Essai moto Kawasaki Ninja ZX-10R
Le bon filon
4 cylindres en ligne, 998 cm3, 203 ch et 11,7 mkg à 11 400 tr/mn, 206 kg tous pleins faits, 19 399 euros.
Qui n’a pas eu sa sportive adulée, un jour, dans son cheminement motard ? On en a tous rêvé, on s’est serré la ceinture pour se la payer, puis le silencieux d’échappement, les pneus qui dégagent à toute vitesse, le quotidien égoïste, les points de permis qui volent… L’époque est aujourd’hui plus raisonnable que celle des années 80, quand la Suz’ GSX-R pointait en tête des ventes de moto en France. Le prix des sportives a depuis suivi celui de l’immobilier au cœur des métropoles : inabordable. En échange, elles donnent plus de 200 ch pour à peine plus de kilos, de l’électronique en pagaille et de la tenue de route dont on ne voit pas le bout, ainsi que des positions de conduite de plus en plus radicales. Si la plupart roulent sur circuit, quelques irréductibles résistent, on les croise parfois, on les envie, on les admire…
La Kawasaki Ninja ZX-10R 2021 s’adresse à eux. Moins puissante que les fougueuses Ducati Panigale V4, Honda CBR 1000 RR-R ou BMW M 1000 RR, elle les talonne, les domine même en compétition, tant en championnat de France Superbike, avec Valentin Debise, qu’en championnat du monde du même nom, aux mains du fameux Jonathan Rea. Surtout, elle se vit au quotidien sans abonnement (hebdomadaire…) chez l’ostéo, contrairement à ses concurrentes.
Découverte
La version 2021 évolue en finesse, à part le coloris spectaculaire, repris à la moto multiple championne du monde Superbike. La nouvelle robe induit un tout nouvel aérodynamisme, intégrant des winglets (appuis aérodynamiques, roooo, un effort), qui assurerait une plus grande pression de contact sur l'avant, de 17% selon Kawa. Mais on ne sait pas précisément dans quelles conditions, à quelle vitesse… En tout cas, ça en jette, voilà probablement l’essentiel. Les modifications apportées à la partie arrière créent une zone de basse pression derrière le pilote, qui contribue également à de meilleures performances dynamiques. La hauteur de la bulle a été augmentée de 4 cm. La version verte claque fort, joue franchement le jeu de la réplica de course, je la préfère moi à la version noire ; autant assumer complètement le fanatisme sportif.
Le tableau de bord, parfois critiqué les années précédentes pour son compte-tours à aiguilles, s’est fait écran contemporain, histoire qu’on ne se dépayse pas. Ecran TFT donc, de 4,3 pouces, avec connexion Bluetooth, dont on modifie les infos au commodo gauche, de manière assez intuitive. Le fond d’écran s’adapte à la luminosité, le chrono peut s’afficher en grand, les modes moteur se paramètrent rapidement tant qu’on reprend ceux prévus d’origine (Sport, Road, Rain, ce dernier délivrant seulement 50% des 203 ch). Il existe en effet des modes Rider, dont on sélectionne soi-même le mode moteur et le niveau d’intervention de l’antipatinage (S-KTRC). Il manque en revanche une jauge à essence. La centrale inertielle IMU à six axes gère le ride by wire, donc l’ouverture des gaz en fonction de multiples paramètres, mais aussi l’ABS (système KIBS), qui n’est pas déconnectable sur circuit. Pour la compétition, il faudra en passer par l’achat d’un faisceau kit Kawasaki, à environ 3 000 euros. Le Kawasaki Launch Control Mode (KLCM) permet des départs optimisés, façon GP. A l’opposé, la ZX-10R s’équipe d’un régulateur de vitesse, histoire de ne pas s’emporter sur autoroute et rester à 140 compteur, soit environ 6 500 tr/mn sur le sixième rapport. Economies de carburant et d’adrénaline garanties. Les poignées chauffantes sont en option, voyez si c’est une sportive qui aime la route…
La mécanique a subi peu de changements sur cette version 2021. Les trois premiers rapports de boîte de vitesse ont été raccourcis, ainsi que la démultiplication finale, qui reçoit une couronne de 41 dents, contre 39 sur l’ancien modèle. Le radiateur, auparavant doté d’un échangeur pour refroidir l’eau et l’huile, s’est scindé en deux parties distinctes pour chacun des fluides, avec une sonde propre, donc un refroidissement optimisé. L’essentiel a été conservé, avec les pistons de 76 mm (contre 80 mm pour la Honda CBR) et la nouvelle culasse arrivée en 2019. Le modèle racing, la ZX-10RR (produite à 500 exemplaires, permettant l’homologation de la moto de Superbike), reçoit les mêmes modifications, conservant ses pistons et bielles Panckl (elle développe 204 ch) et autres particularités.
La partie-cycle, enfin, évolue par petites touches, dont une majeure concerne la position de conduite. Position assise plus sportive : les demi-guidons ont été tourné vers l’avant, les repose-pieds remontés de 5 mm, sur les recommandations paraît-il de Jonathan Rea. La selle s’échancre au niveau du réservoir et permet un bon maintien au freinage.
Les modifications les plus importantes, si elles n’impressionnent pas, ont été pour la géométrie de cette partie-cycle. Le bras oscillant a pris 8 mm, son pivot dans le cadre a été abaissé d’1 mm et le déport de fourche a été augmenté de 2 mm, le tout pour favoriser la stabilité. Un nouveau ressort plus dur sur l'amortisseur Showa (qui passe de 91 N/mm à 95 N/mm) et de nouveaux ressorts plus souples sur la fourche (de 21,5 N/mm à 21,0 N/mm) assurent un meilleur équilibre, encore une fois dixit le champion du monde Superbike.
L'un des reproches signalés par de nombreux « pilotes » concernant la précédente ZX-10R était le fait que, malgré plus de 200 ch, la puissance s’appréciait uniquement dans la partie supérieure du compteur de tours (avec une valeur de couple maxi très haut placée, au-delà de 11 000 tr/mn). Sur la route, il manquait un peu de punch aux mi-régimes. Bien qu'aucune amélioration des performances n'ait été appliquée au modèle 2020 (il n'en a pas perdu non plus et se montre conforme aux normes Euro5), Kawasaki a résolu ce problème sur le modèle 2021 en travaillant sur la transmission. Deux dents supplémentaires sur la couronne arrière, ainsi que des rapports internes revus sur les trois premiers rapports, rendent la Ninja 2021 beaucoup prompte dans ses montées en régime. Il s’agit plus un patch que d’une solution parfaite, mais c'est un geste à l’attention des motards que nous sommes, sans rien enlever aux pistards.
En selle
La position offre plus de naturel, n’oblige pas à se recroqueviller ou allonger les bras. Quelques menus changements ont suffi pour avoir la sensation de mieux guider la moto, sans souffrir. Le tableau de bord, lisible, facile à manipuler, le shifter up and down efficace sur les bas et mi-régimes, la Kawa accueille mieux que la majorité des sportives contemporaines. Plus curieux, je ressens immédiatement, à la sortie du parking Kawasaki, une aisance à la faire tourner à très basses vitesses, dans les petits coins, alors qu’aucune modification de la partie-cycle n’est sensée améliorer l’agilité. Au contraire. Les pneus sont restés les mêmes, des Bridgestone RS-11. Seule même explication, la position de conduite. On n’insiste pas assez sur ce paramètre essentiel, qui d’ailleurs classe les motos par catégories : la différence entre un roadster et une sportive tient à la position et à l’absence de carénage du premier. Quelques millimètres de rotation sur des demi-guidons, un centimètre sur une platine repose-pied ou une selle plus haute peuvent tout changer. N’hésitez pas à adapter vos motos. C’est d’ailleurs la première chose que fait tout team de course digne de ce nom quand il accueille un nouveau pilote. On se souvient de Jorge Lorenzo chez Ducati… Les conséquences d’une position inadaptée se font plus cruellement sentir sur une sportive, exigeante. Idem pour les réglages de suspension, mais le rituel prend plus de temps.
Ville
Je parlais de mégalopoles plus haut. Un champ lexical qui convient mal à une 1000 conçue pour la piste. Le moteur progressif, le freinage doux au début du levier puis rapidement puissant, les suspensions adaptées aux défauts de revêtements abîmés par les camions aident à mieux vivre la ville à bord de la ZX-10R. La chaleur bien dissipée s’apprécie aussi, à la différence d’une Ducati Panigale V4 par exemple, insupportable par grosses chaleurs. La position finit par lasser, mais la Kawa se faufile bien, précise, rassurante. Le duo s’envisage en dépannage, le pilote veillera à être très doux, les commandes l’aideront. Il ne faut hésiter alors à reprendre l’embrayage plutôt que le shifter.
Autoroute
L’immense langue bitumeuse qui nous mène aux quatre coins de la France ne révèle par grand-chose de la Kawa, sinon que sa bulle, même rehaussée de 4 cm, reste trop basse. La seule raison de ce choix est à chercher du côté du look, pas de la performance, puisque toutes les Kawasaki officielles en course ont une bulle nettement plus haute (taper ZX-10R Superbike Jonathan Rea dans un moteur de recherche et vous le constaterez par vous-même).
Départementales
Après vingt ans d’essai moto, j’ai mes routes favorites, souvent les mêmes, idéales pour comparer les motos. De Marine, dans le Vexin, à Lyons-la-Forêt, aux confins de la Normandie, mon parcours est rodé. La ZX10-R surprend par son confort de suspension, qui devint un gage d’efficacité à un rythme relevé. La détente hydraulique de l’amortisseur contient les retours de chocs, la fourche, durcie de deux crans en compression par rapport à l’origine, s’enfonce progressivement, la moto reste toujours contrôlable, elle prévient, plus sensitive qu’avant. Elle conserve sa personnalité, un peu lourde, elle réclame l’engagement de son pilote lors de la mise sur l’angle, mais se montre plus facile et intuitive qu’avant. Sans rien perdre de sa superbe stabilité, au contraire. Le train avant est magique, précis. Le moteur paresse encore un peu sous 6 000 tr/mn, il devient enthousiaste aux alentours des 8 000 tr/mn et ça fait déjà très vite. Après 200 bornes de petites routes, de patelins, la fatigue est moindre qu’au guidon d’une Honda CBR ou Ducati Panigale et même qu’une Suzuki GSX-R 1000 plus pataude. Il me semble clair que la ZX-10R prend le pas sur toutes ses concurrentes sur route. Pour ses suspensions, son freinage, son moteur progressif, son homogénéité.
J’ai pris ensuite la Kawa pour me rendre, deux semaines durant, au boulot, à 40 bornes de chez moi, 60% d’autoroute, 20% de départementale et le reste de ville, ça faisait longtemps que je n’avais pas pesté de rouler autant en sportive, malgré le sac sur le dos, la circulation… Je ne dis pas que je ferais ça toute l’année, mais le souvenir récent des Honda et Ducati m’avait un peu vacciné, la ZX-10R m’a réconcilié avec le genre sportif.
Circuit
Kawasaki nous a prévu six sessions de roulage sur le circuit de Dijon-Prenois en ce début juillet, une piste conjuguant virages rapides et enchaînements serrés, idéale. La confiance ressentie lors des premiers kilomètres sur petites routes est instantanément revenue dès les premiers virages. Je redécouvrais ce circuit que je n’avais pas pratiqué depuis dix ans. Les virages en aveugle, les freinages sur l’angle, le dénivelé surprenant, un chouette terrain pour mettre la Kawasaki à l’épreuve. Là encore, le train avant s’est révélé le meilleur allié. Moins verrouillé qu’auparavant, il laisse plus de place au pilotage à l’instinct, sans nuire à la précision, voilà le plus gros point fort de la ZX-10R. L’agilité n’est pas encore au niveau des Ducati ou même BMW, l’engagement physique est encore important mais pas épuisant, grâce que le pilotage devient plus évident grâce à la position de conduite et à la stabilité, assurée par un empattement de 1450 mm.
Au fil des tours et d’une confiance assurée, le freinage, d’abord puissant finit par poser problème : le travail de l’ABS se fait ressentir, notamment au bout de la ligne droite, à plus de 290 km/h, avant de plonger dans un droite rapide. La distance de freinage s’allonge légèrement, pas génial.
Le moteur miaule jouissivement entre 8 000 et 14 000 tr/mn, grâce au silencieux Akrapovic monté par Kawasaki France. Il faut le tenir dans cette plage, sinon la moto peine à sortir des virages serrés. On l’aimerait quand-même plus expressif, plus vif aussi dans ses élans. Avant la dernière session, le Bridgestone arrière avait donné tout ce qu’il avait, bien mâché, j’ai pu alors découvrir les effets de l’antipatinage, en position 1. Il se déclenche en douceur, sans perturber l’équilibre de la moto, une électronique au top. Le shifter se montrait en revanche parfois récalcitrant au rétrogradage.
Là encore, la bulle trop basse engendre des mouvements d’air, des pressions sur les épaules. Le haut du corps paie le prix concédé au design. Ou notre portefeuille si on choisit une adaptable…
Partie-cycle
Encore une fois, l’immense qualité de la ZX-10R se dévoile dans la confiance qu’elle procure, la stabilité de son train avant, la plus grande facilité de guidage permise par la position de conduite. La grande qualité des suspensions Showa y est aussi pour quelque chose. Difficile de perturber la Kawa, même en la brutalisant. Elle y perd un peu en agilité. Avec quelques kilos de moins, notamment sur les jantes (les Marchesini de la version RR doivent améliorer la vivacité).
Freinage
Des étriers monoblocs Brembo M50, des disques de 330 mm, une fourche de grande qualité, tous les éléments étaient réunis pour que le freinage ne prête pas le flanc à la critique. C’est le cas, sauf sur circuit, quand l’ABS entre en action, de manière très discrète mais il incite à ne pas repousser les limites, contre nature pour une sportive.
Confort
La selle, large sur l’arrière, bien rembourrée, s’allie aux suspensions pour un confort agréable pour une sportive. La position de conduite ne ravage pas les poignets, mais ce n’est ni un trail, ni une routière, tout cela est à prendre avec des pincettes. On apprécie les joies de la pause café, coup d’œil sur les réseaux sociaux et j’en passe. Elle fait mieux que ses concurrentes en matière de confort, GSX-R y compris.
Consommation
Mes relevés concernent des mix de route, autoroute et ville, à allure variée mais sans excès, les points de permis coûtent une blinde. Je n’ai jamais réussi à descendre sous les 7 litres au 100 km, soit une autonomie d’environ 250 km avant réserve, le réservoir contenant 17 litres. Les jours d’enthousiasme, j’ai pu passer au-delà des 8 litres au 100…
L'essai vidéo de la Kawasaki Ninja ZX-10R 2021
Conclusion
De série, la Kawasaki ZX-10R ne surclasse pas ses concurrentes en termes de sportivité pure, hormis la Suzuki GSX-R 1000. La Ducati Panigale V4, l’Aprilia RSV4, la Honda CBR 1000 RR, la Yamaha R1 tranchent plus vif dans la radicalité. Sous réserve bien sûr d’un comparatif qui mettrait cette affirmation en évidence et je ne saurais trop supplier notre chef à tous, David, de l’engager. Odieux chantage, hé hé.
Mais elle dame le pion à toutes ces motos, à n’en pas douter (juste un peu, sinon pas de comparatif…), sur le plan de l’homogénéité, du compromis parfait entre sport et route. Elle réunit toutes les cartes pour cela, de la qualité des suspensions à la progressivité du moteur, malgré tout puissant, en passant surtout par la confiance que permet la partie-cycle. Kawasaki renoue avec une sportive possible à vivre et capable d’emmener le plus grand nombre d’entre nous sur circuit sans qu’on envidage ses limites. Son équipement de série et son tarif (élevé dans l’absolu mais raisonnable comparé aux Honda, Ducati ou Aprilia, à plus de 20.000 euros) la placent au niveau d’une Yamaha R1, une référence.
Points forts
- Stabilité
- Facilité de prise en main
- Qualité des suspensions
- Puissance moteur progressive
Points faibles
- Manque de sensations moteur
- Bulle peu protectrice
- Shifter parfois récalcitrant au rétrogradage
La fiche technique de la Kawasaki ZX-10R
Conditions d’essais
- Itinéraire : au quotidien et sur circuit
- Kilométrage de la moto : - km
- Problème rencontré : ras
Equipement essayeur
- Casque HJC RPHA 11
- Combinaison Spidi Track Touring (circuit)
- Blouson Helstons Rocket Marron (route)
- Gants Furygan F-RS1
- Bottes Sidi Rex
Commentaires
Aprilia RSV, ça dépend, il y a la «non» Factory à 18000 et quelques ¤, peut-être davantage comparable.
16-07-2021 10:56Sinon, en terme d'homogénéité sur route et circuit, même si elle est 40ch moins puissante, il y a aussi la Ducati Panigale V2 à considérer, non? Je l'ai trouvée géniale sur route