Kronik : Faire un café-racer mieux qu'eux

La production de motos artisanales me désespère : elles se ressemblent toutes. Mais est-ce que j'arriverais à faire mieux ?

La production de motos artisanales me désespère : elles se ressemblent toutes. Mais est-ce que j'arriverais à faire mieux ?

Quand je regarde ce que lézôtres font de leur poste à souder, je demeure dubitatif -pour rester poli. La recette semble toujours la même : enlever les garde-boue, poser des bracelets pour que la pépée sur la photo soit bien cambrée et que ça fasse du clic, mettre du scotch sur le phare, car rouler de nuit n'est plus à la mode, monter de tout petits clignotants parce que les autres n'ont qu'à être télépathe, boulonner une selle monoplace en authentique cuir de buffle à bec rouge des plaines d'Amazonie ‒insister sur le tarif prohibitif‒ et adapter le pot d'échappement le plus bruyant possible.

Je t'épargne le tournage du clip sur fond musical prévisible et mouvements de caméra horripilants. Je rigole juste en remarquant la trace de pneu qui finit dans le décor d'une précédente prise de vue ‒eh ouais : les gommes à crampons, ça tient wallou sur le bitume.

Si j'avais les compétences pour construire ma propre moto, qu'est-ce que je ferais ? Allez ! Allons-y à fond, comme ça on en sera débarrassé.

Non, non ! Lâche cette disqueuse ! C'est bien trop tôt. Je vais commencer sur une feuille de papier. Mais pas pour dessiner : d'abord, je vais définir ma moto. Décrire en trois mots ce qu'elle est. C'est une étape importante qui conditionne le reste. Voyons voir... Je le fais en direct devant la caméra pour faire genre on est dans le spontané, c'est ce que veut le script.

Dans l'ordre de priorités, cela donnerait :

‒ fiable ;

‒ rationnelle ;

‒ élégante.

On part là-dessus ?

Fiable, c'est facile, aujourd'hui. N'importe quel moulin grand public peut faire ses quatre-vingt mille bornes comme qui rigole, tant que les ouvriers qui l'assemblent ne sont pas pris pour des buses.

Rationnel consiste à éliminer ce qui ne sert à rien ; tous ces appendices en plastique ajoutés pour faire "bô" qui sont la marque des dessinateurs sans inspiration. Si la silhouette est tracée en plus de vingt secondes, je fais fausse route. Ce n'est pourtant pas dur de se rappeler de ses cours de géométrie euclidienne et plus précisément ceux sur les triangles semblables.

Élégante ? Ah ! Là, ça se corse. Parce que l'on entre ici dans un domaine délicat, où quelques degrés de plus ou de moins font la différence entre le banal et le subtil. Si j'avais du génie, je saurais instinctivement comment bien faire. À la place, je vais tâtonner : ajouter ici, ébavurer là. Comment m'y prendre pour enfin dessiner un joli carter de chaîne ? En utilisant plutôt un cardan ? Pas bête. Le compte-tours ? Remplacé par une unique loupiotte à cabochon de verre dont l'éclairage vert vire à l'orange puis au rouge à l'approche du limiteur ? OK, faisons cela. Je me demande si des chercheurs ont déterminé la manière la plus rapide de lire une vitesse sur un compteur. A-t-on besoin de plus de trois graduations (50, 90 et 130) en laissant au cerveau le soin d'interpréter les intermédiaires ?

Ici, si je te prenais pour un lecteur facile à berner, j'élaborerais la description d'une moto censément sortie de ma cervelle avant ‒surprise !‒ de dévoiler qu'en fait cette machine existe déjà et qu'il s'agit d'une [insère ici le nom du constructeur qui aurait sponsorisé cette Kronik]. Ha-ha-ha.

Mais non. Cette chute trop prévisible m'ennuie. Une pirouette de ce type rappellerait que je n'ai pas les compétences techniques pour faire une moto sur mesure, une fois passé le stade "je démonte les garde-boue, je pose des pneus à tétines et je repeins tout à la bombe noir mat, disques de frein compris" comme le gougnafier standard.

Logiquement, tu devais m'arrêter ici et me demander : "eh, mais KPOK, qui es-tu pour traiter de gougnafier un type qui, lui, ose faire ce que tu n'entreprends pas toi-même ?"

Mouais... J'aime pas trop quand mes fans pointent du doigt mes contradictions, en fait. Tu ne pourrais pas faire comme dans les commentaires des vidéos de présentation des café-racers mal gaulés susmentionnés et plutôt dire comment c'est carrément super-génial et que je devrais être embauché ‒c'est selon‒ par Top Gear, Ducati ou Yves Rocher ?

Ce serait mon cadeau de Noël ?

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