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Kronik : Le blues du roadtrip

Sommes-nous des imposteurs ?

En retrouvant les copains du roadtrip de cet été, le souvenir de nos aventures prend une coloration bizarre

Sommes-nous des imposteurs ? En retrouvant les copains du roadtrip de cet été, le souvenir de nos aventures prend une coloration bizarre.

Le blues du roadtrip (c) photo : Maizal Najmi
Le blues du roadtrip (c) photo : Maizal Najmi

- Tu crois qu'on s'invente des difficultés simplement parce qu'on vit un époque de merde, où tout a déjà été fait ? Je veux dire : ça sert plus à rien d'avoir envie d'aller sur la Lune, non ? Ou tu grimpes dans un avion, tu fais un gros dodo et t'es à l'autre bout du monde sans même savoir comment. Moi, ça me déprime : j'ai l'impression d'être un imposteur, un mec faux qui s'invente des histoires juste pour pas s'apercevoir que sa vie est vide.

Éric a expédié son mégot dans les braises du barbeuque en soupirant. Il fait un geste en direction de sa Ténéré 700 :

- Tu vois, j'me dis que tout ce que je fais avec la Té, je pourrais le faire avec la DTR du frangin, celle sur laquelle j'ai appris à rouler et à faire de la mécanique. J'ai peut-être une bécane de compet', mais je ne suis pas sûr d'être plus heureux. C'est comme si je ne l'avais pas mérité.

Ahmed est en train d'essuyer son assiette avec l'index -ça se voit qu'il a crevé la dalle quand il était môme. Il fait un petit bruit avec la bouche et attaque avec son franc-parler dénué d'agressivité :

- Peut-être que tu te poses trop de questions. Profite de la vie, profite de ce qu'elle te donne. Je t'ai vu cet été avec ta moto : tu étais heureux. Alors pourquoi vas-tu chercher plus loin ?

Éric hausse les épaules.

Dans mon expérience, ce genre de coup de déprime ne se soigne pas par des paroles et de la logique, mais par de l'action sans pensée : enquiller un bout de route un peu plus vite que d'habitude pour se concentrer sur la conduite, faire un grand ménage dans le garage ou nettoyer la bécane à fond, avec au bout la satisfaction d'un petit résultat qui fait du bien.

Ça, c'est la théorie. Dans la pratique, je comprends tout à fait ce que veut dire Éric, particulièrement le sentiment d'être un imposteur. Ce n'est que récemment que j'ai pu abandonner cette pensée. Je ne sais pas comment j'ai fait ; quand bien même le saurais-je, je ne pourrais pas aider Éric : il doit trouver la sortie par lui-même.

Pierre intervient :

- Revends la Ténéré et trouve-toi une autre bécane ? Un petit machin rigolo ou un truc qui dépote, pour changer.

Éric a un geste agacé :

- C'est pas ça le problème. Tu vois, cet été, quand on était en montagne, j'avais l'impression d'être vivant, d'être libre. Là, je rentre de vacances et tout redevient lourd, tout est un peu nul, j'en ai marre d'attendre dès le lundi matin d'être en week-end et une fois en week-end d'avoir la flemme de bouger mon cul. Le roadtrip avec vous, c'était parfait ; c'est comme ça que je vois la moto : avec des potes, sans prise de tête. Mais ici c'est pas pareil : les routes je les ai faites quinze fois, je m'ennuie. C'est bien d'être avec vous, là, maintenant, hein ? J'dis pas ça. Mais... J'en ai marre.

Je suis bien embêté. Je ne sais pas remonter le moral aux autres. Je ne sais que montrer le ciel ou le paysage du doigt en disant : "c'est simple, tu fais partie du tout".

Ahmed se tapote la lèvre supérieure du doigt. Il prend une inspiration et lâche, en se penchant vers Éric :

- File-moi les clefs de ta moto.

Ce dernier, mécaniquement, les sort de sa poche. Ahmed me regarde :

- Tu sais où sont les clefs de l'ER-5 ? Va me les chercher, s'il te plaît. Pierre, passe-moi celles de ta Béhème, si tu veux bien.

Je suis intrigué ; je m'exécute. Ahmed collecte les clefs et les met dans son casque. Il plonge la main dans le casque et rapidement, sans réfléchir, lance une clef de contact à chacun d'entre nous, au hasard. Je rattrape celles de sa KTM. Je commence à comprendre.

Ahmed se met une grande claque sonore sur les cuisses et se lève, autoritaire :

- Allez ! On va rouler ! Le sort en a décidé.

Pascal, qui sort juste à ce moment-là, nous demande :

- Vous allez où ? Je peux venir ?

- On n'en sait rien, mais on y va. Tiens ! File-moi les clefs de ta moto en échange, lui dit Ahmed en lui lançant les clefs de l'ER-5.

Pascal fronce les sourcils, surpris. Ahmed explique :

- C'est comme ça : pour venir avec nous, il faut changer tes habitudes. C’est thérapeutique. Donc, passe-moi tes clefs. Enfin... si tu veux. Ce serait mieux, tu vois ?

Pascal tâte ses poches et tend son trousseau, hésitant. Ahmed nous pousse dans le dos, vers les motos alignées sous le préau de l'entrée :

- Allez ! Allez ! Allez ! On réfléchit pas et on va rouler. Zou ! En route ! On va loin et on rentrera quand on rentrera.

Éric a un petit rire.

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

XM

je suis d'accord, quand le blues du road trip arrive, c'est signe qu'on est prêt pour le road trip suivant!

06-12-2022 08:01 
38GiB

Salut
Désolé, j'ai arrêté après : époque de merde....
V

06-12-2022 08:07 
Goupil62

J'abonde dans ton sens : partir avec des potes, en moto, le rêve❗

Nul besoin de rouler aux USA, en Mongolie ou en Inde pour allumer de nouveau l'étincelle du bonheur.

La France est magnifique, allez, zou, je prends les clefs & j'appelle les potos 😊✌️

06-12-2022 08:44 
inextenza

Citation
38GiB
Désolé, j'ai arrêté après : époque de merde....

Ben en fait, cette kronik démontre l'inverse sourire

Merci KPOK, c'est une bien belle leçon de vie que tu nous écris. Nous avons la chance d'avoir des machines passionnantes quel qu'elles soient, et on arrive en effet à encore se faire des noeuds.
Et vous avez de la chance d'être ce noyau de potes, avec un mec comme Ahmed dedans super

Perso, le blues du roadtrip, c'est que je ne trouve plus l'occasion d'en faire. Plus le temps, une calculette dans le casque, pas ce noyau de potes dans les parages surtout depuis que j'ai déménagé... triste

06-12-2022 11:31 
fift

Citation
inextenza

Perso, le blues du roadtrip, c'est que je ne trouve plus l'occasion d'en faire.


J'ai été dans ce cas-là.
Et puis un jour, j'ai accepté que ma pratique de la moto avait évolué : ce n'était plus un moyen de transport mais un pur loisir.
Et j'ai décidé de me faire un week-end moto à chaque vacance scolaire, puisque je reste généralement sans famille à ces moments. Je profite énormément de ces moments depuis et je fait bon an mal an mes 7 à 8 000 km annuels.

Bon, après, j'aime rouler seul, ça facilite les choses.

06-12-2022 11:48 
Tortue Ninja

La Kronik initiale m'avait fait envie. super
Avec un ami, nous prévoyons nous retrouver à mi-chemin de nos deux maisons avec nos épouses (toutes deux en 125), pour une petite balade cool et un bon petit repas au milieu.
super

Seule raison de n'avoir pas tout de suite sauté sur nos machines, il nous faut tous deux remettre en état une 125. Il serait dommage de ne pas être en harmonie mécanique avec nos épouses clin d'oeil

Comme quoi, "road trip", "virée" voir "ballade" ou "p'tit tour", c'est l'ivresse de la liberté sur deux roues qui compte. Fut-ce une parenthèse furtive.

06-12-2022 11:57 
Picabia

On dit que l'ennui vient de la routine, ce n'est pas forcément vrai, c'est que l'on n'est plus attentif à voir les choses comme elles sont et comment elles se transforment. D'une saison à l'autre, ce serait plutôt le bonheur du road trip qu'il faudrait dire, même si il a lieu autour de chez soi, le simple fait de partir, sans contrainte, sans but, de rebattre les cartes, pas forcément routières.
Ceux qui on inventé le bonheur immobile se trompent, le bonheur il est en perpétuel mouvement, le mouvement de la vie

06-12-2022 13:21 
waboo

Quel que soit le trajet, quand c'est à moto, c'est un meilleur trajet.

06-12-2022 13:35 
fift

Citation
waboo
Quel que soit le trajet, quand c'est à moto, c'est un meilleur trajet.

super

06-12-2022 13:49 
38GiB

Salut
Inex
C'est justement parce qu'on ne vit pas une époque de merde qu'on peut encore rouler sans but juste pour le plaisir... non ?

Perso, je n'ai pas le blues du roadtrip. Je m'en tape un quand ça me prend. Tout seul, histoire qu'il n'y ait pas un couillon qui vienne gacher le moment avec ces histoires d'époque de merde...clin d'oeil
V

06-12-2022 14:55 
Aristoto

"Je ne sais pas remonter le moral aux autres. Je ne sais que montrer le ciel ou le paysage du doigt en disant : "c'est simple, tu fais partie du tout"... Très chouette kronik

Un peu de bénévolat et d'engagement pour la préservation de la flore et de la faune; le mieux être des handicapés ou autres causes qui éclaircissent le ciel amoindrira le vague à l'âme d'Éric...

Bise aussi à tous ceux qui se soignent en rangeant le garage.

Bonne route V

06-12-2022 15:34 
horneteur

Je ne suis pas sûr que la morale de l’histoire soit là mais je reconnais à travers le début de l’histoire avec la T7 et la DTR un mal qui ronge nombreux motards et amis : celui de ne pas oser pensant ne pas avoir la bonne moto et quand on l’a, hésiter encore car trop d’argent mis dedans et plus assez pour rouler ou risquer la chute.

Je me suis libéré de ce mal qui me rongeait aussi (et qui revient de temps à autres) en virant toutes les « super » brêles que j’avais pour partir sur des brélons que certains qualifient volontiers d’infâmes : Himalayan, vieille 1100 RT et bientôt MZ 250 en side car (poumon de 21cv). Depuis que je fais ça, j’hésite moins car il me reste pour une fois de la thune sur le compte en banque et si ça tombe, ben ça tombe, ça ne me coutera pas un bras. Dans la même logique, je pourrai prendre aujourd’hui une 125 pour me marrer. J’ai encore trop de copains qui hésitent à partir, notamment en road trip de plusieurs jours parce qu’ils n’ont pas le dernier trail, le dernier traction contrôle ou tous autres conneries dont la presse moto nous fait la déballe qualité à la place des constructeurs. En faisant le chemin inverse, j’ai même ce petit plaisir malsain de faire la même chose que les autres avec « trois fois rien »….

Le plaisir est partout, nul besoin de se mettre des barrières à vouloir une T7 ou faire le CaptoCap parce que Lolo Cochet nous aura fait baver devant ses vidéos. L’aventure est partout, avec n’importe quoi, l’important c’est de prendre le temps d’oser.

06-12-2022 15:34 
Meuldor

A part rouler sur tout ce qui tourne dans mon Tarn d’adoption et au delà quand j’ai le temps, je ne pense à rien de négatif sur ma moto. Et dans l’intervalle je pense à la prochaine fois.

06-12-2022 16:33 
Picabia

Ne pas avoir le bon matos c'est l'excuse du type qui ne veut pas partir. Premier road trip, à l'époque on disait virée, c'est en DTMX 125 et 2 potes en 50, direction le Mont Saint Michel par les petites routes. Nous sommes jamais arrivés au Mont, une galère pour dormir et le budget cramé en un rien de temps mais quelle rigolade, complètement inconscients nous dormions dans les granges avec l'accord de l'agriculteur.
J'y pense encore 40 ans après et je n'ai jamais retrouvé cette insouciance.

06-12-2022 17:22 
Tortue Ninja

C'est en fait sur 4 roues que j'ai renoué avec les virées.
Participant à un événement à Magny-Cours avec la Seven, j'ai décidé de laisser tomber la remorque, le SUV pour la tirer et transporter les caisses de matériel.
J'ai juste mis dans un sac casque, combi et reste de l'attirail de course. Puis pris la route avec seulement les saute-vent et sans capote (que le précédent propriétaire n'avait d'ailleurs lui aussi jamais sortie de son sac...). Et comme le temps s'y prêtait, le trajet se fit avec juste un polo, le bras à la portière... dehors (y'a pas de portière !). Comme un anglais pur souche des 60's !

Tous les motards me faisaient signe. super
Mais bon, ce n'est pas vraiment une BAR... Plus proche d'un gros skate
En un mot : GENIAL !
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06-12-2022 18:12 
Peterpan

GIB a en partie raison !..Rien ne nous empêche de partir pour un road trip !
..encore faut il que cette envie ne soit pas arrêté par barrières psychologiques, de tout ordre , ..et propres à chacun !

06-12-2022 18:52 
fift

Ouais bah en ce moment le roadtrip il est arrêté par une barrière pas du tout psychologique pour moi. J'ai le choix, en conduisant d'une seule main, entre une moto sans rétro gauche et une moto sans frein avant .

06-12-2022 18:54 
Peterpan

J opterais plutot vers moto sans rétro !

..mais raconte ..qu est ce qu il t est encore arrivé ??!!question

06-12-2022 19:02 
fift

Rien de plus qu'il y a un mois, mais j'ai encore mon attelle et je n'ai donc pas pu réparer la Red Rocket. clin d'oeil

06-12-2022 19:09 
38GiB

Salut
Ptite bite les Ducatistes :

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gnarf

06-12-2022 20:46 
fift

Ouais mais avec la main droite en moins, ce n’est pas la même chanson .

06-12-2022 20:55 
Peterpan

Tu peux accélérer de la main gauche !

.. c comme dit GIB en fait !!!!clin d'oeilclin d'oeil

06-12-2022 21:04 
Borisjc

Quelle que soit ma journée de boulot, je suis content le matin et le soir sur ma brêle.
Et c'est vrai que nous avons un pays magnifique pour rouler (avec un Coyote, néanmoins...).
Et rien ne vaut une bonne virée à 3 ou 4 😃

07-12-2022 08:00 
Picabia

C'est pour ça que Honda a institué le DCT, pas besoin de la main gauche pour embrayer, ni du pied gauche d'ailleurs.

07-12-2022 09:54 
l'haricot

On faisait toujours ça, passer d'une meule à l'autre pendant les ballades. C'était cool.

09-12-2022 13:06 
 

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Bering