Je voudrais être un héros

J'aurais voulu chiper la victoire à Rossi pile sur la ligne d'arrivée qu'il aurait fallu voir la photo pour savoir qui aurait gagné, mais en fait ça serait moi. Et après j'aurais expliqué devant les caméras comment, malgré tout, j'ai su rester simple.

Des fois, jme dis que je serais bien celui qui taxe Rossi sur la ligne d'arrivée après un Gépé taillé dans un gros bout de légende façon Tolkien et qu'après pendant l'interviouz avec la télé j'arrête pas de dire que quand même Rossi c'est un type génial et que sans lui patati-patata et de le remercier de m'avoir donné l'occasion de me dépasser, tout ça.

J'imagine les commentateurs à la téloche qui feraient des oh et des ah alors que je ferais une remontée de tous les diables après une décision inique de la direction de course qui me ferait partir des stands, mais tant pis qu'importe je gagnerais quand même nana-nèreuh c'est moi qui aurais raison une fois de plus vu que c'est moi qui gagnerais.

Et après, sur le podium, on jouerait le Carnaval de Sao Vicente de Cesaria Evora * plutôt que la Marseillaise, cet appel à la haine et au massacre. Tout le monde se mettrait à danser au lieu d'essayer de trouver vite fait deux-trois féroces soldats pour arroser nos géraniums avec leur sang impur pour pas perdre la main de nos bras vengeurs - mais sinon c'est nous les gentils.

A la fin de la saison, je signerais chez un constructeur inconnu, histoire de montrer à mes détracteurs que c'est moi qui gagne et pas la moto. Je prendrais comme coéquipier celui qui aurait fini avant-dernier du classement l'année dernière comme ça je serais magnanime et généreux et on formerait un duo de choc façon Batman et Robin, mais on serait hétéro quand même. La moto aurait un moteur révolutionnaire qui consomme deux litres au cent, mais les gros constructeurs et le lobby du pétrole ferait tout pour saboter la saison. Ils réussiraient presque, mais heureusement on déjouerait leurs plans et à la fin on démasquerait le chef de la bande qui serait genre Carlos « Gorge Jaune » Ghosn-gosh ! aurait dit Tumbler en arrachant le masque de caoutchouc qui cache ses traits devant les flics ébahis.

J'aurais des propositions d'un team de F1 pour venir courir chez eux, mais je leur répondrais que non, décidément, la F1 c'est trop tarte et puis la moto c'est ma famille, mais c'est sympa d'y avoir pensé quand même. Alors il y aurait des gros titres dans Libé ou dans l'Equipe et ça ferait scandale, mais dans les commentaires des articles les gens seraient d'accord avec moi.

Après, je m'engueulerais copieusement avec Vito Ippolito (le boss de la FIM), un peu comme à l'époque Ayrton Senna avec l'aut' de la fédé dont je me souviens plus le nom et ça ferait tout un schproum « dans le Landerneau » comme écrivent les journaliss' qu'ont des lettres. Je pense que ça serait à propos d'un truc de gros sous, comme par exemple la rémunération des pilotes. J'aurais ensuite le soutien inattendu des deux seules nanas au board de la FIM, Marilynn Bastedo et Tania Lawrence, parce que j'oserais dire tout haut ce que d'autres osent à peine penser.

Je pense que j'aurais une maison à cheval sur la frontière franco-espagnole et il n'y aurait pas de portail pour que qui veut puisse venir me faire un coucou quand bon lui semble. Alors on ferait cuire des brochettes et ça serait super-bon. Dans ma maison, il y aurait un grand hangar ouvert pour garer les motos et une piscine pas trop profonde pour économiser l'eau, mais aussi se rafraîchir l'été. Je serais super pote avec Mark Knopfler et David Gilmour et peut-être même Françoiz Breut ** qui passeraient de temps en temps pour faire le boeuf -mais faudrait pas trop que ça se sache pour que ça reste sympa et spontané. On écouterait comme ça de la musique jusqu'à ce qu'on soit fatigués et après on irait dormir à la belle étoile dans des hamacs parce qu'il ferait beau et comme berceuse on fredonnerait Aguas de Março *** parce que c'est joli.

Ça serait super bien si j'étais un héros.

* Cesaria Evora - Carnaval de Sao Vicente
** Françoiz Breut - La Danse des Ombres
*** Antonio Carlos Jobim & Elis Regina - Águas De Março

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