Radio Scoopie : Motard, mon frère, mon ami… mon ennemi !

Journaliste, reporter, grand reporter, chroniqueur radio et Rédacteur en Chef sur France Inter...

Serge Martin signe chaque 1er du mois une chronique radiophonique sur Le Repaire

Qui aurait pu imaginer, il y a seulement quelques années de cela, que la grande confraternité des motards puisse un jour être mis à mal par une histoire de marque ou…d’égo surdimensionné. Et pourtant, tous ceux qui roulent à l’extérieur des villes le savent bien. La reconnaissance mutuelle des conducteurs de deux-roues et le petit geste d’amitié qui va avec ne sont plus toujours ce qu’ils ont été.

Pour illustration je me souviens de cette traversée du Morvan, direction la Provence, au guidon d’une superbe VN 1700 Voyager empruntée pour l’occasion à la maison Kawasaki France pour en faire l’essai.
Sur une belle ligne droite entre Quarré-les-Tombes et Seaulieu, alors qu’un timide soleil tente de percer après une belle averse et que l’eau s’évapore par endroits telles les volutes d’un cigare posé sur le bord d’un cendrier, arrive au loin un autre motard.
Tandis que nos motos se rapprochent et que je distingue la silhouette d’une Harley Davidson, visiblement une Electra Glide, je vois le bras gauche de son pilote s’élever bien haut, la paume de la main ouverte en guise de salut. J’en fais de même, désireux de partager ce « salut motard », signe réjouissant d’appartenir à cette grande communauté fraternelle.
Mais alors qu’il ne reste plus que quelques dizaines de mètres avant de se croiser, je vois soudain le bras de mon partenaire de voyage se baisser brusquement pour reprendre la poignée… O infamie suprême pour un biker de la marque américaine, il vient de se rendre compte qu’il est train de saluer une Kawasaki, une Japonaise … et par conséquent un « ennemi » !
C’est à ce moment-là, geste regrettable et incontrôlable (je l’avoue) mais ô combien jouissif que mon bras, lui, reste levé et que ma main se referme pour ne laisser poindre vers le ciel que l’index… Oui je sais, ce n’est pas très beau, mais alors qu’est-ce cela fait comme bien…

Et dire que si à l’instant de cette rencontre je m’étais trouvé, genou à terre, en train de scruter le moteur de ma monture comme si elle était en panne, je suis pratiquement sûr que mon biker au blouson de cuir à franges se serait arrêté pour me demander si j’avais besoin d’aide.

Et c’est à ce moment-là, parodiant la chanson de Michel Sardou « Vladimir Ilitch » et invoquant le Saint patron des Motocyclistes, que j’ai eu envie de chanter à mon tour : « Saint Colomban relève-toi, ils sont devenus fous… ».

Mais que s’est-il donc passé pour que le dédain, que dis-je, le mépris, prennent ainsi la place de la camaraderie propre à notre grande confrérie ? Combien d’autres japonaises faudra-t-il encore voir brûler sur les autels enfumés des circuits endiablés pour qu’enfin sonne l’ère de la réconciliation.

Un temps où il n’y aurait plus de distinction entre les amateurs et possesseurs d’américaines, d’européennes et de japonaises. Un temps où le salut de la main serait le même pour tout motard venant à se croiser au détour d’une route, sans distinction de marque, de modèle, de cylindrée.

Et au-delà de cette reconnaissance mutuelle entre motards, de cette confraternité spontanée très souvent jalousée par les automobilistes, pourquoi cette camaraderie ne pourrait-elle pas revenir l’apanage de tous ceux qui prennent la route en deux roues ?

Je me souviens encore (oui je sais ça fait vieux con, mais n’est-ce pas parfois sur des souvenirs que l’on construit l’avenir ?), je me souviens encore disais-je d’une autre rencontre. C’était cette fois-ci sur la route Napoléon avec un scooter (quelle horreur !) chargé comme un baudet avec au guidon un jeune conducteur, tout sourire, visiblement heureux et fier à la fois de saluer le motard que j’étais.

Au guidon cette fois-ci d’une énorme Goldwing, la panacée des longs trajets, je n’avais pu m’empêcher de répondre à cette invitation spontanée, ravi à la fois de partager ce sourire et en même temps cet instant de complicité « routière ».

J’ai beau rester un indécrottable motard, rouler au quotidien sur une européenne, je n’en aime pas moins prendre le départ d’un Moto Tour au guidon d’une japonaise et de me sentir pleinement « aux diapasons » des autres concurrents ou bien alors faire un trip au long court dans les bras d’une belle américaine.

Mais quel que soit le choix de mon destrier, l’envie de partager ces instants de liberté reste l’essence même de ma passion originelle, celle de continuer à penser que tout motard croisé demeure un frère, un ami mais en aucun cas un ennemi.

Plus d'infos sur les radio scoopies

• Toutes les chroniques