Le Bouclard : KPOK
Tu veux être motard ? Reste d'abord sur tes roues.
5ème épisode de la saga de l'été
Lorsque soudain survient le drame,
juste à la sortie d'un virage,
y'a plus d'essence dans la bécane,
Gérard Lambert est fou de rage !
Ma première « vraie » moto était une GPZ rachetée à un pote pour la somme -faramineuse à l'époque- de 25.000 Francs, soit quatre mois de salaire. Je ne m'appelais pas encore KPOK : j'étais apprenti-journaliste dans un canard confidentiel envoyé par fax. De là j'imaginais -ha ha ha- prendre mon élan pour intégrer Moto Journal.
Cela ne s'est bien évidemment pas fait et je doute aujourd'hui d'avoir pu y être heureux -j'aime bien la moto, mais son milieu sclérosé m'ennuie. J'avais cependant réalisé un rêve vieux d'une petite dizaine d'années -c'est beaucoup à vingt ans- d'avoir ma propre moto.
Bien évidemment, je l'ai foutue par terre au bout de six mois : la première, mal enclenchée, a « sauté » en pleine descente de garage un jour de pluie. A peine cinq mètres avant le mur, je chope les freins et vlang ! Par terre. Tête de fourche cassée côté gauche, levier et sélecteur un peu râpés, cuir avec ses premières scarifications rituelles, rien de plus. Mais le circuit électrique se retrouve exposé à la pluie bien plus qu'il ne le devrait et le redresseur commence à faire des siennes, ce qui n'arrange pas les affaires d'une batterie souffreteuse.
Je faisais une course pour Jeff du côté de la Bastille quand je suis rattrapé par Murphy, alias Saint Pad'bol. Impossible de lancer le moteur faute de jus dans la batterie. Un coup de fil au Bouclard -c'était du temps des cabines à pièces et du micro-répertoire dans le portefeuille.
- « T'es où ? T'as essayé la poussette ? OK, j'arrive », répond Jeff.
Un quart d'heure plus tard il déboule sur sa GS. Il a cet enchaînement caractéristique pour s'arrêter : neutre-contact-coup-de-guidon-béquille-frein. En moins de deux secondes il est descendu. Il fait le tour de la GPZ, monte dessus, secoue le réservoir pour vérifier l'essence, met le contact la main en pare-soleil sur les voyants, fait « hmm hmm » d'un ton approbateur, descend de la moto, trifouille le sélecteur, pousse sur trois mètres, saute vivement de tout son poids sur la selle et brooaaapp ! Le Micron fait entendre son raclement de gorge habituel. Voilà comment font les « vrais ». Leçon.
On rentre ensemble. Il m'a laissé passer devant ce qui me met très mal à l'aise parce que je sais qu'il roule beaucoup plus vite que moi, expérience aidant. Je fais de mon mieux pour rouler propre, je fais mes contrôles, un peu comme à l'épreuve du permis. Sur le Périphe, j'envoie un peu plus que d'habitude, peut-être 120 -c'était avant l'épidémie de Sarkose. Du coup, je me retrouve au-dessus de mes pompes dans le gauche de la sortie, celui dont je redoute le joint de dilatation. Coup de frein arrière et je balance la moto. Ça passe, mais c'est moche : je prends le virage en trois fois.
Je me sens tout penaud en arrivant, mais j'essaye de faire bonne figure. Jeff ne dit rien. On se remet à bricoler sur la FJ qui carbure encore un peu pauvre et pétarade à la coupure des gaz. A un moment, Jeff arrête le moteur, soupire et s'accoude à la selle. Il me regarde un moment, les yeux rétrécis comme s'il réfléchissait intensément. Et puis il me pointe du doigt et lâche :
"T'étais en vrac, t'à'l'heure, à la sortie. C'était très con. T'as rien à me prouver, grand. Tu veux être motard ? Reste d'abord sur tes roues. Me refais jamais un truc comme ça. OK ?"
Je regarde le bout de mes bottes. Je me sens très bête. Gamin chopé la main dans la confiture. Je hoche la tête en signe d'assentiment. Jeff relance le moteur de la FJ ; les colonnes de mercure dansent.
Fin de la leçon.
A SUIVRE... LA SUITE MARDI PROCHAIN, MEME HEURE...
Commentaires
C'est marrant KPOK, mais il me semble que tu as trouvé ton style. Le bon, celui qui cause vrai, qui fait pas "genre".
16-08-2016 08:42Ca me plait bien plus que par le passé.
Je ne sais pas si c'est le fond, la forme ou les deux, mais cette chronique me cause vraiment!
C'est vrai que le style est sans faille!! Maintenant, et c'est vraiment pour chipoter, il me manque un peu ce petit humour que j'aime tant, cette phrase décalée, attendue, inespérée, qui balance au pire le sourire au coin des lèvres, au mieux qui me fait pouffer devant le regard interrogateur des autres du bureau!! "vous pouvez pas savoir du haut de vos 4 roues!!" (dur, dur d'être seul motard au milieu des caisseux!) Il y a bien un burg' garé devant le bureau mais ça relancerai des débats ici qui mettraient à mal la bonne ambiance. Merci pour ces tranche de vie, d'histoire, presque d'Histoire.
16-08-2016 09:22V à tous.
Frog : d'une part, c'est largement autobiographique. D'autre part, je fais ici quelque chose d'inédit : une suite de récits seulement semi-autonomes.
16-08-2016 10:48Je ne peux pas toujours écrire comme ça pour la Kronik : il faut boucler un sujet, un thème, une idée en 3.000 à 4.000 signes -si tu vois ce dont je parle. Pour tenir sur la longueur, je dois aussi varier les approches : je ne peux pas toujours écrire comme ça, non seulement pour vous mais aussi pour moi.
De plus, je pense que la notion de "style" est un peu du boulechitte ; il y a des tics d'écriture, des tournures de phrase utilisées fréquemment, un vocabulaire, et basta. Le "style", c'est aussi de la paresse intellectuelle ; retomber sur une architecture de phrase ou de récit familiers.
(et puis moi j'aime bien mon style "genre" ; en ce moment, je suis dans Samuel Beckett, et j'ai un mal de chien à ne pas essayer de faire pareil : "Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine. [...] Lumière. Sa faiblesse. Son jaune. [...] Le halètement qui l'agite. Il s'arrête de loin en loin tel un souffle sur sa fin. Tous se figent alors. Leur séjour va peut-être finir".
Je n'en fais qu'à ma tête le plus souvent, mais vos réactions sont importantes pour me tenir éveillé.
Moi c'est Kerouac. "Sur la route". La première lecture m'avait déçue il y a quelques années.
16-08-2016 14:29Je m'y suis remis par hasard et là, ça fait TILT.
Dingue ce qu'on peut changer.
Bah, c'est toujours bien, dans la mesure où tu écris bien.
16-08-2016 15:06Ici, on est dans le roman, dans la nouvelle...
Un peu comme kasskou, ce que je préfère, c'est ton humour « à la Joe Bar Team » (difficile d'échapper à la référence !).
Ce n'est d'ailleurs pas par fainéantise - je suis boulimique de littérature classique et j'adore ça - mais plutôt parce que j'associe la littérature motarde à la détente, à l'humour, à la mauvaise foi, à l'exploit technique au fond du bouclard qui sent bon le Transyl, aux discussions sans fin qui tournent en boucle, aux performances imaginaires racontées autour d'une bécane rencontrée par hasard... (tout ça n'empêchant pas de raconter de belles histoires).
Pour prendre un contre-exemple, depuis quelques mois il y a une chronique qui se veut très littéraire, une page tous les quinze jours (je ne sais même plus si c'est dans Moto-Journal ou Moto-Revue !) et c'est ennuyeux à mourir... à tel point que je ne la lis plus alors que je lis presque tout dans les canards moto !
Comme dit l'autre, ce n'est que mon avis de lecteur avide et passionné - pas non plus le « c½ur de cible » de ce forum ou des bimensuels qui prônent la vitesse et la puissance.
moi j'aime bien qu'en tu en fait qu'a ta tête et que ta tête nous raconte ce que nous vivions avant au temps ou nous n'avions que peu de moyens mais un c½ur gros comme ça ! toujours partant advienne que pourras .V a tous .
16-08-2016 18:20Samuel Beckett?
16-08-2016 22:13Un pilote?
Connais pas, il roule chez qui?
plus je lis cette Kronik, plus je me reconnais dedans.
21-08-2016 09:46Bandit 400 acheté 22kf en octobre 97 1.5 an après le permis.
1ere balade avec des potes expérimentés, y'avait 2 nouvelles nanas dans le groupe, j'ai essayé de suivre les gars devant. 1 première frayeur dont j'aurais du tenir compte, et la balade s'est finie avec un rétro cassé, un tete de fourche rapé et un carter rayé.
tom4
C'est (tres) souvent en roulant au dessus de ses moyens (mais d'histoire d'argent entre nous) que l'on fait des conneries.
23-08-2016 20:03J'aurai bien aimer rouler comme Freddie Spencer (j'ai pas plus récent comme référence) mais comme ca fait un moment que j'ai pris conscience de mes réelles capacités......après quelques figures qui m'ont foutu les jetons.
J'aime bien cette rubrique, ça sent vraiment le vécu et ça ressemble tellement au notre!