Une Transpyrénéenne à l'arrache : le scoot quand tout va mal
Cinq motos, cinq motards, cinq jours de virolos et autant d'approches différentes
Le feuilleton de l'été à suivre chaque semaine sur le Repaire
Cinq motos, cinq motards, cinq jours de virolos et autant d'approches différentes d'une même destination : les Pyrénées. Mais à vouloir tout faire avec n'importe quoi, nous voici à affronter un gros orage sur des pistes de montagne où nos lourdes motos en pneus de route et notamment mon scooter, sont bien à la ramasse.
Nous nous sommes arrêtés deux minutes pour enfiler nos vêtements de pluie.
- Je ne pense pas qu'il y ait de réel danger : nous ne sommes pas très haut en altitude et je n'ai jamais entendu parler de torrents de boue ou de trucs comme ça dans le coin. Je le sais : c'est mon secteur de patrouille, nous rassure Andréa.
N'empêche. Éric se colle la première de la série : sur une plaque de pierre lisse et mouillée, en dévers, la Ténéré part de l'arrière et se vraque dans un grand raclement de ferraille et de plastique. Ahmed, qui roulait juste derrière lui, se fait surprendre et n'arrête la KTM qu'in extremis, à deux doigts d'emboutir la Yam'. Déséquilibré, il couche sa moto à son tour, mais parvient à ralentir assez la chute pour la poser sur ses sacs latéraux sans dommage.
Nous aidons Éric à remettre la Yam sur ses roues. Pare-mains râpé, sélecteur un peu tordu : il s'en tire bien. La Katoche n'a rien. Nous repartons. Je m'interroge un instant : peut-être est-ce parce qu'il pensait qu'il avait la plus adaptée à l'exercice qu'Éric y est allé trop fort ? Toujours est-il que les deux trails roulent plus prudemment qu'avant.
Il pleut tout à fait, maintenant. Sans frein moteur, je suis obligé de tout faire au disque arrière, heureusement puissant et dosable.
Je couche le scooter une première fois sans dommages dans l'herbe, après avoir dérapé sur un bout de bois. Trente mètres plus loin, rebelote : je tape la béquille centrale contre une grosse pierre que je n'ai pas pu éviter, ce qui me fait basculer vers une plaque d'herbe mouillée où je perds toute adhérence et refais tomber le scooter. J'en ai marre. Je râle. Cela fait une heure que je roule sur des oeufs, à me demander à chaque instant si c'est l'avant qui va m'échapper ou l'arrière qui va m'entraîner.
- On s'arrête et on laisse passer la pluie ? suggère Pierre.
On se regarde. Il tombe des grêlons, maintenant.
- On tend deux toiles entre les bécanes, comme ça on sera un peu à l'abri ? propose Éric.
Andréa fait oui de la tête.
Éric et moi nous mettons au travail. En cinq minutes nous fixons deux bâches entre trois motos. Nous nous serrons sous ces abris de fortune. Il ne reste plus qu'à patienter. Nous ressortons les sandouiches : ça fait passer le temps. Des rigoles d'eau se forment entre nos bottes.
Attendre que la pluie cesse : une activité vieille comme le monde. J'imagine toujours l'australopithèque au seuil de sa caverne qui renifle l'air et se demande quand ça va finir.
Nous approchons de quatorze heures. Nous avons encore sept bonnes heures de jour devant nous, toutefois il ne faudrait pas que la pluie dure trop longtemps, puisqu'il faudrait que la piste sèche aussi un peu.
Un gros coup de vent fait durement claquer notre abri, dont la toile nous éclabousse. Cela fait une heure que nous sommes là, à attendre.
- Sinon, on répartit le gros de ton matos sur la mienne, celle d'Andréa et un peu sur celle d'Ahmed comme ça, ça te fait moins de poids, me suggère Éric.
- Quinze kilos de moins et le plancher à nouveau libre ? Mouais. Faut voir si c'est plus facile comme ça, dis-je.
- J'ai une araignée dans le top-case, donc je peux tout prendre sur la selle passager, indique Andréa.
- Moi, je ne peux plus rien caser, par contre, dit Ahmed.
- Si dans une demi-heure ça ne s'est pas calmé, on décharge ton scoot et on voit ce que ça donne, ok ? propose Éric.
Je fais un peu la tête : je n'aime pas être le boulet du groupe. Mais il faudra bien redescendre un jour pour retrouver le bitume, non ?
Comme si le ciel nous avait entendu, la pluie se calme vers ce moment-là. Au bout d'un quart d'heure, il n'y a plus que le tip-tip-tap des gouttes sur les feuilles des arbres. Nous émergeons de sous les toiles. J'ai mal aux fesses et je sens mon épaule gauche : j'ai tiré dessus pour amortir la chute du scooter, tout à l'heure.
Mon hamac est sanglé sur la Ténéré et le contenu de mon top-case fixé sur la selle de la Voge. Sans le ballant du top-case, le scooter est plus facile à emmener. Nous repartons timidement après avoir enfilé des casques et des gants humides : beurk.
J'essaye de rouler collé au guidon, au bout de la selle, en chargeant l'avant le plus possible pour compenser le poids naturellement sur l'arrière, un pied sur le plancher et l'autre sorti. De gros paquets de gadoue frottent dans le garde-boue avant.
Dernière épreuve : la grimpette du début. Je décide de couper le moteur et le contact pour désactiver l'ABS afin de tout faire roue arrière bloquée, dans les rigoles laissées par la pluie pour éviter la boue. C'est moche, je patauge, mais ça passe. Pierre fait de même quelques instants plus tard : roue arrière bloquée, il descend en pédalant.
Ouf ! Trois fois ouf ! Le bitume !
Plus JAMAIS je ne pose mes pneus dans de la gadoue. Le BI-TUME ! Ya qu'ça de vrai.
Je récupère mon barda.
- Bon ben... désolée, fait Andréa, la mine basse.
Je rigole :
- Mais non. L'aventure, c'est faire des trucs avec des bécanes pas du tout prévues pour ça. T'imagines pas comment je vais soûler tout le monde avec mes aventures héroïques de trial en scooter une fois rentré à la maison.
- C'était rigolo, ajoute Pierre en vérifiant que son paquetage n'a pas trop bougé. Et puis il n'y avait pas vraiment de danger. On en a juste un peu bavé, c'est tout, résume-t-il.
- P*tain... Je vais me faire ch... à nettoyer tout ça, moi, soupire Éric en regardant son moteur crotté jusqu'au couvre-culasse.
- Je rêve d'une douche et d'une nuit au sec, murmure Ahmed.
- On passe chez moi ? Vous pourrez squatter dans le salon cette nuit plutôt que d'aller au camping, suggère Andréa.
-Roule ! dis-je en pointant la route du doigt.
Nous remontons en selle. La chaussée fume sous les premiers rayons du soleil revenu. Ah ! Le bonheur de faire vingt mètres d'affilée sans serrer les fesses, sûr que l'avant tient et que l'arrière suit ! Les emmerdes font les petits plaisirs de l'aventure, dans le fond.
Le lendemain, après une nuit de camping dans le salon d'Andréa (Ahmed ronfle, finalement), nous prenons la route de Larressore pour récupérer le camion d'Éric, y charger nos machines bien crades et nos sacs de fringues sales qui sentent la chaussette. Eux rentrent par la route ; je préfère toujours le train : j'ai des trucs à t'écrire.
T'écrire : qu'importe le flacon, une fois de plus ; qu'on s'en fout si t'as un 50 ; qu'en Monkey aussi on peut faire le tour du Monde ; qu'il n'y a pas besoin de super matos tant que tu veilles à ne pas avoir froid la nuit ; que dans le Lot, le Jura, les Ardennes, dans les Causses, au pied des montagnes, partout où ça tournicote, ça vaut le coup d'aller poser tes roues. Seul ? Oui, bien sûr. Mais à plusieurs on découvre plus de trucs. Et on vit des aventures inattendues à raconter une fois rentré.
Je t'ai raconté la fois où on a fait une Transpyrénéenne à l'arrache avec cinq motos pendant cinq jours ?
Plus d'infos sur les chroniques
- Précédemment - lire : Une Transpyrénéenne à l'arrache : épisode 1
- Précédemment - lire : Une Transpyrénéenne à l'arrache : épisode 2
- Précédemment - lire : Une Transpyrénéenne à l'arrache : épisode 3
- Précédemment - lire : Une Transpyrénéenne à l'arrache : épisode 4
- Précédemment - lire : Une Transpyrénéenne à l'arrache : épisode 5
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Commentaires
pas mal, bravo et merci pour le partage!
30-08-2022 07:38et merci aussi pour le tuyau de couper le contact dans la descente de la mort qui tue pour ne pas être emm... par l'ABS. c'est tout con mais j'y aurai pas pensé
30-08-2022 11:04Quelle épopée & cette envie de ne jamais renoncer❗
30-08-2022 11:15Encore une fois c'était sympa cette Kronik. Je deviens accro.
30-08-2022 13:34Il te faudrait un xadv 750 mon cher pour jouer dans la boue
30-08-2022 20:28c'est malin, pour ma prochaine maintenant, j'hésite entre MSX et Cub à cause de toi
30-08-2022 21:00tom4
Cub. Le MSX tu es trop bas.
30-08-2022 21:20Dans le chemins pas trop gras/pentus, le Cub passe là où le Grom s'arrête.
Ah encore des aventures bien racontées à 15 pas de chez nous. ça me rappelle le Pilat en 250 CRF.
31-08-2022 01:12