Le Bouclard
1er épisode de la saga de l'été
Lorsque j'y ai z'été, pour la première fois
C'était en février mais il ne faisait pas froid.
Dans une rue anonyme en proche banlieue parisienne. Immeubles de briques jaunes, balcons de fer noirs. Au bout, en simili-impasse, un massif portail métallique d'usine, peint en vert qui vire au gris avec le temps. Ceux qui l'ignorent passent sans voir l'entrée du Bouclard. Une porte cochère comme une autre, avec, pour en barrer l'accès, une jante de 4L remplie de béton d'où émerge une cornière peinte en rouge servant de support à un panneau d'interdiction de stationner. La jante a dessiné une famille de cercles de rouille sur le bitume au ras du trottoir.
Pas d'interphone ou de digicode : une sonnette à fine rondelle de pierre sombre, au bouton poli par un demi-siècle d'utilisation. A l'intérieur, la lourde crémone fonctionne de manière inhabituellement fluide ; les battants s'ouvrent sur des gonds qui laissent suinter un peu de cette graisse au bisulfure de molybdène.
Sous le porche, une traditionnelle porte vitrée donne accès aux étages. Une rangée de boîte aux lettres. Au fond, une autre porte à double battants à grands panneaux de verre cathédrale. Le très observateur aura peut-être remarqué des éraflures sur la faïence du sol, à peu près au milieu du porche : les marques laissées par les béquilles latérales déployées à cet endroit pour pouvoir ouvrir la porte du fond.
Celle-ci donne sur une petite cour intérieure bétonnée. A l'extrémité, un bâtiment banal de facture industrielle, peint en blanc. Porte de bois sans fioritures, juste une bande bleue roi horizontale. Taches de doigts gras autour de la poignée, lunule sale à l'endroit où tous posent la main pour refermer l'huisserie. Pousse la porte et te voilà dans un hangar rempli de motos. Le plafond, haut, en fibre de verre jaunâtre, donne des couleurs de polaroïd défraîchi à la lumière. Au sein même du hangar, une autre construction plus petite de dix mètres sur sept : le coeur du Bouclard.
Dès l'entrée, une GPX de cylindrée incertaine exhibe sa chaîne de distribution, coincée par un fil de fer. Puits de bougie bouchés par de l'essuie-tout. Réservoir tête-bêche sur la selle. Feuille de carton maculée d'huile sous le moteur. Couche de poussière grise sur les compteurs. La clef est sur le contact. Celle-là pourrait-elle reprendre vie ? A côté, une DTMX blanche, rétros repliés, intacte d'apparence. Puis une Zephyr 750 au réservoir éventré ; fourche tordue qui vomit un ressort au ras du té de fourche inférieur. Elle a la couleur des motos qui attendent le broyeur : marron fade, pneus déjà gris, résignés.
Aux murs, des jantes, des guirlandes de lignes d'échappements, des guidons, des pièces de carénage tiennent grâce à de longs pitons vissés. Blancs Yamaha, jaunes Suzuki, verts Kawasaki, gris Honda. Au milieu, une tête de fourche de SS Ducati complète avec phare, bulle et rétros, comme un trophée. Affiches publicitaires pour des motos aujourd'hui sans cote.
L'air sent le garage : huile froide et pneus, avec sous la langue le goût acide du métal meulé. Il y a comme un parfum de suranné, comme si un peu des années soixante-dix et quatre-vingts s'attardaient, oublieuses du XXIe siècle déjà là. Le Bouclard, faille têtue d'espace et de temps, au quotidien renouvelé sans hâte, trop loin du Périphe pour en capter ne serait-ce que le brouhaha.
Mais au bout de Paris
Près de la Gare d'Austerlitz
Vierge, vague et morose
Le Bouclard se repose*
* pardon, Boris.
A SUIVRE... LA SUITE MARDI PROCHAIN, MEME HEURE...
Commentaires
J'ai cru lire un article de Télérama. 👎
19-07-2016 08:29L'ambiance me branche graaaave!
19-07-2016 10:15Vivement la suite. Ne nous déçoit pas (j'ai l'impression de me retrouver môme, sauf en ce qui concerne les modèles de motos)
"Ne nous déçoit pas"
19-07-2016 11:25Est-ce jamais arrivé ?
Je ne suis pas de cette génération donc je ne connais pas en vrai, mais l'impression de me plonger dans les films que j'adore. Je n'attends que de voir surgir Gabin du fond de l'atelier, bleu salis ouvert en grand sur un marcel blanc, casquette vissée sur le crâne, petite clope au coin des lèvres, se frottant les mains dans un chiffon tellement gris qu'il n'a jamais du être blanc : "Ah non mon p'tit bonhomme, ça c'est pas du boulot! En même temps comment veux-tu? Réduire les coûts je comprends bien mais pas possible de travailler avec le gégé, c'est pas un mécano, c'est un animal!!" Puis se retournant vers la jeune rousse timide qui vient d'apparaître dans le pas de la porte : "Sophie mon p'tit chat tu tombes bien, vas donc nous servir de quoi nous rafraîchir mon visiteur et moi, c'est un four aujourd'hui!" Puis de nouveau vers son visiteur : " Bah quoi, la regarde pas comme ça, on dirait que tu vas claquer, donne-toi donc la peine, je te raconterais..."
19-07-2016 13:38Même si pour que mon texte soit dans le ton il aurait peut-être fallu des meules et des pièces détachées un poil plus vieilles encore!!
J'ai hâte de lire la suite...
Je ne suis pas de cette génération donc je ne connais pas en vrai, mais l'impression de me plonger dans les films que j'adore. Je n'attends que de voir surgir Gabin du fond de l'atelier, bleu salis ouvert en grand sur un marcel blanc, casquette vissée sur le crâne, petite clope au coin des lèvres, se frottant les mains dans un chiffon tellement gris qu'il n'a jamais du être blanc : "Ah non mon p'tit bonhomme, ça c'est pas du boulot! En même temps comment veux-tu? Réduire les coûts je comprends bien mais pas possible de travailler avec le gégé, c'est pas un mécano, c'est un animal!!" Puis se retournant vers la jeune rousse timide qui vient d'apparaître dans le pas de la porte : "Sophie mon p'tit chat tu tombes bien, vas donc nous servir de quoi nous rafraîchir mon visiteur et moi, c'est un four aujourd'hui!" Puis de nouveau vers son visiteur : " Bah quoi, la regarde pas comme ça, on dirait que tu vas claquer, donne-toi donc la peine, je te raconterais..."
19-07-2016 15:32Même si pour que mon texte soit dans le ton il aurait peut-être fallu des meules et des pièces détachées un poil plus vieilles encore!!
J'ai hâte de lire la suite...
Second time achievement : same post twice. Sorry!!
19-07-2016 15:34Du coup je me suis posé la question sur l'origine du terme; wiktionnaire dit:
19-07-2016 16:04A l'origine, fin XIXe ou début du XXe siècle, ce terme désignait en argot une librairie, son nom dérivant de l'anglais "book".
Marrant non?
bon début on s'y croirait vivement la suite
22-07-2016 18:32les épisodes suivants sont déjà écrits... rendez-vous chaque mardi
22-07-2016 23:01Bonjour, est-il possible de trouver les épisodes de l'année dernière ? Je ne trouve que le n° 1, merci.
15-08-2017 21:39Tu cliques sur le bouton "Chroniques" dans le bandeau du haut (celui où il y a Pratique, Avis, Guides etc).
17-08-2017 09:05Et ensuite tu remontes à la 4e page. Attention : ils sont dans l'ordre chronologique inverse : Le Bouclard, Jeff, Vincenzo, Sirène, etc.