis été arrêtée au profit de la S1-R Lightweight que l'équipe Paton a amenée sur le circuit de Crémone de 3,45 km, au sud de Milan, pour m'en permettre l'essai aux côtés de la machine de course de Dunlop, encore incrustée de mouches de l'Ile de Man.
Découverte
La dernière S1-R Lightweight présente une avancée considérable au niveau de ses caractéristiques et de ses performances. Elle est toujours fabriquée à la main dans l'atelier Paton installé dans l'immense usine de son propriétaire et spécialiste des silencieux SC-Project à l'ouest de Milan. Propriété de Stefano Lavazza et Marco De Rossi, SC-Project équipe en silencieux les Honda RC213V de Marc Marquez et Jorge Lorenzo, ainsi que plusieurs machines victorieuses en Moto2. Elle équipe aussi de nombreuses motos de WorldSBK et WorldSSP à l'image des MV Agusta et produit une vaste gamme d'échappements pour les modèles de route. La société a fait l'acquisition de Paton en 2016, année où l'engagement de la marque dans la compétition moderne s'est intensifié avec deux motos factory engagées sur les courses Lightweight majeures et huit clones de ces machines gagnantes vendues à d'autres équipes à partir de 37.000 euros. Chaque moto est produite à la commande avec un délai de livraison de 4 semaines.
Et parce qu'on ne peut pas parler d'une telle moto sans parler un peu d'histoire, la S1-R a été conçue en 2013 par Roberto Pattoni, fils du fondateur de l'entreprise Giuseppe (décédé en 1991) et par son ingénieur en chef Andrea Realini, qui avait également travaillé avec le père de Roberto sur la Paton 500 GP 2 temps.
Roberto Pattoni :
L'idée était de concevoir une moto qui tienne compte de l'histoire et de la philosophie du design de Paton, mais qui puisse être utilisée sur route. Il n'y avait naturellement qu'un seul moteur que nous puissions utiliser car le bloc de la Kawasaki ER6 est une version moderne du Paton Bicilindrica. Il utilise la même architecture bicylindre 8 soupapes DOHC, avec un vilebrequin à 180° et une boîte de vitesse à cassette comme sur les Paton Grand Prix.
Ainsi, la S1-R Lightweight est disponible avec trois différents niveaux de réglage du moteur, jusqu'à la machine de course du TT de Dunlop qui délivre jusqu'à 112 chevaux à 10.500 tr/min. Mais entre ça et les 72 ch produits par le moteur Kawasaki d'origine, il existe un niveau intermédiaire pour la S1-R qui produit 82 ch à 8.500 tr/min. C'est bien plus que le moteur stock japonais et cela résulte en grande partie de l'échappement en titane SC Project 2-1. Mais le moteur amélioré qui équipe la moto que j'ai pilotée bénéficie également de pistons Pistal permettant de porter le rapport volumétrique de 11.3:1 à 12.5:1 ainsi que de légères améliorations apportées à la culasse pour améliorer les flux de gaz et la combustion. Les deux corps papillons de 38 mm de l'ER6 sont conservés avec un seul injecteur par cylindre, tout comme l'ECU Keihin ici équipé d'un Power Commander aidant à tirer partit de l'échappement SC. Le couple est lui aussi en nette augmentation, même en conservant les arbres à cames de série, avec 87 Nm disponibles dès 7.000 tr/min. La boîte de vitesse 6 rapports est conservée et associée à un embrayage à glissement Suter Racing pourvu de ressorts plus rigides capables d'encaisser le surplus de puissance et à un shifter Dynojet fonctionnant uniquement pour les montées de rapports.
Arborant fièrement le slogan "Hand Made in Milano" aux côtés de l'emblème de la ville sur sa selle monoplace bien rembourrée et dont la base est réalisée en fibres de carbones, la Paton se dote d'un cadre léger ouvert en acier CrMo tubulaire designé par Andrea Realini qui utilise le moteur comme élément sous pression. Cela permet à la S1-R de ne peser que 158 kg avec eau et huile, mais avec son réservoir en aluminium brossé de 16 litres vide. Ce qui représente quand même 16 kg de moins que le modèle dont est issu le moteur, avec une répartition des masses 52/48% portée vers l'avant pour aider le pilote à maximiser la vitesse en courbe. L'objectif n°1 de la partie cycle de la Paton est de permettre d'utiliser le maximum de cette "modeste" puissance (si on la compare à celle des 600 Supersport 4 cylindres).
Tout en écartant légèrement les tubes de fourches pour faire de la place au moteur nippon par rapport à la S1 Strada, Realini a conservé la même géométrie de direction et répartition du poids. Cela permet de libérer de l'espace pour la boîte à air et le filtre Kawasaki d'origine dont l'utilisation a permis à Paton d'homologuer la S1-R en passant les tests de bruit et d'émission rapidement et à moindre coût, grâce également à la sortie d'échappement SC-Project avec son catalyseur.
La Paton S1-R Lightweight est équipée de suspensions Öhlins entièrement réglables avec une fourche FGRT 2014 de 43 mm réglée à 25° avec un déport de 105 mm via le triple té AEM Factory réalisé spécialement pour Paton et arborant le logo de la marque sur la face supérieure. Celle-ci offre un débattement de 120 mm et est associée à deux combinés ressort/amortisseur TT30 piggyback offrant un débattement étonnement long de 130 mm. L'empattement est 15 mm plus court que celui d'une Kawa de série avec 1.390 mm atteints grâce au très beau bras oscillant Febur en aluminium. Les jantes en aluminium forgé OZ racing Piega sont chaussées de pneus Metzeler RaceTech RR K3, avec un arrière en 180/55-17 comme sur la moto de Michael Dunlop. Cela permet de garder une Paton agile et rapide sur les changements de direction, tout en maintenant l'adhérence nécessaire pour tirer parti de ce moteur, agréable à l'utilisation.
Les deux disques avant TK de 295 mm désormais omniprésents en Moto2 sont pincés par des étriers radiaux Brembo Monoblock M4-108 à quatre pistons, via un maître-cylindre radial. A l'arrière, le disque TK en acier de 220 mm est associé à un étrier Brembo P34C à double piston.
Vous avez déjà remarqué que la panoplie de composants de la Paton ressemble à une liste de souhait pour de l'accessoire italien ? A cela viennent s'ajouter l'accélérateur rapide Domini et ses poignées, les rétroviseurs Rizoma intégrants des clignotants, les guidons bracelets et commandes au pied Valtermoto ou encore les carters GB Racing. Ajoutez à cela la paire de phares lenticulaires CEV encastrés dans le nez du carénage et vous commencerez à comprendre pourquoi le prix est si élevé.
En selle
Après avoir passé sa jambe au-dessus de la selle haute de 810 mm (mais 20 mm plus basse que sur la moto de Dunlop), j'ai trouvé une position de conduite spacieuse tout en ayant l'impression de faire corps avec la moto, avec des repose-pieds relativement bas qui n'ont cependant pas d'impact sur la garde au sol. Le réservoir de 16 litres, plus petit et plus bas sur le modèle de série aide également à se cacher derrière la bulle lorsque se profile la ligne droite de 900 mm du circuit de Crémone.
On regrette qu'il n'y ait pas d'indicateur de passage des rapports sur la Paton, pas même un installé à côté du tachymètre Kawasaki qui fait figure d'unique élément d'instrumentation, car il aurait utile alors que l'on flirte constamment avec le rupteur. Un indicateur de rapport engagé aurait également été bénéfique. En fait, l'instrumentation limitée est le seul reproche que je puisse faire à cette moto. Pour une machine portant une étiquette de prix aussi élevé, l'écran d'une ER6 n'est juste pas suffisant. Il offre un look vintage et ne fournit qu'une fraction des informations que l'on est en droit d'attendre sur une moto de ce calibre.
Sur circuit
La direction est légère, mais pas nerveuse et confère à la Paton une personnalité engageante. Elle tourne également très facilement, comme on peut s'y attendre avec une moto ne pesant que 158 kg, mais elle est équilibrée et toujours sous contrôle. C'est une conduite qui inspire la confiance et vous encourage à prendre rapidement beaucoup d'angle pour les passages de courbes à vitesse élevée, bien aidé par les Metzeler Racetecs. Et la Paton est très indulgente si, par exemple, vous souhaitez tourner plus serré pour faire l'inter à un adversaire plus lent ou modifier votre trajectoire en milieu de courbe après une entrée trop rapide. Rapides ou lents, les virages s'abordent avec la même facilité grâce à l'agilité de cette moto qui prouve qu'il n'est pas nécessaire d'avoir 200 ch (ni même la moitié) pour prendre du plaisir en attaquant fort.
Et cela vaut dès l'allumage du moteur qui vous récompense instantanément par la tonalité distinctive des Paton 500 GP des années 60 qui sonnaient à la fois musclées et aiguës dès que l'on touche à l'accélérateur pour faire monter le ralenti à 1.600 tr/min. Mais la Paton S1-R Lightweight est beaucoup plus souple et moins fatigante à conduire grâce à l'arbre d'équilibrage qui élimine toute trace de vibrations même à très haut régime. C'est un moteur vigoureux et plein de vie à mi-régime malgré sa cylindrée de 650 cm3 et qui parvient malgré tout à conserver assez de puissance en haut pour être fun.
Cependant, même avec une arrivée de puissance très linéaire, il est utile de pousser le moteur punchy presque jusqu'au rupteur à 10.900 tr/min avant de passer au rapport supérieur grâce au shifter Dynojet (dommage qu'il ne fonctionne pas en descente de rapport et qu'il faille toujours jouer de l'embrayage). C'est parce que la puissance et le couple max s'atteignent assez haut, mais conservent ensuite leurs valeurs sans chuter à mesure que le régime grimpe. Changer de vitesse rapidement n'est pas une bonne solution, même s'il n'y a pas d'étape dans la fourniture de la puissance à partir de 4.000 tr/min, seulement un zeste supplémentaire à partir de 7.000 tr/min. L'alimentation est fluide et le moteur réactif dès les bas régimes sans que des à-coups ne viennent perturber la remise des gaz poignée fermée en sortie de courbe. Sur la ligne droite de Crémone, les rapports de la S1-R s'enchaînent les uns après les autres au shifter et permettent d'atteindre les 200 km/h avant de devoir freiner fort avec l'ensemble Brembo pour s'engager en seconde dans le virage en épingle. Le niveau de freinage est excellent avec un exceptionnel feeling au levier des étriers avant grâce au maître-cylindre RCS19.
Sur route
Après une bonne prise en main sur piste, j'ai eu la possibilité de la conduire sur la route où la position de conduite s'est révélée suffisamment spacieuse. Les larges guidons sont assez hauts pour la conduite à basse vitesse et la suspension Öhlins offre un mélange idéal de bonne qualité dynamique et d'adaptabilité. L'alimentation fonctionne parfaitement à bas régime et les rétroviseurs Rizoma se révèlent plus utiles que sur n'importe quelle sportive Ducati. La Paton S1-R est également beaucoup plus douce et moins fatigante que n'importe laquelle des Paton de GP grâce au moteur Kawasaki et à son arbre d'équilibrage qui élimine les vibrations dans les tours. En fait, même si la puissance linéaire délivrée même le max des 8.500 tr/min, il n'est ici pas nécessaire de pousser ce petit moteur punchy jusqu'aux 10.900 tr/min, à moins de vouloir économiser ses changements de rapports entre deux virages. Un changement de vitesse court à 8.000 tr/min offre des performances enivrantes, car même si les chiffres semblent faibles, le fait que l'on se retrouve dans la courbe haute du couple à 7.000 tr/min avec 87 Nm permet d'obtenir juste ce qu'il faut de sensations au moment de sortir du virage.
Partie cycle
Malgré la qualité du moteur Kawasaki, c'est la maniabilité de la Paton qui la distingue vraiment des autres. Elle combine un équilibre idéal entre stabilité à haute vitesse et maniabilité/agilité mais précise, associé à une suspension idéale du package Öhlins qui absorbe parfaitement les bosses du revêtement. La fourche est réglée pour être assez souple en début de course, probablement pour absorber tous les chocs mineurs sur une route comme celle du TT, mais elle se durcit ensuite pour éviter que les plus grosses bosses ne soulèvent la suspension et limite la plongée sur les freinages, qui sont excellents. Je pouvais ainsi attendre le panneau des 150 mètres avant l'épingle à gauche à la fin la ligne droite de Crémone pour agripper le levier et descendre 4 rapports d'un coup pour obtenir juste ce qu'il faut de frein moteur fourni par l'embrayage Suter pour m'aider à décélérer sans sacrifier la stabilité.
Ceci vous encourage aussi à garder votre vitesse en courbe, ce qui est le secret de la réussite sur une moto relativement peu puissante comme celle-ci. Le poids plume de la Paton est un facteur important dans sa suprématie en compétition, mais c'est surtout son excellente maniabilité qui permet ce dynamisme. L'ensemble est rassurant et prévisible, la Paton réagit instantanément au pilotage grâce à sa direction légère et parfaitement prévisible, même si ce n'est pas une moto nerveuse, grâce à sa géométrie de direction assez conservatrice. Cependant, elle pardonne également beaucoup, de sorte que si vous jugez mal votre vitesse d'entrée en courbe et devez saisir le levier réglable pour réduire la vitesse, la direction ne se verrouille pas. C'est une moto que l'on contrôle toujours, qui tourne très facilement et qui dispose d'une réponse équilibrée et prévisible. La suspension avant offre un excellent retour d'information qui vous incite à prendre beaucoup d'angle pour tirer parti des Metzeler Racetecs qui maximisent l'allure en courbe. Même en tournant un plus serré pour éviter un coureur plus lent, la Paton ne sourcille pas. C'est réellement une moto très simple à manier.
Conclusion
La Paton S1-R Lightweight est la preuve vivante que l'obsession du monde des sportives pour la puissance est une impasse et que moins peut réellement être plus (Less is More) lorsqu'il s'agît de conduire dans le monde réel, dans un environnement agréable avec une partie cycle aussi maniable et agréable que celle-ci. C'est une jolie petite moto, à regarder comme à piloter et bien qu'elle ne soit pas bon marché, le carnet de commandes de Paton montre qu'il existe des clients pour une vraie moto sportive de tous les jours offrant des performances accessibles, une maniabilité efficace, aucune préoccupation quant à la fiabilité du moteur et qui dispose d'une véritable histoire tout en ressemblant à une machine à un million de dollars, mais coûtant "seulement" un cinquième du prix d'une Paton Classic 8 soupapes à laquelle elle ressemble sur de nombreux points.
De plus en plus de constructeurs devraient proposer ces Supertwin 650 légers pour la route. Avec Norton et Aprilia sur le point de rejoindre Paton, CF Moto, Kawasaki et Suzuki (marques engagées au TT), ça ressemble au genre de moto que l'on verra beaucoup plus souvent à l'avenir. Et c'est une Très Bonne Chose...
Points forts
- Agilité et maniabilité
- Accord des suspensions
- Efficacité du freinage
- Moteur linéaire et vivant
Points faibles
- Instrumentation bas de gamme
- Prix élevé dans l'absolu
Commentaires
Super essai mais un petit détail oublié :
20-07-2019 10:08Quel est le prix de la version essayée qui est la version intermédiaire ?
Et surtout est il possible de l'homologue?