8 H de Suzuka, la légende nippone
Une épreuve exotique à plus d'un titre
Le rendez-vous des grands pilotes au Japon
Dans le calendrier du championnat du monde d'endurance, l'épreuve de Suzuka tient une place très particulière. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une course de 24 heures, la renommée de cette course fait fantasmer tous les pilotes d'endurance qui ne s'y trompent pas. Rouler à Suzuka est un luxe du pilotage, la combinaison de différents facteurs qui permettent d'aller à la rencontre de ce qui se fait de mieux en matière d'endurance moto mondiale. Les raisons de l'exceptionnel rayonnement de cette course du bout du monde sont nombreuses.
1978, la même année sont créées les 24 Heures du Mans et les 8 H de Suzuka. Mais les deux courses ont une genèse totalement différente. Si l'épreuve mancelle est soutenue par le magazine Moto Journal qui souhaite concurrencer Moto Revue, l'organisateur du Bol d'Or, les 8 H de Suzuka au Japon est quant à elle imaginée comme un terrain d'expression pour les constructeurs motos locaux. En effet, lors de sa création, la course était destinée aux prototypes moto entrant dans la catégorie Tourist Trophy Formula One (TT-F1). Cette catégorie offre aux quatre grands constructeurs l'opportunité de rivaliser d'audace technique et de montrer les muscles pour mettre au point des machines toujours plus performantes. C'est l'époque des prototypes de pointe, des machines vitrines et de la guerre fratricide entre constructeurs.
Une popularité immédiate
Très vite, l'épreuve acquiert une popularité à faire pâlir n'importe quel organisateur ! Le niveau de compétition atteint draine les foules et crève rapidement le plafond des 100.000 spectateurs à l'aube des années 1980. En moyenne, ce sont près de 130.000 spectateurs qui se déplacent pour voir la course, avec un pic de fréquentation établi à 160.000 spectateurs en 1990. Aujourd'hui, la fréquentation a baissé après de nombreuses années fastes. On dénombre environ 90.000 spectateurs en moyenne aujourd'hui, ce qui est très respectable. Mais la foule présente sur place n'est pas le seul ingrédient du succès des 8 H de Suzuka.
Après quinze éditions, les 8 H de Suzuka effectuent une mutation, puisque devant la montée des championnats de Superbike, l'épreuve se recentre sur cette catégorie. La Catgéorie Formula One est désormais bannie. Si la course y perd un peu de son arsenal technologique de pointe, le plateau qu'elle propose devient alors à la fois plus ouvert et plus homogène. La course redevient en effet une bataille humaine entre les équipes de ravitaillement dans les stands et les pilotes sur la piste. La création d'une catégorie Naked bikes apporte un peu de folklore à l'épreuve durant quelques années, puisque les motos sans carénages de cette catégorie y côtoient les pures sportives.
Désormais marquées du sceau du Superbike et surtout judicieusement placée au calendrier par les officiels, Suzuka se fait connaître dès le début des années 1980 par la présence de certains des meilleurs pilotes mondiaux, issus du monde des grand-prix ou du mondial Superbike. L'une des premières têtes d'affiche du genre est l'américain Wayne Gardner, qui remporte l'épreuve en 1985. Lorsque l'on parle de l'endurance mondiale, on affirme souvent que c'est avant tout une affaire française. De fait, la France a toujours nourri un lien particulier avec l'endurance. C'est pourquoi, la victoire du SERT en 1983 avec le pilote Hervé Moineau au guidon de la fameuse Suzuki GS 1000 R a marqué les esprits et permis aux 8 H de Suzuka de se tailler une grande réputation jusqu'en France.
Une affiche de rêve
Puisque la date choisie pour les 8 H de Suzuka n'empiète pas sur le calendrier des principaux championnats du monde, il arrive souvent que la participation des pilotes vedettes soit stipulée dans leur contrat. Une clause que certains pilotes parviennent à faire supprimer de leur contrat une fois qu'ils sont suffisamment reconnus dans la catégorie reine dans laquelle ils officient tout le reste de l'année. Il n'empêche que le palmarès des 8 H de Suzuka fourmille de grands noms : Wayne Gardner donc, mais aussi Eddie Lawson, Mick Doohan, Noriyuki Haga, Colin Edwards, Daijiro Kato, Tohru Ukawa, Johnny Rea, Leon Haslam, notre Randy de Puniet national et même Valentino Rossi ! En 2013, le légendaire texan Kevin Schwantz, champion du monde 500 cm 3 en 1993, y effectua un retentissant retour à la compétition salué par une seconde place finale. Jusqu'en 2008, les équipages engagés aux 8 H de Suzuka sont composés de deux pilotes. Ils sont trois aujourd'hui, comme lors des épreuves de 24 H. Les équipes qui participent à l'ensemble du championnat du monde conservent le plus souvent leur trio habituel à Suzuka.
De l'arène au grand 8
L'autre vedette de cette course, c'est le circuit lui-même. Suzuka est l'un des tracés les plus réputés au monde et ce n'est pas pour rien qu'il adopte la forme d'un grand 8 ! Avec ses courbes rapides et ses enchaînements techniques, Suzuka est un circuit qui réclame un gros coeur pour être maîtrisé par les pilotes. Créé en 1962 par John "Hans" Hugenholtz, le circuit a d'abord été utilisé par Honda comme circuit de développement. Il a ensuite intégré le calendrier du championnat du monde de Formule 1 à partir de 1987 et ce jusqu'en 2007 où ses installations en matière de sécurité ont été jugées obsolètes. Depuis 2009, l'épreuve japonaise de F1 se déroule à Suzuka une année sur deux en alternance avec le circuit du Mont Fuji, propriété de Toyota. Quant à la moto, le premier grand-prix se déroule à Suzuka dès 1962. En 1966 et 1967, l'épreuve est déplacée sur le circuit du Mont Fuji, avant de retrouver Suzuka jusqu'en 2003, année du tragique accident en course de Daijiro Kato, qui a eu lieu le 6 avril à l'amorce de la dernière chicane.
La réputation du circuit de Suzuka s'est taillée dans le fer dont on fait les glaives de combat. Car le circuit fut le théâtre de mémorables batailles qui ont contribué à la réputation du circuit. Comment ne pas mentionner le duel Schwantz Rainey lors du GP 500 de 1989, ou encore la lutte entre les mêmes Schwantz, Rainey, mais aussi Doohan et Kocinski lors de l'édition 1991 ? Comment ne pas parler de l'exploit réalisé en 1994 par un illustre inconnu nommé Norifumi Abe qui nargua les plus grands pilotes du monde avant de chuter en tête du GP 500 en vue de l'arrivée.
En Formule 1, ce sont les accrochages épiques entre Prost et Senna en 1989 et 1990 qui ont marqué les esprits. Décidément, il se passe toujours quelque chose à Suzuka ! Des drames aussi, malheureusement. Nous avons évoqué l'accident de Daijiro Kato en 2003, qui fera déguerpir la catégorie Moto GP de ce circuit désormais jugé trop dangereux. Mais il nous faut également mentionner le tragique accident du pilote français de Formule 1 Jules Bianchi survenu fin 2014 lors du grand-prix du Japon et qui lui, ne doit rien à la sécurité du circuit mais tout à l'erreur humaine de la direction de course.
Le champ d'honneur et de sueur
Les 8 H de Suzuka, c'est donc des machines, des hommes, un circuit, mais aussi une saveur particulière. En effet, la fierté japonaise y est bien palpable, car si le temps de la catégorie Formula One est bien révolu, les usines mettent toujours un point d'honneur à concourir ici avec des motos qui ne participent pas à la totalité du championnat du monde d'endurance, mais dont l'unique vocation est de gagner les 8 h de Suzuka pour l'honneur de toute une marque. C'est le cas par exemple de la Honda du team Musachi, de la Suzuki du team Kagayama ou de celle du team Suzuki Yoshimura. Les habitués de l'endurance ne s'y trompent pas et fourbissent leurs armes en soignant leur moteurs pour Suzuka.
Dominique Méliand, patron du SERT, 13 fois champions du monde, confirme :
Pour courir à Suzuka, étant donné la composition du tracé et la durée limitée de la course, il est évident qu'il nous faut un moteur qui pédale ! Mais comme le règlement nous empêche de toucher au bas moteur, on cherche les derniers chevaux sur d'autres plans. On joue par exemple sur le régime maxi du moteur qui est plus important à Suzuka qu'aux 24 H du Mans. Après les 8 H de Suzuka, un moteur est parfois plus fatigué qu'après une course de 24 H ! Il n'empêche, nos moteurs sont quand même solides, car ils encaissent les 210 ch développés pour une course comme les 8 H de Suzuka avec un ensemble bielles, pistons et vilebrequin d'origine !
Autre facteur important de la course, le climat. A la fin du mois de juillet, la chaleur humide est suffocante sur le circuit de Suzuka. Les pilotes souffrent énormément et certains se trouvent mal à la descente de la moto après un relais. Baignant dans la sueur, ils sont même incapables d'enlever leurs gants collés à la peau. Dès qu'ils ont fini de rouler, ils s'en vont retirer leur cuir avant de se jeter dans l'une des petites piscines gonflables et remplie d'eau glacée installée à l'arrière de tous les stands. un équipement non pas récréatif, mais capital pour tenir la distance. Autre inconvénient du climat, la chaleur torride laisse souvent éclater de violents orages qui peuvent remettre en cause en un instant toute une stratégie de course établie. Ce fut encore le cas en 2013 et en 2014. Le départ de la course étant donné en début d'après-midi, la course s'achève après le crépuscule. La nuit est donc également un facteur à prendre en compte par les pilotes pour le dernier relais de la course.
Difficile de conclure sans évoquer le public, qui participe aussi au caractère unique des 8 H de Suzuka. Bien que moins nombreux aujourd'hui, son admiration pour les pilotes et son respect pour la course sont uniques. A l'arrivée de l'épreuve, c'est avec discipline que la foule envahit le public et avec ferveur qu'elle s'adresse aux pilotes. Traditionnellement, les 8 H de Suzuka s'achèvent par un feu d'artifice grandiose tiré sur le circuit.
Palmarès des 8 H de Suzuka
- 1978 : Cooley, Baldwin ; Suzuki
- 1979 : Hatton, Cole ; Honda
- 1980 : Cooley, Crosby ; Suzuki
- 1981 : Aldana, Baldwin ; Honda
- 1982 : Lijima, Hagiwara ; Honda
- 1983 : Moineau, Hubin ; Suzuki
- 1984 : Baldwin, Merkel ; Honda
- 1985 : Gardner, Tokuno ; Honda
- 1986 : Gardner, Sarron ; Honda
- 1987 : Wimmer, Magee ; Yamaha
- 1988 : Magee, Rainey ; Yamaha
- 1989 : Sarron, Vieira ; Honda
- 1990 : Taira, Lawson ; Yamaha
- 1991 : Gardner, Doohan ; Honda
- 1992 : Gardner, Beattie ; Honda
- 1993 : Russel, Slight ; Kawasaki
- 1994 : Polen, Slight ; Honda
- 1995 : Slight, Okada ; Honda
- 1996 : Edwards, Haga ; Yamaha
- 1997 : Itoh, Ukawa ; Honda
- 1998 : Itoh, Ukawa ; Honda
- 1999 : Okada, Barros ; Honda
- 2000 : Ukawa, Kato ; Honda
- 2001: Rossi, Edwards ; Honda
- 2002 : Kato, Edwards ; Honda
- 2003 : Nukumi, Kamada ; Honda
- 2004 : Ukawa ; Izutsu ; Honda
- 2005 : Ukawa ; Kiyonari ; honda
- 2006 : Tsujimura, Akiyoshi ; Honda
- 2007 : Kagayama, Akiyoshi ; Suzuki
- 2008 : Kiyonari, Checa ; Honda
- 2009 : Sakai, Tokudome, Aoki ; Suzuki
- 2010 : Kiyonari, Nakagami, Takahashi ; Honda
- 2011 : Kiyonari, Akiyoshi, Itoh ; Honda
- 2012 : Kiyonari, Okada, Rea ; Honda
- 2013 : Takahashi, Van der Mark ; Honda
- 2014 : Takahashi : Honda
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