Radioscoopie : Les forçats du Moto Tour
Journaliste, reporter, grand reporter, chroniqueur radio et Rédacteur en Chef sur France Inter...
Serge Martin signe chaque mois une chronique radiophonique sur Le Repaire
Oubliée la tente repliée à l’arrière de la selle, les feuilles volantes retenues par une pince servant de roadbook, oublié enfin le pneu en travers de la poitrine, le monde du rallye routier a considérablement évolué. Il n’empêche que la même passion de la moto, le partage de la camaraderie et de l’entraide régnant sur ce genre d’épreuve, sans oublier un grand brin de…masochisme perdurent. Le Moto Tour, le plus long rallye routier existant au monde, en est la parfaite illustration.
Combien de fois tel ou tel concurrent n’a-t-il pas pesté voir hurlé sous son casque qu’on ne l’y reprendrait plus. A l’agonie sur un parcours routier interminable, transit de froid dans les étapes de nuit, trempé jusqu’aux os et sans visibilité, la visière du casque en partie ouverte, le pinlock ne faisant plus son effet, en glissade sur les feuilles mortes de l’automne ou bien sur les graviers généreusement répandus par nos amis des Ponts et Chaussées, quand ce ne sont pas les résidus de betterave sur les routes de Picardie donnant le sentiment de passer sur une plaque de verglas, les difficultés sont multiples. Et pourtant on trouve le moyen d’aimer ce genre d’épreuve et d’avoir, chaque année, l’envie d’y revenir.
Plus ancienne épreuve motocycliste en France, le rallye routier s’est progressivement imposé comme une compétition à part réclamant toutes les qualités possibles qu’un motard aguerri est en mesure de posséder. De l’endurance pour rouler à vitesse constante et soutenue (dans le respect des limitations de vitesse imposée par la législation routière) souvent sur de petites routes, quand ce ne sont pas des chemins, sur de longs, de très longs trajets routiers, près de 900 km de nuit par exemple cette année pour la première étape entre Toulon et Boulazac (près de Périgueux). De la détermination également pour ne pas abandonner quand tous les éléments semblent se retourner contre vous (crevaison, panne, casse…). Un brin de folie aussi pour ouvrir en grand la poignée des gaz dans des spéciales fermées à la circulation que seuls les « pros » ont pris soin et le temps de reconnaître. Un estomac bien accroché enfin pour prendre le départ, en paquet, d’une épreuve sur circuit lorsque l’on n’est pas familier de la chose.
Des qualités auxquelles j’ajouterai un bon sens de l’orientation, une lecture intuitive de la route et une maîtrise du roadbook. Ce n’est pas pour rien qu’un pilote comme Denis Bouan, réunissant toutes ces qualités-là, a remporté pas moins de 9 Moto Tour et sur des motos différentes. Ce n’est pas par hasard non plus que des pilotes connus, très rapides sur circuit où ils se sont fait un nom, sont venus s’essayer à cette discipline pour, la plupart du temps, s’enfuir aussi vite en constatant les réalités et les risques de cette épreuve.
Il est vrai que prendre le départ d’une spéciale les pneus froids, parfois après une heure d’attente ou plus lorsqu’il y a eu un souci, se retrouver en glissade dans un virage et où la seule alternative se partage entre un fossé d’un côté ou bien un dénivelé impressionnant voire vertigineux de l’autre côté quand ce ne sont pas des arbres ou des rochers, bref bien loin donc de l’univers « protégé » d’un circuit avec ses glissières et ses aires de dégagement, en a rebuté plus d’un. On a même vu, il y a quelques années de cela, un spécialiste du Tourist Trophy, John McGuinness, 23 fois vainqueur de cette épreuve impressionnante sur l’ile de Man, invité par Moto Journal pour participer aux reconnaissances du Moto Tour, nous dire qu’il ne prendrait jamais le départ de cette course, beaucoup trop dangereuse pour lui et de traiter ceux qui s’y risquent de « fous ». Il est vrai que pour cette légende des courses sur route, un Tourist Trophy ne laisse guère de place à l’aventure et se résume finalement à un immense circuit de 60 km dont il connait par cœur chaque mètre.
Mais revenons à ce Moto Tour qui au début des années 2000 a pris la succession du Tour de France Moto. Tout commence par la préparation de sa moto ou de son side (voire de son scooter et oui tout est possible aujourd’hui…). Le règlement technique de cette épreuve étant tel que tout un chacun peut faire le choix d’une moto spécialement préparée pour l’épreuve ou tout simplement prendre sa moto de tous les jours. D’où la variété des engins au départ, de la très sportive Yamaha R1 aux bons gros trails voire routières BMW en passant par les roadsters et même hyper-roadsters. Il suffit pour engager sa moto qu’elle réponde aux exigences de la circulation sur route.
Juste quelques petits aménagements sont nécessaires comme, par exemple, la mise en place d’un petit flacon récupérateur pour les machines munies de reniflards (huile, essence) et l’installation de plaques supports de numéros sur les côtés et devant si la bulle n’est pas assez large pour y coller les numéros de course.
Vient ensuite, ou parallèlement, l’aspect logistique. Tout le matériel nécessaire, les outils, le tapis de sol, le canopy… Il faut également faire le choix du véhicule, fourgonnette, camping-car pour ceux qui envisagent de dormir sur place quand ce n’est pas la tente pour les moins fortunés ou les nostalgiques. D’autres, soucieux de leur confort, préféreront la réservation de chambres d’hôte ou d’hôtel, avec un conseil, celui de choisir l’option « annulation gratuite », au cas où…
Autre tâche, la constitution de son équipe d’assistance, de copains un peu mécano ou bien alors tout simplement passionnés que l’on tente de convaincre de consacrer une semaine de leurs vacances à venir manger sur le pouce, peu et souvent mal dormir et être sollicités à l’extrême tout en prenant quand même, il faut bien le dire, du plaisir. Assistance qui pour bon nombre de pilotes se réduit (sans que le terme ne soit lui réducteur) à l’épouse, la compagne, le copain qui va être là, aux petits soins, pendant toute la semaine. Reste pour ceux qui sont vraiment seuls la formule « solo » proposée par les organisateurs du Moto Tour qui, pour quelques euros de plus, proposent, en plus de l’engagement, couvert, nuitées et assistance technique. Une formule plus élaborée que celle des « malle-moto » dans le Dakar où l’organisation, se contente de transporter vos affaires.
Côté plaisir encore et pour parodier la phrase de Georges Clémenceau : « Le plus beau moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier », arrive le moment des reconnaissances des spéciales pour ceux qui en ont le temps et les moyens. Des recos prises généralement sur le temps des vacances. Là encore il faut arriver soit à faire partager sa passion, soit tout simplement convaincre sa moitié d’accepter de réduire le temps passé sur la plage au profit d’une escapade bucolique et champêtre dans nos plus belles régions de France. Ce n’est pas toujours gagné d’avance et ne peut se faire parfois qu’au prix de vraies futures vacances âprement négociées…
Enfin l’heure approche, la tension monte. Les sacs, les caisses, les équipements moto, les jerrycans commencent à envahir une partie de la maison ou de l’appartement alors, qu’enfin, les roadbooks sont mis en ligne. Enfin pas tous, d’autres seront donnés sur place la veille au soir de l’étape… Et là commence alors une autre épreuve, merci Mr Bournisien (David Bournisien étant l’homme, que dis-je le « sadique », qui conçoit et concocte ces roadbook de folie pour le compte du Moto Tour). Munis de ciseaux, de massicot pour les habitués, de scotch, de beaucoup de scotch, il faut alors couper en deux les feuilles A4 pleines de notes ou de signes cabalistiques pour tout profane.
Reste à les coller l’une derrière l’autre dans le sens de la longueur en prenant bien soin au passage de repérer et de mettre un coup de stabylo sur les stations-service identifiées pour, au final, faire un très long rouleau de papier que l’on accrochera ensuite, chaque soir précédent l’épreuve suivante, sur son lecteur de roadbook rétroéclairé. Bon certain aujourd’hui, appartenant à la génération des geeks, se targuant d’utiliser les derniers outils de la technologie moderne font l’acquisition de tablettes lectrices de roadbook leur épargnant ainsi cette tâche fastidieuse. Plus de papier donc, plus de ciseaux, pas de scotch, plus d’heures à transpirer sur les rouleaux mais…gare aux pannes informatiques ou aux problèmes d’alimentation en courant.
Enfin cette fois-ci c’est le grand jour, ou tout au moins la veille du départ, le jour où l’on se retrouve tous pour faire examiner et valider sa moto et son équipement. Le jour où la tension est à son paroxysme mais aussi celui où l’on retrouve, un an après, tous ces copains de galère ou de plaisir de l’aventure précédente. Ce jour-là on comprend que le Moto Tour fait tout oublier et est donc une raison de vivre, d’attendre, une véritable drogue en fait dont on devient, au fil des années, totalement dépendant. Un moment privilégié où l’on en « chie », où l’on est prêt à tout envoyer balader se promettant de ne plus jamais y remettre les pieds mais avec, ensuite, une seule idée toute l’année, celle d’y retourner.
Alors surtout Messieurs Sam Thomas, Marc Fontan et David Bournisien, sans oublier toute l’équipe, ne nous abandonnez pas. On sait que ce n’est pas facile de monter une telle épreuve par les temps qui courent mais surtout…continuez !
Commentaires
Genial! Rdv en 2017
17-10-2016 12:05