Kronik : Les Infourguables

Les bécanes qui collent aux petites annonces comme le riz au lait trop cuit au fond de la casserole

Il y a des bécanes qui collent aux petites annonces comme le riz au lait trop cuit au fond de la casserole. En gros, soit t'as un machin bizarre dont personne ne veut, soit t'as une bécane comme-tout-le-monde sans intérêt.

- Tu cherches pas une nouvelle moto, des fois ?

La question me surprend, parce que je ne savais pas Christophe motard ; il est conducteur de ligne dans le bâtiment d'à côté et fréquente donc rarement le troupeau officiel de tarmos des lignes 7, 8 et 9. Pour une fois, il a poussé jusqu'à nos machines à café.

Je hausse les épaules :

- C'est quoi ?

- Cagiva Navigator.

Je grimace :

- Ouille. Pas facile à vendre.

- Oui, ouille, comme tu dis. C'est impossible à revendre. Impossible. J'essaye depuis huit mois, à un prix ras des pâquerettes et ça part pas. Même quand je précise que c'est le moteur de la TLS et que donc les pièces se trouvent chez Suz'.

- Le problème, c'est qu'il y a marqué Cagiva dessus et que dans la tête des gens ça vaut à peine plus que du scooter chinois acheté au kilo.

- Bah ouais. Mais c'est con : c'est une bonne machine. Aussi bien qu'une Africa-Twin. Boarf... ça rouille un peu, mais faut juste le savoir et faire gaffe.

Fifi déboule bruyamment :

- Ben alors ? T'es perdu Cri-cri ? Ou t'es venu voir comment ça se passe chez les hommes, les vrais ?

Je smashe :

- Ouais, pour les hétéros, ça se passe dans le bâtiment 2 maintenant.

Fifi me colle une taloche, mais pas méchamment :

- Oh ! Toi par contre, tu vas finir dans le bâtiment des traîtres si tu continues. Vous causiez de quoi ?

- De bécanes infourguables.

- Et qui vend quoi ?

- Moi. Une Cagiva Navigator.

- C'est quoi, ce truc ?

- Une Varadero à moteur de 1000 TLS, résume Christophe.

- Connaît pas, répond Fifi avec une moue. Mais par contre, ya Alain qui vend sa Honda. Une VF... truc. Une jolie chiotte avec des jantes à trous, noire et rouge, années 80.

- Une VF-F ? demande Christophe.

- Il me l'a dit, mais j'ai oublié. Pis sinon ya toujours Sabine qui vend son scooter. Un Peugeot 125. Ça t'intéresse pas, toi ? demande-t-il en se tournant vers moi.

- Je l'ai vu, son Elyseo. Pas pour moi. Trop moche -pourtant, je m'y connaît, en moche. Et puis de toute façon j'ai déjà ce qu'il me faut en 125.

Un silence. Fifi touille machinalement son café qu'il prend pourtant sans sucre. Le Alain dont il est question s'approche de notre tablée.

- Alors ? toujours pas vendue, ton italienne ? lance-t-il en guise de salut à Christophe.

L'intéressé soupire :

- Nan. Et toi, c'est quoi ta bécane ?

- Une VF-F 750. Ni-ckel. 1985, 42.000 kilomètres, noire et rouge, toujours bichonnée. Pas un pet. Une affaire en or. Les Honda de cette époque sont increvables.

- Allez ! Elle a trente ans ta charrette. Un train avant de camion, des freins en bois et des pneus de mob', vanne Fifi.

- Pfff... Tu causes de ce que tu connais pas.

- Bah... Au pire vous faites un échange, tous les deux.

Christophe et Alain se regardent, dubitatifs.

Nouveau silence. Un coup d'oeil à l'horloge : on prend dans 8 minutes. Christophe ramasse son gobelet vide et résume :

- En gros, soit t'as la bécane qu'il y en a des brouettes pareil que la tienne dans les annonces et t'es obligé de brader pour vendre, soit t'as un machin que personne ne sait plus que ça existe et on t'en propose une misère, qu'à la limite ça vaut même pas le coup de poster l'annonce vu les trouducs' que t'as au téléphone après.

Il balance son gobelet dans la poubelle et nous laisse.

Je vais en chier pour fourguer le Bourgeman.

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