english

Une Cachalotte pour Nathalie

"J'ai trop peur pour monter à moto".

En une phrase, la selle passager de Cachalotte a perdu tout attrait. Mais est-ce vraiment fichu ?

"J'ai trop peur pour monter à moto". En une phrase, la selle passager de Cachalotte a perdu tout attrait. Mais est-ce vraiment fichu ?

Une Cachalotte pour Nathalie (c) photo : Lucas Gasparotto
Une Cachalotte pour Nathalie (c) photo : Lucas Gasparotto

Il est des jours particuliers où les événements s’affolent, se pressent, serrés, touffus. Comme ce jour où, le matin, Agnès m'a dit "non" -gentiment, certes, mais non quand même. Alors mes volets d'ailes et d'empennages se sont arrachés et j'ai décroché, toute sustentation enfuie, droit vers le sol.

Or, c'est un de ces jours particuliers où les événements se pressent, s'affolent. En voyant ma tête, Éric m'a dit :

- Viens quand même avec nous ce soir. On n'est pas nombreux. Ça va te changer les idées.

J'ai dit oui.

Dans le troquet, je léchouille un Perrier-grenadine en bout de table, pas vraiment à l'écart, mais pas vraiment là non plus. À l’extrême opposé de la tablée est assise une grande blonde que je ne vois pas pour la première fois, mais à qui je n'ai jamais parlé. Je ne sais pas d'où elle vient.

Fifi, assis tout exprès à côté d'elle, est sous le charme : il en fait des caisses. Il roucoule et trucule et rigole trop fort. En face, Jean-Lou surenchère. Pauvre jolie blonde. Mais je ne suis pas d'humeur à la tirer de ce traquenard : c'est une grande fille, qu'elle se débrouille, après tout.

Il est maintenant près de onze heures. Le troquet va fermer. Je bâille. Cette journée m'a rincé. Un petit silence flotte, un court moment. Je lève les yeux et croise le regard de la belle blonde du bout de la table.

Et là... il s'est passé quelque chose. Quelque chose de très étrange. Comme si en un instant, en un battement de paupière, je lui avais raconté toute ma vie et que j'avais tout appris de la sienne. Mais pas avec des mots. Avec des... trucs bizarres, des glyphes, des symboles qui valent chacun cent mille paroles. Un clignement d'oeil et tout est achevé.

J'en suis éberlué. C'était quoi, ça ?

Des raclements de chaises. Certains se lèvent : il est temps de partir. Je suis le mouvement. Blousons et casques. Gants et tours de cou. Ma fascinante blonde n'a rien de tout ça : elle doit être à pied, ou en voiture. Fifi et Jean-Lou s'entêtent, maintenant debout. Jean-Lou, surtout, qui a nettement franchi les limites de sa bulle d'intimité. Elle recule, puis fait adroitement le tour d'une table pour se mettre hors d'atteinte. Elle se réfugie sous son gros bonnet fuchsia.

J'hésite. Un battement de coeur.

Je n'hésite plus.

Je me fraye un chemin vers elle. Je ne la quitte pas des yeux. Elle me voit et soutient mon regard. J'ai peu de temps, avant que nous ne soyons emportés par la foule. Je lui dis, très vite, dans un souffle, penché vers son oreille pour que personne n'entende :

- Vous aussi, vous avez senti ?

- Oui.

- Revoyons-nous demain ? Ici ?

- D'accord.

Je la regarde mieux. Le ciel, les jours joyeux, emprunte la couleur de ses yeux.

En un instant, j'ai retrouvé mes volets et mes gouvernes et je remonte à la verticale, droit vers l'azur, manche au ventre, gaz en grand, +15 de boost à l'admission, à en arracher les ancrages moteur.

Le coeur a une curieuse manière de faire de la place, n'est-ce pas ?

Mais nous sommes là pour parler bécane. Pourtant, c'est mal parti :

"J'ai trop peur pour monter à moto. Je ne me sens absolument pas en sécurité à rouler aussi vite avec rien autour de moi pour me protéger".

Cela sonne le glas de Cachalotte, de sa grosse selle passager, de son couple pour deux, de ses valoches pour les voyages, de son amortisseur indulgent.

Pourtant...

Pourtant je pourrais quand même faire quelque chose. Quelque chose d'un peu osé.

Alors nous sommes descendus au parking souterrain. J'ouvre la porte du box. Je sors ma machine pour qu'elle la voie mieux.

- Voilà, c'est Cachalotte, ma moto.

- Elle est grosse. C'est un scooter ?

- Non, ça en a l'air, mais c'est bien une moto. Je l'ai choisie pour pouvoir rouler à deux. La selle est confortable. Tiens, essaye.

Je monte à bord, relève la béquille et lui dis :

- Pour monter, tu peux soit lancer la jambe derrière, soit enjamber. Ensuite, tu poses tes pieds là et là, sur les cale-pieds. Monte !

Elle s'exécute. Assise, elle cherche un moment sa position.

- Ça va, je ne suis pas trop mal installée.

- Pour te tenir, tu serres mon bassin entre les jambes. Si on avait des casques, il faudrait faire attention à tenir ta tête, mais là, tu peux faire quelque chose de tout à fait inhabituel : poser la tête sur mon épaule.

C'est bizarre d'être à moto et d'avoir des mèches de cheveux qui me chatouillent la joue.

- Si j'appuie sur ce bouton, le moteur se lance.

Vroum ! Le sifflement caverneux du twin remplit le garage. Je hausse la voix pour me faire entendre :

- Ici c'est le compte-tours ; là c'est la poignée de gaz. Ce n'est pas comme en voiture.

Je fais monter le régime. 2.500 tours, c'est bien suffisant. Le moteur gronde. Elle ne dit rien, le menton toujours posé sur mon épaule, les bras autour de mon ventre.

- Si j'appuie ici, ça fait klonk.

Klonk !

- Et j'ai enclenché une vitesse. Et si je tourne la poignée de gaz...

Cachalotte démarre doucement. Je l'ai senti sursauter.

- Ça avance tout seul, au ralenti. C'est comme en voiture. Mais c'est plus sec à l'accélération. Accroche-toi.

Elle se raidit dans mon dos. J'ouvre le plus doucement que je peux. Mille cinq cents tours, pas plus. Il ne faut pas que je lui fasse peur. Nous avançons au pas dans le parking.

Même pour moi, c'est étrange de rouler tête nue, de sentir les commandes sans les gants. Les poignées me donnent l'impression d'être toutes fines.

- Ça va ?

Elle fait oui de la tête. J'arrive près de la porte du parking. J'amorce un demi-tour prudent puis je repars dans l'autre sens, en roulant un peu plus vite, peut-être vingt à l'heure. L'air froid donne une impression de vitesse. Arrivé près de l'entrée de mon box, je freine doucement, m'arrête, passe au point mort et coupe le moteur.

- Pour descendre, tu glisses ton pied gauche au sol, puis tu envoies la jambe loin au-dessus de la partie arrière en te tenant à moi pour garder l'équilibre.

Je sors la latérale et descends à mon tour.

- Voilà. Tu as fait un tour de moto dans ta vie.

Je replace derrière son oreille une mèche de cheveux, dérangée par le vent de la course. Mon adorable blonde avec ses yeux couleur de ciel joyeux.

De l'index, elle me met une petite tape sur le nez et me dit, sur un air de faux reproche, en souriant :

- T'es un p'tit malin, toi.

- Oh... tu n'imagines même pas à quel point.

Plus d'infos sur les motos et les SDS

Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

Torpédo

Ah oui... Alors là j' aime parce que ça me rappel des souvenirs.
Lointain, comme tous les souvenirs, mais maintenant tellement présents...
Merci.

19-12-2023 07:45 
Goupil62

J'ai fait de même avec ma deuxième femme, qui avait une peur incommensurable de la moto parce qu'elle avait eu un accident en mobylette lorsqu'elle fut adolescente.

Donc, j'ai sorti la pédagogie des grands jours & à aucun moment, je ne l'ai forcée à être passagere.

Le remède fut une attente dans les bouchons parisiens & de voir les motos passaient allègrement en inter-files, à déclencher chez elle un sursaut de courage.

La suite fut une sinécure & nous avons commencé les balades motos. Courtes puis de plus en plus longues pour atteindre l'Italie, l'Espagne, la Corse, etc.

Ah, l'amour fait de belles choses 🤣

19-12-2023 08:50 
jojooo

... la moto aussi !

19-12-2023 09:56 
l'haricot

"J'emballe en integra". On dirait un titre d'un épisode d'X-files....

19-12-2023 11:02 
Nells

OK pour faire un tour oui..

19-12-2023 12:18 
Daniel_San

Hé hé... ma femme s'appelle justement Nathalie.
Quand je l'ai rencontrée, elle n'a pas arrêté de me chambrer : "quand est-ce que tu m'emmènes faire un tour ?".
En fait, elle avait envie de passer son permis depuis des années. Et elle a franchi toutes les étapes : d'abord SDS (le temps de s'équiper) puis 125, A2, puis full, et maintenant elle fait des inclinaisons de dingue et me sème dans les virolos quand elle veut...
Bon je vous laisse, faut que j'aille briquer ses jantes et lubrifier sa chaine clin d'oeil

19-12-2023 17:27 
Meuldor

Délicate stratégie, jolie victoire. Moi c’est une brune aux yeux noisettes que j’ai mis en confiance. Mais pas eu besoin de la case parking pour la première fois. Par contre j’ai intérêt à pas brusquer la belle sinon…

19-12-2023 18:49 
troncherouge

Moi c'était cuir râpé, bol d'or au pied intégral Nava et foulard au cou. Elle a fait un tour de Honda et une semaine après elle lourdait son bourge de dentiste promis au grand dam de ses bourges de parents.40 ans que cela dure toujours avec des soubirac aux pieds, un blouson noir été comme hiver mais plus de Nava. On est pas vieux, simplement âgés et quand elle grimpe derrière c'est toujours la même rumba.

19-12-2023 23:39 
Picabia

J'ai toujours roulé en solo et je roulerai toujours en solo, je dégage les cale-pieds arrière en premier.
Si tu veux devenir motard lance-toi dans le grand bain et fait tes classes, 125, A2 et A, tu ne dois dépendre de personne, surtout pas d'un mec. C'est le discours que j'ai tenu à ma femme et à mes filles.
Ca a été bien reçu et cela a plutôt bien fonctionné jusqu'à maintenant au delà de mes espérances. Et j'ai surtout échappé aux discours féministes à la noix.

20-12-2023 11:52 
Bee Loo

"Le ciel, les jours joyeux, emprunte la couleur de ses yeux." C'est joli ! Ca fait un peu Cabrel, en mieux ...

20-12-2023 15:13 
Meuldor

Picabia ou la sensualité à fleur de peau 🤣. Pardon 😇

20-12-2023 18:16 
Picabia

C'est le principe de réalité, je ne vais pas roucouler comme un jeune premier boutonneux.En plus que ce soit en littérature ou musique, les romantiques m'ont toujours emmerdés.
Parce que "sac de sable" c'est romantique ou les nanas aux cheveux peroxydés et porte jarretelles des bikers c'est mieux, je voulais seulement qu'elles agissent en femmes libres.

21-12-2023 00:01 
dood

Alors que la question sous-jacente et néanmoins cruciale est: cachalote est elle une pacific coast?
( pas la peine d’essayer de m’attendrir par des digressions romantiques monsieur)

21-12-2023 06:33 
fift

Non. On y a tous pensé aussi mais ce n’est pas ça.

21-12-2023 08:03 
KPOK

je voulais seulement qu'elles agissent en femmes libres.

Ou qu'elle s'ajustent, bon gré, mal gré, à ta définition du modèle féminin ?

21-12-2023 09:08 
38GiB

Salut

Citation
Je me fraye un chemin vers elle. Je ne la quitte pas des yeux. Elle me voit et soutient mon regard. J'ai peu de temps, avant que nous ne soyons emportés par la foule. Je lui dis, très vite, dans un souffle, penché vers son oreille pour que personne n'entende :
- Vous aussi, vous avez senti ?


C'est l'image qui m'est venue...j'aime

[www.facebook.com]
V

21-12-2023 09:39 
Picabia

Kpok vu par une femme c'est différent que par un homme.La vision binaire de la femme c'est fini. C'est peut être parce que j'ai vécu dans un univers composé que de femmes. Mon frangin pense comme moi. Culture nordique.

21-12-2023 13:43 
inextenza

En l'occurrence c'est toi qui semble avoir une vision binaire.

En tout cas quand nous promenons je n'interdis pas à ma compagne de monter derrière moi plutôt que de sortir sa propre moto... elle a un choix totalement libre, choix que tu ne donnerais pas de manière assez dogmatique...

21-12-2023 17:12 
Picabia

Choix parfaitement assumé par mes femmes après avoir goûté à l'arrière de la selle.
Vous voulez être actives ou passives? Et comme elles sont sportives (école du cirque), elles ont choisi la première solution.

21-12-2023 18:04 
inextenza

Pas convaincu qu'elles aient eu le choix. Même inconsciemment.
Et c'est donc bien du binaire: ce n'est pas désagréable de voguer de l'un à l'autre selon les cas et son humeur.

22-12-2023 14:36 
Picabia

Quand j'ai rencontré ma femme j'ai été parfaitement clair on partage tout à 50/50 et c'est encore le cas. Chacun son compte,chacun travaille, partage des tâches et des dépenses.
Idem pour les enfants, je ne les oblige en rien qui ne soit pas en accord avec leur choix. Je suis nul au foot et je déteste ça, quand mon fils a voulu en faire, je me suis investi dans le club, c'était une évidence pour moi.
Nous avons été élevé dans cet esprit c'est notre culture.

23-12-2023 13:13 
 

Connectez-vous pour réagirOu inscrivez-vous