Interview du nouveau propriétaire de Moto Morini
Rencontre avec Chen Huaneng : "Pas à Pas !"
Développement de nouveaux modèles, évolution de la production, nouveaux marchés ciblés, l'électrique...
Il y a aujourd'hui un engagement croissant de la Chine dans de nombreuses marques historiques italiennes, que ce soit à travers des rachats ou des accords de sous-traitance, qui incluent également la fabrication complète des motos en Chine destinées à la vente sur les marchés européens.
Depuis que Benelli a été racheté en 2005 par QJ/Qianjing - désormais intégré à l'empire Geely Auto de M. Li Shufu, propriétaire de Volvo et principal actionnaire de Mercedes-Benz - les constructeurs chinois se sont progressivement installés dans l'industrie italienne du deux-roues. Parallèlement à l'explosion de nouveau modèles de Benelli QJ, conçus en Italie et produits en Chine, son compatriote ShineRay a fait revivre la marque offroad SWM en rachetant l'ancienne usine BMW/Husqvarna sur les rives du lac Varèse pour y produire ses monocylindres tandis que les modèles routiers de 440 cm3 sont directement importés de Chine.
La marque historique des années 1970 Fantic Motor a été totalement relancée en 2014 et a depuis quadruplé sa production avec plus de 5.000 motos de 250 et 500 cm3, dont les moteurs viennent de chez Zongshen et sont assemblées en Italie. La marque FB Mondial fait appel aux mêmes moteurs Zongshen (d'origine Piaggio), mais fait également produire ses motos là-bas.
C'est maintenant au tour de Moto Morini de céder aux sirènes de l'Empire du Milieu avec la récente acquisition de Zhongneng, connu en Europe sous le nom de Znen Motor, qui compte poursuivre au moins à court terme la production dans l'usine de 3.000 m² du sud de Milan.
De l'autre côté, Zhongneng est installé à Taizhou à quelques kilomètres de Qianjiang. Fondée en 1987 par Chen Huaneng, toujours PDG, la société se targue d'être le seul constructeur chinois de scooters à avoir passé la certification du CARB (California Air Resources Board), une homologation importante puisque la marque est principalement destinée à l'export et distribuée dans près de 60 pays.
Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Monsieur Chen et de nous entretenir avec lui sur Zhongneng et le futur de Moto Morini.
M Chen, pouvez-vous nous parler de Zhongneng ?
J'ai ouvert ma société en 1987 en tant que fournisseur pour l'industrie moto. Nous avons commencé à produire nos propres motos et scooters à partir de 1998. Parce que nous sommes principalement tournés vers les ventes à l'export, nous investissons de façon continue dans la recherche et développement, si bien que que le Zheng Group est aujourd'hui le leader des sociétés chinoises en matière de certifications internationales ; nous détenons 65 certificats d'excellence en Europe et 52 en Amérique. Notre société occupe une usine de 240.000 m² avec plus de 700 employés. Plus de 75% de notre production est destinée à l'export. Par exemple, l'année dernière nous avons produit près de 160.000 machines dont 40.000 étaient destinés à notre marché intérieur et 120.000 à l'exportation sous notre marque ZNEN. Nous principaux marchés sont l'Europe et les Etats-Unis. Nous vendons environ 50% de notre production sur les marchés européens et 10% aux USA, nous sommes également présent au Moyen Orient, en Amérique du Sud et en Afrique du Nord.
Quelle est la part des modèles électriques dans votre production ?
Le segment du scooter électrique croit très rapidement. En 2016, notre production de scooters électriques atteignait environ 10.000 unités, puis 18.000 en 2017 et pour cette année nous allons atteindre les 30.000 exemplaires.
Tous sont-ils vendus en Chine ?
Non, nous ne les commercialisons pas du tout sur notre marché domestique, car en Chine il y a de nombreux constructeurs sur ce marché avec des prix trop bas, donc une moins bonne qualité. Nos produits sont de meilleure qualité et ne sont donc pas compétitifs sur le plan tarifaire en Chine. Tous nos scooters électriques sont donc destinés à l'export.
Comment se répartit la production motos / scooter ?
Sur les 160.000 machines, moins de 20.000 sont des motos, le reste sont des scooters. La plupart sont des modèles de moins de 200 cm3, tous avec des moteurs à essence. Nous n'avons pas de moto électrique.
Pourquoi avez-vous décidé d'acquérir Moto Morini, qui pour l'heure ne propose que des motos de grosse cylindrée ?
Nous avons pu voir qu'en Chine, en Asie du Sud-Est, mais aussi en Europe que les ventes de motos de grosses cylindrées progressent rapidement. Nous somme une société tournée vers l'international, nous devons produire ce que les clients veulent. Nous avons donc décidé d'acheter Moto Morini dans le but de poursuivre les ventes et d'améliorer leur gamme existante, mais aussi pour profiter de l'expertise des ingénieurs et designers Morini pour développer de nouveaux modèles de moyenne cylindrée depuis le 400 cm3, au 500 cm3, 600 cm3 et même 800 cm3. Nous allons considérablement étendre la gamme Moto Morini, mais nous ne proposerons pas de modèle de moins de 400 cm3. Nous allons porter une attention toute particulière sur les machines de 600 à 850 cm3.
Quels types de moteurs prévoyez-vous de développer pour ces modèles ?
Nous devons nous assurer qu'un de ces moteurs sera un V-Twin, c'est la marque de fabrique de Moto Morini depuis les anciennes 3 1/2 aux modernes Corsaro 1200 et Milano. Nous allons donc développer un V-Twin pour certaines machines de 650 à 850 cm3. Parallèlement à cela, nous allons aussi mettre au point une nouvelle famille reposant sur des bicylindres parallèles allant de 500 à 800 cm3. Tous les moteurs seront à refroidissement liquide avec une distribution par double arbre à cames en tête, 4 soupapes par cylindre et seront certifiés Euro 5.
Vous allez donc utiliser des plateformes moteur différentes pour différents modèles de même capacité ?
Oui. Pour les machines sportives nous allons conserver la tradition Moto Morini du V-twin, pour rester dans la même tendance. A l'inverse pour un trail de moyenne cylindrée nous utiliserons un bicylindre parallèle de même capacité qui convient mieux à ce type de machine.
Quand prévoyez-vous de lancer la production de ces nouveaux modèles, sachant que le développement d'un nouveau moteur prend habituellement trois ans chez les autres constructeurs ?
En fait, nous avons déjà débuté le développement d'un bicylindre parallèle de 500 cm3 l'année dernière. Nous serons en mesure de présenter un premier modèle l'utilisant lors du salon EICMA 2019 et nous débuterons la production d'ici juin 2020.
C'est rapide ! Benelli QJ, qui est aussi une propriété chinoise connait un véritable succès avec ses twin 500 comme la TRK et la Leoncino. Est-ce la raison qui a poussé le développement de cette plateforme ?
Qianjiang, le propriétaire de Benelli, est voisin d'à peine 40 km de notre usine de Wenling. Mais ils ont acheté Benelli il y a plus de dix ans et ils ont mis très longtemps à développer de nouveaux modèles ! Nous serons bien plus rapide, tout en conservant la qualité qui fait notre renommée. Nous pensons que pour Morini, nous avons besoin de trois ans pour compléter notre gamme.
Donc vous avez déjà commencé le développement de motos de plus grosses cylindrées avant l'acquisition de Moto Morini ?
Oui, mais nous avons réalisés que nous avions besoin d'une expertise européenne dans le design de nos machine et pour développer des moteurs de plus grosse cylindrée. Nous avons donc cherché un partenaire et trouvé Moto Morini qui était justement en vente. Nous avons entamé les discussions avec M Jannuzzelli, le précédent propriétaire, depuis le milieu de l'année dernière et nous sommes ravis d'avoir pu aboutir à l'acquisition d'une société italienne aussi historique.
Bien que le concept de la 1200 Corsaro ait plus de 10 ans, le moteur est toujours au niveau, avec d'excellentes performances et une conformité à Euro4. Mais il est toujours associé à une commande par câble ce qui veut dire que vous ne pouvez pas développer de modes de conduite ni les assistances électroniques que les pilotes attendent désormais. Avez-vous prévu de redévelopper le moteur Corsaro pour lui conférer une gestion électronique ?
Oui, nous allons nous attaquer à ce problème, car il sera difficile de passer Euro5 si nous ne le faisons pas. Nous avons déjà parlé d'Euro 5 avec l'équipe technique de Moto Morini et nous allons maintenant débuter les travaux de développement.
Prévoyez-vous de relancer d'autre modèles Moto Morini 1200, comme le trail Granpasso ou la Scrambler ?
Physiquement, la Granpasso est trop grande et à moins d'être une personne de grande taille, il est difficile d'être à l'aise dessus. Nous la ferons plus petite et allons aussi fabriquer un nouveau Scrambler bien plus petit que l'original pour qu'il convienne mieux à une utilisation urbaine.
Moto Morini a conçu des vélos électriques avec une certaine réussite. Prévoyez-vous de poursuivre ce projet et, avec votre expertise de l'électrique, de concevoir des scooters ou motos électriques Morini ?
Oui, c'est certain. Nous avons de tels projets en tête et ce sera une direction importante dans le futur.
De motos comme des scooters ?
Nous considérons les deux cas de figure, mais rien n'est encore confirmé. Nous devons discuter avec nos collègues de Moto Morini pour établir la bonne stratégie. Une possibilité serait d'utiliser notre plateforme de scooter électrique déjà existante, mais en la restylisant à la façon de Moto Morini. Nous allons quoi qu'il arrive étendre l'offre électrique de Morini au delà des vélos électriques qu'ils fabriquent actuellement.
Allez-vous poursuivre la production des motos Moto Morini en Italie ou ferez-vous comme Benelli QJ en conservant le design et le développement en Italie et en transférant la production en Chine pour réduire les coûts de fabrication et donc les prix de vente ?
Tout le processus de design des futurs modèles Moto Morini sera réalisé en Italie et la production des modèles 1200 y sera maintenue. Certaines pièces seront peut-être produites en Chine pour proposer des tarifs plus bas. Pour la gamme de V-Twin de 800 cm3, nous allons probablement faire appel à des fournisseurs à travers le monde et nous les assemblerons ici. Pour les twin parallèle de 500 cm3, nous n'avons pas encore décidé où ils seront produits. Tout dépendra des coûts car il s'agit d'un segment où le tarif est très important. Si nous arrivons à maintenir des coûts suffisamment bas, nous pourrons envisager de les produire en Italie. Mais si ceux-ci sont trop élevés, nous devrons le faire en Chine.
Prévoyez-vous de vendre les Moto Morini en Amérique de Nord ?
Oui, les Moto Morini seront commercialisées aux USA, mais pas les actuels modèle 1200. J'espère pouvoir entrer sur le marché américain à compter de juin 2020 avec notre nouvelle gamme et plus particulièrement les 500 et 800.
Mais pour cela, vous allez d'abord devoir créer un réseau de distribution américain. Quand commencerez-vous à travailler sur ce point ?
Les Etats-Unis sont déjà l'un de nos plus important marché car nous y vendons beaucoup de scooters et de petites motos, nous le connaissons déjà bien. Je pense que nous pourrons construire notre réseau assez rapidement.
Qu'en est-il des marchés émergents comme l'Inde, quels sont vos plans ?
Les marchés comme l'Inde se feront plus tard. Pour l'instant les principaux objectifs de Morini sont l'Europe et les USA. Nous allons aussi prendre en considération l'Australie où nous avons déjà commencé les études.
Quels sont vos plans pour l'usine Moto Morini de Trivolzio ? Sera-t-elle agrandie ?
A court terme, nous allons conserver l'usine telle qu'elle est en ajoutant, si nécessaire, de la main d'oeuvre pour intensifier le développement de nos deux nouveaux moteurs. Une fois que ceux-ci seront lancés, nous déciderons si nous avons besoin de l'agrandir. Nous avons déjà vérifié et il y a des terrains pour l'agrandir juste à côté. Mais, on y va pas à pas !
Commentaires
J'ai bien peur hélas que cet engagement massif chinois dans l'industrie moto italienne (mais pas seulement) ne soit qu'une étape vers une spoliation technique avant l'abandon pur et simple de la boite en question , tout en conservant le droit d'utilisation du logo de la marque ....Un seul exemple : l'usine de tracteurs YTO en Haute-Marne (ex IH ex New Holland , ex Mc Cormick)rachetéevoilà 2 ans puis fermée probablement cette année , maintenant que tout a été "enregistré" , retour en Chine ...[www.usinenouvelle.com]
10-01-2019 09:25Correctif : Rachetée en 2011 (8 ans)
10-01-2019 09:27"Pour la gamme de V-Twin de 800 cm3, nous allons probablement faire appel à des fournisseurs à travers le monde et nous les assemblerons ici."
13-01-2019 19:11On ne sait pas où a été faite l'interview, que faut-il comprendre par "ici" ? Italie ou Chine ?
Merci
ludo51> vus les volumes de production de Morini, il n'y a pas vraiment d'intérêt à les faire en Chine - d'autant qu'il n'y a pour le moment pas de marché local pour ce type de machine.
14-01-2019 16:30Cf le rachat de Benelli en 2005 (il y a 13 ans quand même) : je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que l'usine ait été déménagée ?
@reporter : 1200 et 800 en Italie, l'interview a été faite à Milan.
28-02-2019 11:35V