Les motards, c’est tous des connards !

Mon bonhomme tire à boulets rougis contre les motards

Mon bonhomme tire à boulets rougis contre les motards ; j’ai planqué mon casque pendant que j’affûte délicieusement ma réplique. C’est une situation chérie par la comédie de boulevard : la bévue.

Les vacances sont une occasion de touiller les couches de la société, particulièrement lorsque l’on s'écarte du catalogue standard des trafiquants de congés. Sur les chemins de Compostelle, on trouve de tout, du catho première pression à froid au baba qui divague sur la marche du monde.

Entre les deux, reste une frange singulière de la population venue chercher je ne sais quoi sur quelques kilomètres de randonnée pédestre. Moi ? J’avais besoin de dormir une nuit sans que ça me coûte 60 balles.

Quand je reviens de la cuisine commune avec mon oeuf sur le plat-tomate-demi boîte de thon vapeur, la discussion est accaparée par un quinquagénaire qui s’énerve tout seul - un motard lui a fait un coup de crasse aujourd'hui ?

- Faut voir comment ils roulent, ces gros connards ! A fond la caisse ! Ils doublent n’importe comment. Et en plus il faudrait se pousser pour les laisser passer. Non, mais n’importe quoi ! Vous ne pensez pas ?

Hochements de tête mous autour de la table. Que ta parole soit impeccable*, disait l'autre.

Zut ! Il a vu que je le regardais au lieu de fuir son regard. Il me prend à témoin :

- Je suis sûr que ça vous est déjà arrivé : ils ne laissent jamais passer. Ja-mais ! Quand il faut changer de file, on est tout le temps emmerdé par un motard… ou un groupe de motards qui empêche de manoeuvrer.

Je poursuis ma revue des Accords toltèques*. C’est bien le deuxième qui dit de ne rien prendre pour soi, non ?

- Et puis leurs pots d’échappement ! Il faudrait calculer le nombre de milliers de personnes qui sont réveillées chaque nuit en France par ces imbéciles. Je ne comprends même pas que ça soit légal à la vente ni ce que fait la Gendarmerie : c’est pourtant pas dur de les entendre arriver, de les arrêter, d'envoyer le véhicule en fourrière et de sévèrement punir ces délinquants !

Je pourrais avancer quelque chose à propos des généralisations abusives, mais avec 250 bornes de semi-montagne dans le guidon, je ne me sens pas trop d’attaque ce soir.

- Mais alors le bouquet, c’est ces petits cons qui font des roues arrière en ville. Quel genre de débile faut-il être pour faire ça ? Un piéton traverse et paf ! Ça fait un mort ! Un gamin ! Une femme enceinte !

Quelques-uns opinent autour de la table. Encouragé, il poursuit :

- Et puis il faut voir dans les banlieues, les rodéos sauvages sur des motos de cross, sans plaque, sans casque. On dira ce qu’on veut, mais tout le monde sait de qui il s’agit.

Tu ne feras point de suppositions*, ajoutait l'autre et il avait bougrement raison. Je sens venir une bonne grosse virgule sur terrain glissant qui va finir dans le bac à gravier...

Mais le bonhomme redresse la trajos : il s'est aperçu qu’il s’écarte dangereusement de quelques valeurs cardinales comme la tolérance ou le pardon qui ont encore cours ici -enfin, ici un peu plus qu’ailleurs.

- Je dis ça, mais j'ai rien contre la jeunesse, hein ? Moi aussi j'ai fait quelques bêtises quand j'étais jeune. Mais quand même. Faut pas pousser. Et puis tenez : le contrôle technique. Ou le stationnement payant. Tout le monde y passe, sauf les motards ! C'est pas scandaleux, ça ? Elles sont où, les valeurs de la république ?

Il s’arrête. Il a vu qu’il a perdu l’ensemble de son auditoire qui n’en a plus rien à secouer de ses histoires. Il tourne la tête, à la recherche d'un regard auquel s'agripper pour se sortir de cette perte d'équilibre accentuée par le silence qui se prolonge. J'ai malheureusement levé les yeux vers lui à ce moment-là.

- Et vous ? Vous faites quoi, dans la vie ? fait-il en posant ses couverts, soulagé de trouver une porte de sortie à l'impasse sociale dans laquelle il s'est fourré tout seul.

Je me penche vers lui par-dessus la table et dis très doucement, sur le ton de la confidence :

- Vous allez rire, mais…

* les quatre Accords toltèques, donc, auquel il manque le quatrième qui dit qu'il faut faire de son mieux. :

1. Que votre parole soit impeccable
2. Quoi qu'il arrive, n'en faites pas une affaire personnelle
3. Ne faites aucune supposition
4. Faites toujours de votre mieux

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