Kronik : Scramblère de rien

Un phénomène tentaculaire ?

Ou comment une aberration est devenue un choix rationnel, une réalité industrielle. Une foutue arnaque, oui !

Le texte qui suit est humoristique (de humour, « forme d'esprit qui cherche à mettre en valeur avec drôlerie le caractère ridicule, insolite ou absurde de certain aspects de la réalité [...], in Le Petit Larousse illustré).

Un phénomène tentaculaire ? Ou comment une aberration est devenue un choix rationnel, une réalité industrielle. Une foutue arnaque, oui !

La mode du moment veut que l'on affuble des routières de larges pneus à crampons, ampute leur garde-boue et jette dans la partie-cycle n'importe quel type de moteur : ce paramètre est secondaire. Il est de bon ton de peindre la plupart des pièces d'accastillage en noir ou en noir (parfois en orange) et d'en réduire le nombre au minimum. Facile.

Non, la partie ardue du scramblère, c'est de convaincre Motardus Simplex qu'il s'agit d'une bonne idée. La recette est connue et fonctionne aussi pour les sociétés occultes, les clubs de foot, les escadrilles de chasse et les mouvements politiques : se réclamer d'une tradition ou d'un héritage fantasmé. Les marketoïdes des constructeurs pourront les réécrire à loisir maintenant que 1984 fait figure de "best practice".

A la décharge de Motardus Simplex, la tâche est facilitée par la Grande Extinction des Sportives -d'ici peu, sortir une Gex' ou une R1 sera aussi déplacé que d'allumer une clope dans une école maternelle- l'épidémie de gangrène à gros trails et les primes gouvernementales pour la dé-Zèdification des campagnes. Les gromonos ? Euro 3 m'a tuer. Il ne reste plus que Honda pour défendre, avec la (sculpturale, sublime, envoûtante, démoniaque*) CB 500, le dernier bastion des Japonaises à tout faire.

A la décharge du marketoïde, il y a le précédent des trails des années 80-90. Ou comment faire avaler que c'est une bonne idée de mettre des pneus routiers sur des bécanes de cross. Désolé, mais les Anakee et leurs confrères sont des pneus médiocres sur terre et sur bitume. Ce qui les sauve, c'est la relative légèreté, la puissance modeste des motos qu'ils équipent et leur franche orientation bitume où ces motos passent 99,9 % de leur vie. Malgré l'affection que j'ai pour la lignée des DR, les trails sont bof-bof sur route : trop hauts de selle, suspensions trop souples, équipement limité, duo approximatif, freins faiblards, capacité d'emport artisanale, protection inexistante. Ce sont de bonnes bécanes pour faire l'idiot, leurs moteurs ont du caractère à cause de leur forte cylindrée unitaire, leur simplicité en faisait des motos peu chères à l'achat et donc se vendaient bien, mais pour le reste, une simple CB 500** fait mieux partout sur route et sur terre une DR 800 se fait enfumer par toute DTMX stock.

Avec le scamblère, la démarche s'inverse. On fait avaler que c'est une bonne idée de mettre des gommards de cross sur des motos routières et on se retrouve avec des pneus médiocres partout, montés sur des machines aussi à l'aise sur terre qu'une WR450F sur autoroute. Les freins sont trop puissants, les parties-cycles trop rigides, les suspensions trop dures, l'équipement trop fragile, les gardes au sol ridicules et ainsi de suite. Là encore, une CB 500** fait mieux sur route qu'une Ducati Sixty 2 et ses MT 60 -pas ridicules, d'accord, mais par rapport à des T31 ? Ou une Vitpilen sur terre, face à -allez, soyons sympa- une CRF 250 L de base ? Sérieusement ? Tu prends quoi pour emprunter un petit chemin de sous-bois ? La Vitpliée ou la CRF ?

Ce qui me fait rigoler, c'est le sort des garde-boue : un scramblère se doit d'en avoir un au stade embryonnaire alors que ce genre de bécanes est vendu pour pouvoir faire joujou dans la gadoue où on veut, précisément, un garde-boue le plus grand possible pour éviter de prendre de la bouse dans la gueule et d'avoir à dénicher une piscine à rampe pour nettoyer la meule en rentrant. Comme les trails routiers des années 90 ont fièrement gardé pendant une bonne décennie leur garde-boue en plastique haut perché façon enduro.

Dans mes cauchemars, je vois les scramblères évoluer doucement, à rebrousse-poil des trails des années 80-90 : suspensions qui gagnent en débattement, pneus qui s'affinent et gagnent en diamètre à l'avant, réservoirs qui enflent. Au final, vers 2030, on aura bouclé la boucle : les gros trails d'il y a 20 ans ont fini changés en GS et les scamblères subiront la même métamorphose. Il y aura des GS partout. Putain, l'angoisse !

C'est quoi, la suite ? Des Diablo Supercorsa sur les Beta 300 SS de piste ? Des MP3 d'enduro ? Des Moto Guzzi tout-terrain ? Heuh…

* pan dans ta Pagéniale

** même rouge, hein, la PC 26, même rouge je veux bien. Bisou, m'sieur Honda.

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