Le Repaire de Steph : La meilleure moto du monde ? C’est la tienne !

Ducati c’est pourri, Honda c’est caca, BMW c’est trop laid, Yamaha c’est lambda, Harley c’est pas l’pied, les Chinoises sont sournoises, Suzuki sent l’moisi, Kawa fait pas l’poids, KTM j’ai la haine, Triumph ça me gonfle, etc.

Je dois être un brin maso. L’univers motard m’attire autant qu’il peut parfois m’irriter et pourtant je ne peux pas m’en passer. Mais commençons par le commencement de cette histoire et mon arrivée dans « le grand monde » de la presse spécialisée. C’était en 1999, il y a un éon ou presque, à la rédaction de Moto et Motards. Je n’étais pas novice pour autant, j’avais mis dix ans à décrocher ce job dont je rêvais depuis mon adolescence. Biberonnée que j’étais à la lecture compulsive de Moto Journal (Sébil’, mon héro !), Moto Verte (et leur rédaction complètement barrée dans les années 80/90), mais aussi à peu près tout ce qui traitait de moto.

Il faut se souvenir qu’à l’époque, il n’y avait pas autant de chaînes TV qu’aujourd’hui, internet en était à ses balbutiements, le Repaire poussait ses premiers cris et, quand on était passionné de compétition et de deux roues, on trouvait plus facilement à se rassasier dans les rayons presse que derrière son (tout petit) écran. C’était aussi le temps des premiers forums, extension bienvenue du courrier des lecteurs, qui permettait aux sus-dis lecteurs de communiquer entre eux directement et non par média interposé. Une idée géniale qui, au travers de celui initié par les premiers fans de Mot Mot, avait permis à un groupe de se rapprocher. Au point qu’une trentaine d’entre eux se sont mis d’accord pour louer un circuit et aller se rassembler autour des vibreurs durant un week-end.

En découvrant cela, j’ai trouvé l’idée tellement géniale que j’ai foncé dans le bureau de Greg (alias Max la Menace), fondateur du canard, pour lui tenir à peu près ce langage : « P’tain, ‘gad’ : y’a nos lecteurs qui se réunissent pour louer un circuit ! Idée géniale, preuve qu’on peut se faire plaisir entre potes sans être hors-la-loi, ‘faut soutenir à mort et si on allait avec eux pour raconter l’histoire et donner des idées à d’autres ? ». Aussitôt dit, aussitôt fait : avec le collègue Yacouba nous voilà partis en vol low cost vers Paris. Au programme, un détour chez Suz’ France pour récupérer deux GSX-R (une 750 et une 1000), avant de retrouver les « cadres » du forum qui organisaient le truc. Une vraie rencontre avec nos lecteurs, puisqu’en plus on squattait chez eux !

Je vous passerai les détails assez rocambolesques de la soirée, puis du trajet jusqu’au circuit de Pouilly-en-Auxois, pour arriver à l’essentiel : la prise de conscience que chaque motard est unique. Aucun n’a le même feeling ou ne cherche la même chose avec sa monture. Il y a les pragmatiques, qui ne jurent que par la facilité d’utilisation, les aspects pratiques et le coût d’entretien. Pour eux la moto est un outil et c’est l’expérience de roulage qui prévaut. Et mon prédécesseur dans cette prestigieuse chronique, le bien nommé Koud’pied O’Kick, fait définitivement partie de ceux-ci. Il y a aussi les fondus de préparation, qui vont personnaliser leur monture à outrance, afin qu’elle ressemble le plus à l’image fantasmée qu’ils peuvent s’en faire. Ceux-là sont capables de passer plus de temps à l’atelier à bichonner leur bécane qu’à l’utiliser et ça leur va très bien. Et puis il y a tout ce que l’on peut imaginer entre les deux.

Je suis arrivé là-bas avec des idées bien arrêtées. Par exemple, selon moi, la TL 1000 R que Suzuki venait de sortir était une grosse bouse. Produite à la base pour concurrencer les Ducati 996 en mondial Superbike, elle était bien trop lourde, son amortisseur rotatif fonctionnait mal et l’efficacité sur piste franchement sujette à caution. Et puis voilà que je rencontre ce grand black adorable qui venait d’acheter cette Suz’. C’était son premier gros cube, il était tombé raide dingue du look de la brèle et tout autant de son V-twin bourré de caractère. Il s’en servait comme d’une Sport-GT et pour lui, c’était la meilleure moto du monde. De quel droit est-ce que j’allais lui casser son délire ? S’il se régale avec elle, si à chaque fois qu’il la regarde il a des papillons dans le ventre et envie d’en prendre le guidon, c’est lui qui a raison ! C’est là que j’ai compris la vanité de notre profession de journaliste-essayeur et son seul véritable intérêt. En aucun cas nous ne sommes là pour dire si une moto est bonne ou mauvaise, par contre, nous pouvons guider les motards pour que leur choix corresponde à leurs attentes. Je me souviens avoir été agacé à cette époque par des confrères qui se prévalaient d’être objectifs. Mais c’est impossible : on est forcément le produit de ses expériences, de ses envies, de son niveau d’exigence… Comment par exemple juger « objectivement » un freinage, quand un motard préfèrera une attaque franche du levier et un autre plus de progressivité ? Comment juger le 4-cylindres d’une CB1100 quand certains louent sa linéarité parfaite et sa capacité à évoluer sur le dernier rapport, de 10 km/h à sa vitesse max, quand d’autres lui reprocheront son absence de caractère ? On ne peut pas résumer une moto à une somme de notes ou d’appréciations soi-disant objectives.

J’ai choisi ce métier parce que je suis curieux par nature (et aussi parce que je suis payé pour essayer des motos, soyons honnêtes !). J’aime autant prendre le guidon d’une Harley Sportster S que d’une Yam’ MT-07 ou d’une BMW M 1000 RR. Pas pour les mêmes raisons, évidemment, mais c’est ce qui fait la richesse de notre petit monde et c’est pour ça que j’y suis autant attaché. Ce qui m’agace en revanche, c’est la dictature que certains tentent de faire régner sur les réseaux sociaux. Je suis tombé il y a quelque temps sur un article qui résume assez bien la situation : d’abord un gars édicte un dogme. Par exemple : « La BMW 1300 GS est la meilleure moto du monde ». Puis il ajoute des faits qui découlent de ce premier postulat : Ceux qui ne l’ont pas compris sont des nuls. Une Africa Twin ça manque de chevaux. Une Tiger 1200 c’est trop lourd. Une Multistrada ça ne vaut rien en off-road etc. Il rassemble autour de lui un groupe qui partage ses convictions et cette meute passe ensuite tout son temps à critiquer et harceler, souvent de manière violente, ceux qui ne sont pas de son avis et s’éloigne du dogme préétabli.

Autant j’adore la mauvaise foi et les querelles de clocher entre les Kawasakistes, les Ducatistes, les Quesaijenecoreistes et le reste du monde, autant l’agressivité et le côté très « premier degré » de certains échanges me laissent pantois. Arrêtons de nous prendre au sérieux : on ne parle que de moto ! Et puis, la moto comme vecteur de liberté est universelle, elle doit rapprocher tous les amoureux de grands espaces et de sensations, tous ceux qui veulent conduire et non pas se laisser conduire. Exacerber les individualités et justifier ses choix en dénigrant ceux des autres n’a pas de sens.

Cela pour vous dire que j’ai mes convictions, mes préférences, ma manière d’appréhender ma passion et mon sport, mais je pense toujours à ce gars rencontré il y a 25 ans et dont j’ai oublié le nom (s’il se reconnait, qu’il n’hésite pas à me faire signe !) et qui guide ma main à chaque fois que je dois choisir mes mots sur un clavier. Alors surtout, qui que vous soyez, amateurs de trails, de sportives, de roadsters ou de GT, fans de supermotards, de néo-classiques, de cross ou d’enduro, continuez à moquer vos pairs et à défendre votre point de vue, mais pensez toujours à mettre un soupçon de bienveillance dans vos propos. Le plat que l’on sert ainsi assaisonné est toujours plus savoureux et bien plus digeste.

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