Marc Mothré, une passion familiale
L'organisateur des WERC travaille en famille
Double champion du monde d'endurance avec sa fille et son fils
Marc Mothré est une figure du milieu. Un monolithe qui promène son imposante stature sur les circuits depuis plus de trente ans. Homme de presse, ancien publicitaire, organisateur et surtout éminence grise de la vitesse française, le personnage a du relief, comme on dit. Sur les courses, c’est lui qui tient le crachoir lors du briefing des pilotes. Il a le verbe et la prestance nécessaires pour ça.
Chevelure argentée, carrure massive, bonhommie et franc parler, c’est le genre de personnage dont la moto peut se féliciter de compter parmi ses rangs. Mais passer une heure avec lui, ce n’est pas revisiter le passé.
La soixantaine tassée, Marc Mothré a toujours l’œil qui brille, toujours frais comme un gardon d’étal et toujours un appétit vorace de vivre, de vivre la moto à sa manière. Le temps ne l’a pas défraîchi, il a encore des – grandes – idées plein la musette. Des projets fantasques, des envies démesurées, des fringales de bonheur à combler au plus vite. Si vous avez fréquenté un jour les circuits de France et de Navarre, vous l’avez forcément croisé.
Mais ce qu’on sait moins, c’est que chez Mothré, la moto se vit en famille. Entouré de Julie, sa fille et de Rémi, son fils, Marc n’est jamais seul sur une course. Mais la vie de ce trio infernal n’est pas un long fleuve tranquille.
On n’est d’accord sur rien, résume Julie façon Tontons flingueurs.
On fait les présentations d'une famille qui a le verbe haut et la passion chevillée au coeur.
Entre statue du commandeur et chevilles ouvrières
En taillant vigoureusement dans le CV de Marc Mothré pour n'en retenir que les lignes les plus représentatives, disons simplement qu'il est à l'origine de l'organisation de la Honda CB 500 Cup, puis de la Roadster Cup et que le Team d'endurance Motors Events April Moto dont il est à l'origine a été deux fois champion du monde d'endurance 2011 et 2013 en catégorie Superstock.
Attentif aux besoins des pilotes, Marc a aussi créé les WERC (Week-end Racing Cup) qui font rouler la Roadster Cup, la KTM 390 Duke Cup, la Twin Cup et la Promotion Cup 600, rien que ça ! Marc Mothré a fait du chemin depuis qu'il fut l'une des victimes de l'épidémie de CB 750 Four en 1969. Mais aux côtés de Marc travaillent aussi ses deux enfants Julie et Rémi.
Julie s'occupe des pilotes engagés sur l'ensemble des championnats organisé par Motor Events, la société de Marc Mothré, ainsi que de toute la partie administrative. Rémi lui, après un passage par la filière Elf comme pilote, est devenu le factotum dans l'édifice Motor Events. Titulaire du permis super lourd, il conduit le camion, monte les structures et répond aux différentes sollicitations.
Chez les Mothré, la vie de famille se déroule façon école buissonnière, sur les circuits, au moins six mois dans l'année.
On était déjà sur les circuits à l'adolescence, rigole Julie. Je me souviens qu'à l'époque, notre tâche ingrate consistait souvent à ramasser les banderoles à la fin du week-end. Aujourd'hui, on refuserait tout net !
Attablés tous les trois à la même table, la famille Mothré frappe par la fluidité de sa complicité. Marc et Rémi sont nés le même jour, le 4 juin, à 30 ans d'écart ! Mais cette complicité et les exigences professionnelles font que les rapports familiaux sont aussi plus directs, quitte à être un peu âpres.
En fait, on bénéficie à la fois des avantages et des inconvénients du fait de travailler en famille. L'avantage, c'est la confiance absolue dans l'autre. L'inconvénient, c'est que lors d'une situation de stress, on va avoir parfois tendance à se décharger sur l'autre, parce qu'on le connaît de manière intime.
Disons que dans une équipe de moto, la plupart des personnes sont bénévoles, poursuit Rémi. Si quelque chose ne va pas, on ne va pas aller pourrir quelqu'un qui donne de son temps libre. Mais entre nous, c'est différent. Il peut y avoir des tensions.
Selon Marc, "la force d'un groupe est de savoir passer outre ses moments de conflits pour poursuivre sa route dans la confiance". Rémi à l'atelier pour préparer les motos, Julie à l'administration et aux petits soins pour les carénages et Marc dans tout ça ? La question mérite d'être posée à ses enfants.
Papa a une base d'idées souvent délirantes et il faut parfois le réfréner, du moins, le ramener à la réalité. Les choses ont évolué. Il pense encore qu'une poignée de main vaut un contrat. C'est tout à son honneur, mais ça ne fonctionne plus comme ça, explique Julie
En fait, sur un circuit, nous, on travaille et lui il vient nous voir ! précise Rémi. Avant de poursuivre : comme il est vieux et sénile, on lui trouve une chaise, on le pose dessus et il nous laisse travailler ! Bon je plaisante. Avec son expérience, Marc est toujours très bon pour toute la partie relationnelle et la recherche de sponsors. Quand on lui pose la question, il prétend qu'il ne fait plus rien sur les circuits. Mais selon moi, il en fait plus qu'avant. Simplement, comme tout le monde est désormais plus performant, il ne s'en rend pas compte. Ce n'est pas papa qui a changé, ce sont les charges de travail moyennes qui ont évolué pour tout le monde.
Un fief, mais des trajectoires !
Parisienne pure souche, la famille Mothré a également conservé une proximité géographique. Si Marc habite la capitale, Julie et Rémi vivent non loin de l'atelier de Montléry où sont préparées les motos d'endurance. Chez les Mothré, on s'appelle peu mais on rebat sans cesse la trace des routes qui mènent sur les circuits. La vie de famille s'effectue donc au rythme des saisons, bipolaire, une saison chaude, une saison froide. De là à dire que les relations familiales entrent en hibernation dès la bise venue?
Ce n'est pas exactement le cas, raconte Marc Mothré. Dans les familles classiques, quand on se voit ou qu'on s'appelle, c'est pour se raconter nos vies. Mais nous, ce que l'on vit d'important, on le partage ensemble. C'est le propre des familles qui bossent ensembles. Nous passons 5 à 6 mois de l'année sur les routes chaque week-ends. Alors forcément, cela influence sur nos relations sociales. Disons que c'est difficile de partager des choses fortes avec des gens qui ne comprennent pas un minimum la manière dont nous vivons.
Pour le coup, La famille s'accorde sur ce point et donc sur l'essentiel. Julie explique : "c'est vrai que chez nous, on a problème avec la notion de semaine ! A force de faire de longs week-ends sur les circuits, la séparation entre semaine et week-ends n'a pour nous qu'une frontière ténue". Rémi abonde aussi en ce sens. "On ne compte pas nos heures de boulot, c'est certain ?" Et la vie personnelle dans tout ça ? "Ma copine possède un club de sport, ajoute Rémi. Elle finit aussi très tard. Donc on travaille beaucoup tous les deux". Bref, la boucle et bouclée. Chez les Mothré, vivre à toute allure, être ensemble tout en ayant chacun ses prérogatives, se prendre le bec et puis passer à autre chose, c'est dans les gènes !
Avec le temps, la notion de famille s'est même agrandie et Marc évoque avec émotion la personne de Stéphane Elie, ancien pilote qui, une fois que la course moto eût aspiré l'ensemble de ses économies, souhaitait rester dans le paddock et fut embauché par Marc. Lui aussi est devenu un intime du clan Mothré. Autre figure incontournable de la bande, celle d'Hervé Moineau, responsable du sort de la Suzuki n° 50 du Team Motors Events ! Du haut de ses 13 années passées au SERT et de ses 4 titres mondiaux, Hervé est aussi un pilier de confiance pour la famille. "Hervé est un mec adorable, un vrai gentil" complimente Marc Mothré. C'est aussi un bon stratège. Je peux ajouter qu'il est l'instigateur de notre participation aux 8 H de Suzuka. Il me parlait avec de telles étoiles dans les yeux de cette course qu'il a remporté en 1983 avec le SERT au guidon d'une GS 1000, que ça nous a donné envie d'aller renifler le parfum du Japon".
Entre chronos et temps qui passe
Autre sujet brûlant à lancer autour de la table familiale, la question de l'époque ! Pour Marc, à son époque, "on faisait tout sans réfléchir. C'est quand on est au pied du mur que l'on trouve des solutions." Une thèse qui, comme à l'accoutumée, ne fait pas l'unanimité chez les Mothré.
"Marc vit encore au pays de Oui-Oui !" tance Julie.
Et pour Rémi, "la jeune génération a la tête mieux posée sur les épaules. La crise financière a marqué notre génération. On est désormais plus prudent".
Pourtant, l'imagination de Marc et son côté rêveur nourrissent encore quelques beaux projets qui devront transpercer les coups de boutoir des réticences familiales ! "Je rêve de courir à Daytona !" lâche-t-il avec malice. Un nouveau point de désaccord : "si ça fait comme Suzuka, bonjour ! Au Japon, on savait qu'on allait y aller, mais on ne savait pas si on allait manger sur place !" pouffe Rémi.
Et l'avenir dans tout ça ? Si Marc annonce sans amertume que le temps viendra où il lui faudra prendre du recul, ses enfants envisagent-ils pour autant une succession de son oeuvre ? Pas nécessairement. Julie affirme qu'elle n'en a aucune idée et Rémi pas davantage. Au final, eux aussi font les choses sans trop réfléchir !
En définitive, chez les Mothré, les accrochages sont une manière pour chacun de délimiter son territoire. Mais tous au fond vivent au coeur de la même passion et de cette vie pas vraiment raisonnable qui va de vibreurs en chicane, de trains de pneus en mesures télémétriques et de l'engueulade au bonheur.
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