Le Bouclard : Vincenzo

3ème épisode de la saga de l'été

Des immeubles et des gens, un camion solitaire:
Nous entrons dans la ville et l'air devient plus vif;
Nous rejoignons enfin le mystère productif
Dans le calme apaisant d'usines célibataires.

Du brouhaha dans l'entrée. La porte s'ouvre : les habitués rentrent de déjeuner. J'ai la tête coincée entre la centrale et le bras oscillant de la FJ en essayant de voir où ce foutu boulon de fixation peut bien être planqué sous la crasse et le cambouis maintenant que Jeff a viré la roue arrière. Je grogne un vague bonjour aux arrivants.

Un raclement métallique au-dessus de moi. Je recule vivement et la chaîne secondaire de la FJ chute pile là où était ma tête deux secondes auparavant.

« Putain ! Vincenzo ! »

Le concerné ricane.

« Tu fais chier, Vince, renchérit Jeff.
- Oarf ! C'est bon, là ! lâche Vincenzo. Il n'aime pas se faire rembarrer par Jeff.

Vincenzo, c'est un paradoxe sur deux jambes. Scrupuleusement honnête comme peuvent l'être les voleurs, hygiène de vie déplorable autant qu'il est maniaquement propre, fauché comme les blés mais le porte-monnaie toujours ouvert pour les copains. Je le comprends rarement et suis incapable de prévoir ses réactions. Je ne sais même pas quel âge il a. Une grosse vingtaine, peut-être ?

Au sein du Bouclard, il s'est attribué le rôle de désosseur : il récupère sur les épaves tout ce qui peut resservir : visserie, caches plastiques, faisceau électrique, roulements, ressorts, fourche, maître-cylindres, étriers, disques, rétros... Il a appris sur le tas avec son oncle, au bled : il séchait les cours pour venir l'aider à l'atelier. Sans diplôme, il s'y connaît presque autant que Jeff, mais sans diplôme, il galère pour trouver un vrai taf'.

Il roule souvent sur des bécanes prêtées par Jeff, qui évite les motos trop voyantes puisque bien évidemment il n'a que le permis B. Du coup Vincenzo râle et fait des pieds et des mains pour obtenir une ZZR à la place d'une GS-E ou une KLX-R supermot' plutôt qu'une XT. Jeff tient bon : il a vu conduire le phénomène. Sinon, Vincenzo est tout ce qu'il y a de plus officiellement propriétaire d'un Peugeot SV 80 dûment assuré et aussi homologuée qu'à sa sortie d'usine. Paradoxe.

Je le vois du coin de l'oeil : il est assis au bureau et feuillette une RMT. Il a lu toute la collection et révise régulièrement. Quand Jeff l'envoie chercher une Revue rue de Rennes, il y va toujours en métro pour pouvoir lire l'ouvrage avant tout le monde. Ce qui fait que quand un remontage tourne au calvaire, il lui arrive parfois de trouver la solution grâce à tout ce qu'il a appris de ses lectures. Il ne faut juste rien lui demander en électricité : il est encore plus mauvais que moi.

A tout hasard, je demande :

« Il est fixé comment, l'amorto, sur une FJ ? »
- Montage classique : deux vis plus écrous freinés. Démonte l'amorto complet avec les biellettes : faudra changer les joints toriques et graisser les axes, répond Vincenzo sans lever les yeux de son livret.

Voilà. Quand tu as une question théorique en mécanique, demande à Vincenzo. Pour la pratique, demande à Jeff. Et ne laisse pas traîner tes clefs de bécane, des fois que Vincenzo te l'emprunte sans trop te demander si t'es d'accord. Il est toujours de retour une heure plus tard avec le plein fait, mais ça peut agacer.

A SUIVRE... LA SUITE MARDI PROCHAIN, MEME HEURE...

Plus d'infos sur les kroniks de l'été

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