Essai moto de GP Fior 500-4
Grande Gauloise
4 cylindres en ligne, 499 cm3, 150 ch, 127 kg
À la fin des années 1980, il y avait un écart grandissant entre les nantis et les démunis en Grands Prix 500, c'est-à-dire entre les V4 d'usine, y compris la jeune équipe italienne Cagiva et les privés principalement équipés de Honda et de Yamaha. La seule manière d'éviter d'être perdant d'avance était d'amener un sponsoring suffisant pour louer une NSR500 ou une YZR500. Si le budget n'était pas assez important, il fallait faire une croix dessus... ou presque.
Car, il y avait bien une alternative : construire son propre moteur. C'est cette voie qui fut prise avec quelques succès par l'équipe italienne Paton et par le Français Claude Fior. Et c'est d'ailleurs son quatre cylindres en ligne transversal qui a fait ses débuts au Grand Prix du Japon en mars 1988. Après d'inévitables soucis de jeunesse, la Fior a peu à peu progressé dans les classements de course jusqu'à égaler la meilleure trois cylindres privée. Il s'agissait de la première moto de Grand Prix à quatre cylindres 100 % française depuis la Nougier du milieu des années 1950. Celle-ci présentait surtout la particularité d'être équipée d'une suspension avant à triangulation imaginée par Claude Fior et qui fut par la suite copiée par BMW sous l'étiquette Duolever.
Mais construire et développer son propre moteur est une autre affaire comme Claude "Pif" Fior a pu le découvrir à la dure après un succès précoce avec ses Fior-Honda à moteur de RS500 :
"Nous étions allés aussi loin que nous pouvions avec la RS500 dans les Grands Prix. Nous terminions généralement en tant que premiers privés en 87, mais pour nous améliorer davantage nous devions avoir un moteur à quatre cylindres. Sans l'argent pour en louer un aux Japonais, qui de toute façon ne nous auraient pas laissés utiliser mon propre châssis, nous n'avions pas d'autre choix que de construire le nôtre. En fait, tout est arrivé presque par accident. Alain Michel est venu à Nogaro pour tourner un film publicitaire pour son équipe et nous avons parlé des moteurs qu'ils utilisaient dans les courses de sidecar et des performances qu'ils offraient. Il avait en fait conçu son propre quatre cylindres en ligne, que JPX a fabriqué pour lui au Mans. Et notre moteur est un développement d'Alain. Nous l'avons légèrement modifié pour une utilisation en solo, l'avons construit et avons commencé un développement sérieux. Je ne peux pas prétendre que c'est une solution idéale, car un V4 étroit à vilebrequins contrarotatifs est plus compact et offre une meilleure répartition du poids, mais c'est certainement mieux qu'un V3 Honda. Le design d'Alain nous a mis sur la bonne voie dès le début de cette saison, au lieu d'en manquer la moitié en développant notre propre moteur à partir de rien."
Découverte
Ainsi, la Fior n'était ni une création d'Helmut Fath, ni une Yamaha TZ500 remaniée, deux rumeurs infondées qui circulaient à l'époque. Il utilisait cependant plusieurs pièces Yamaha : l'embrayage, la boîte de vitesses, les pistons et l'allumage Hitachi, qui provenaient tous d'une TZ500, tout comme les culasses. Mais le reste avait principalement été fabriqué pour Fior par JPX, dont le propriétaire Jacques Bouchoux allait plus tard gagner en renommée en devenant le fabricant des moteurs pour les répliques des Honda 250 six cylindres de George Beale. Parce qu'ils étaient construits en aluminium, les carters permettaient au moteur d'être utilisé comme un élément du châssis à part entière, éliminant efficacement le cadre, à l'exception des plaques d'alliage dans lesquelles le bras oscillant en aluminium pivotait.
Les cylindres Hummel de la Fior 500 étaient équipés de soupapes de puissance à guillotine, contrôlées électroniquement. Ils étaient en plus montés verticalement pour permettre aux quatre carburateurs plats Dell'Orto de 38 mm d'être orientés vers l'avant, permettant ainsi d'aspirer l'air frais dans les carters. Cela a également permis une forme idéale et une course plus droite pour les échappements orientés vers l'arrière, conçus par Fior lui-même.
Le nouveau moteur quatre cylindres Michel/Fior/JPX pesait 50 kg (le V4 Cagiva de l'époque faisait 43 kg), mais il a été construit rapidement. Les travaux ont commencé seulement six mois avant ses débuts en course pour l'ouverture de la saison 1988, le 27 mars à Suzuka. Dans tous les cas, à 127 kg avec huile et eau, la moto complète était compétitive en termes de poids avec l'ELF5 et la Suzuki RGV500, sinon aussi légère que les Yamaha et Honda V4. Sa puissance revendiquée de 150 chevaux à 12.300 tr/min n'était que légèrement en retrait. Cependant, l'inconvénient le plus évident de l'utilisation du moteur en ligne dérivé du side-car était sa largeur. Il a dû être relevé dans le cadre pour gagner en garde au sol sur l'angle, augmentant à son tour la hauteur et l'aspect de la machine. Ce n'est en fait pas le cas, comme l'a expliqué Fior lorsque je lui ai posé la question :
"Le vilebrequin sur le quatre cylindres est en fait 13 mm plus bas que sur la RS500 Fior-Honda et avec une largeur de 600 mm exactement, la moto n'est pas plus large que la NSR500 championne du monde avec Wayne Gardner."
À 1.350 mm, l'empattement de la Fior était assez court. Mais la répartition du poids de 52/48 % était assez conservatrice par rapport aux normes habituelles de Pif (60/40 sur sa TZ250). Pourquoi cela ?
"J'ai du faire un compromis en positionnement le moteur beaucoup plus en arrière par rapport à ce que j'aurais souhaité. Le problème était que, alors que le moteur tournait à l'envers pour réduire l'effet gyroscopique sur la tenue de route, le vilebrequin était encore très lourd. Donc si je mettais le moteur où je voulais, il y aurait eu un poids insuffisant sur la roue arrière, ce qui aurait entraîné des problèmes de freinage et d'entrée en courbe."
Il y avait un compromis similaire dans la géométrie de direction, qui avait un angle de chasse de 26° beaucoup plus ouvert que ce que Fior utilise normalement, mais avec seulement 85 de traînée. Même ainsi, c'était une direction louable, comme j'ai pu le découvrir lorsque je suis venu la piloter dans les méandres du circuit de Nogaro, le port d'attache de l'équipe Fior.
En selle
En fait, mes premières impressions sur la Fior 500 furent assez défavorables, ne serait-ce que parce qu'elle avait l'une des positions de conduite les plus curieuse que j'ai jamais rencontrées ! Le pilote Marco Gentile était aussi grand que moi, mais avait des jambes encore plus longues que les miennes. J'avais donc pratiquement besoin d'un marchepied pour monter à bord tellement la selle était haute. Ensuite, j'ai découvert que les bracelets étaient très fortement abaissés et avancés, comme sur ces machines de course à l'ancienne que l'on voit sur les photos en noir et blanc. Le résultat était que l'on devait rouler les coudes pliés, frottant contre les genoux. Ceci, couplé à la hauteur de selle, créait une sensation d'instabilité et le sentiment d'un manque de contrôle total sur la conduite de la moto. Et je peux garantir que cela prend un certain temps pour s'y habituer ! La position de conduite imparfaite était également dure pour les poignets. Bref, c'était une moto fatigante à piloter et ce, sur n'importe quelle distance, peut-être même pour son pilote habituel qui l'avait crashé à quelques tours de l'arrivée du GP de Laguna Seca alors qu'il était incontestablement dernier et ne pouvait de toute manière plus remonter en tête.
Je peux généralement m'adapter à une position de conduite inhabituelle. Mais la Fior est une exception. Sa position imparfaite rend le repli derrière la bulle très gênant. Et avec le réservoir de carburant placé au-dessus du moteur déjà haut, elle donne une impression de lourdeur et de manque de maniabilité dans les virages lents où elle tombe de manière imprévisible. Il faut toujours être là pour la maintenir quand elle le fait et ensuite batailler pour la relever en sortie de courbe. C'est un travail particulièrement éprouvant dans le Pif-Paf de Nogaro. Ce n'est pas la faute de la direction, légère précise et assez positive, mais une combinaison de la position de conduite et de la répartition du poids qui contraste fortement avec les rivales japonaises et italiennes de l'époque, que j'ai toutes pu piloter également.
Essai
Ces caractéristiques vraiment particulières n'ont pas permis de mettre en valeur les avantages de la suspension avant Fior, que je connaissais déjà pour avoir piloté la Fior-Honda RS500 avec laquelle Thierry Rapicault avait remporté le Championnat de France 500 en 1987. Cela comprenait non seulement un réglage rapide et facile de la géométrie de direction et de l'unité de suspension avant, mais également l'élimination du frottement et de la déflexion de la fourche, ainsi que le maintien d'un empattement et d'une traînée constants au freinage pour une maniabilité plus contrôlable. Vous pouvez freiner loin dans un virage sur la Fior, laissant l'amortisseur avant absorber les bosses sur l'angle tandis que le triangle continue à fonctionner, bien au-delà du point auquel une fourche conventionnelle de l'époque aurait risqué de figer. C'est particulièrement bienvenu sur une piste cahoteuse comme Nogaro. Mais il faut réaliser un effort conscient pour exploiter les avantages de cette Fior, lorsque votre cerveau peut vous dire qu'il est temps de relâcher les freins pour aborder le virage, alors qu'en fait on peut les maintenir jusqu'au point de corde avec la suspension qui fonctionne toujours. Il faut simplement reconfigurer son cerveau. Et bien que je me sois finalement persuadé de serrer le frein avant aussi fort que les étriers Brembo et le pneu avant Dunlop le permettaient conjointement, je n'ai jamais levé la roue arrière. Peut-être que Pif a bien réparti ses masses après tout !
Mais l'empattement court de la Fior signifie également que la roue avant n'a pas peur de s'envoler. La pire bosse de Nogaro est juste sur la trajectoire dans le virage à droite rapide qui mène à la ligne droite principale. Pris durement en troisième, la moto n'a qu'à effleurer cette bosse pour que la roue se lève et commence à s'agiter quand on est sur l'angle, les gaz ouverts en grand. Les bracelets commencent alors à trembler dans mes mains et la moto à osciller. Elle n'aurait pas été adaptée au Tourist Trophy. En fait, la Fior 500 n'est jamais devenue trop incontrôlable, mais il faut une bonne dose de conviction pour garder les gaz ouverts tout en se tortillant dans la ligne droite.
La position de conduite particulière rend ensuite impossible de saisir le réservoir avec mes bras pour forcer la Fior à se calmer, mais il faut pousser sur ses appuis pour mettre son poids sur l'avant. Là par contre, on peut dire qu'il y a probablement un problème de répartition du poids. Et c'était avec l'amortisseur de direction déjà serré autant que possible.
Mais qu'en est-il de ce moteur dérivé d'un side-car ? Eh bien, les trois-roues ont besoin de tout ou rien en termes de puissance, pour s'adapter aux sultans de la glisse. Alors comment cela a-t-il été ajusté pour l'application en solo du moteur JPX ? Au départ, ma réponse a été pas beaucoup, malgré mon premier tour sur la Fior, avec des pneus froids (les couvertures chauffantes n'existaient pas), me demandant si je ne ferais pas mieux d'annuler cet essai. Dès que l'aiguille du compteur a atteint les 9.000 tours, un troupeau d'étalons cracheurs de feu est arrivé et envoyé la roue avant de la Fior en orbite. C'est un miracle que je ne me sois pas craché une demi-douzaine de fois lorsque ça s'est produit en milieu de courbe, avec les pneus pas encore à température et tous les ingrédients réunis pour un highside. À la fin du premier tour, j'ai été soulagé de voir Claude Fior debout au milieu de la piste me faisant signe de m'arrêter. OK, on arrête le fun, laissons la moto sans les spécifications side-car maintenant.
Pif a calmement tendu la main par-dessus l'écran pour actionner un petit interrupteur sur le guidon de droite :
"Désolé, je t'ai envoyé sans que les soupapes de puissance soient allumées. Ce sera beaucoup plus facile mai,tenant."
Effectivement, ça l'était !
Soupapes de puissance en marche, la Fior quatre cylindres fournit une puissance motrice à partir de 6.000 tr/min, mais monte ensuite en puissance jusqu'à 8.500 tr/min lorsque les soupapes commencent à s'ouvrir et sont vraiment allumés à partir de 9.500 tr/min lorsque les orifices d'échappement sont complètement ouverts, jusqu'à un pic à 12.300 tours. Avec une carburation un peu trop riche lors de mon essai, le moteur a refusé de dépasser les 11.800 tr/min proprement, mais en tout cas, ce ne sont pas les hauts régimes qui m'ont le plus impressionné, mais les performances absolument impressionnantes à mi-régime, certainement aussi fortes que les autres 500GP que j'avais pilotées à l'époque. Ça en fait une machine très féroce, vous obligeant à vous accrocher fermement et à utiliser chaque toute sa force tout en dosant l'accélérateur avec finesse. Mais après avoir piloté la moto et regardé Marco Gentile à son bord en Grand Prix, je ne peux pas m'empêcher de conclure que Fior est allé trop loin dans l'autre sens, en sacrifiant quelques chevaux en haut pour obtenir un énorme coup de pied à mi-régime, au détriment de la maniabilité.
À l'époque, la conception du moteur avait commencé par imiter les sidecars en termes de caractéristiques de puissance. Les derniers 1.500 tr/min devenaient le domaine vital de la performance, son exploitation rendue possible par l'adoption universelle (comme sur la Fior) d'une boite de vitesses extractible de type cassette dont les rapports pouvaient être rapidement modifiés pour répondre aux besoins du moteur et du circuit.
Sur la Fior, bien que la boite à six rapports change de vitesse en douceur, le couple à mi-régime de la moto est si élevé que le changement de rapport n'est pas vraiment un facteur clé pour tirer la quintessence des performances. Mais s'il avait élargi la plage de puissance via l'orifice du cylindre, la conception de l'échappement et le calage de l'allumage, je pense que Fior aurait pu obtenir plus de vitesse de pointe. Et si quelqu'un pouvait gérer ce type de moteur, c'était bien Marco Gentile. Il avait déjà remporté le titre européen 500 en 1985 en battant des RS500 et des Suzuki RG500 sur une Yamaha TZ500 âgée dont il avait obtenu des performances improbables en y installant un moteur aux spécifications de sidecar réglé en Suisse.
Conclusion
L'exploit de Claude Fior ne peut être sous-estimé. Tant de gens rêvent de construire leur propre moto avec leur propre moteur. Fior est l'un des rares à être allé de l'avant et à l'avoir fait. Avec l'aide d'Alain Michel, il a construit sa propre moto de course entièrement française en seulement trois mois et, mieux encore, il a inscrit régulièrement des points en Grands Prix après sa première demi-douzaine de courses. Compte tenu du peu de travail de développement qui avait alors été réalisé, être arrivé aussi loin aussi rapidement est en soi une merveilleuse réussite qui, plus de 30 ans plus tard, mérite toujours autant d'admiration et de louanges. Certainement plus que le mépris pour les "drôles de fourches" de Fior qui ont été tuées par ceux qui préféraient apparemment que les grilles de courses se composent de motos presque identiques. La Fior 500 a parcouru un long chemin en peu de temps et on peut également souligner qu'elle a régulièrement terminé les courses de GP, ce qui est plus que ce que l'autre alternative européenne, la Cagiva V4, était capable de réaliser à ce moment-là.
Après s'être retiré des GP 500 suite à la fin du sponsoring par Marlboro en 1989, Pif et moi sommes restés en contact. Alors que je pilotais de plus en plus de ses motos, chacune avec une position de conduite moins difficile que la 500, j'ai été d'autant plus convaincu des qualités de son design frontal. En temps voulu, mais après son décès, ce design a atteint la production en série pour des motos de route grâce à son ami et voisin Thierry Henriette, dont les modèles Brough Superior portent tous une fourche Fior, tout comme l'Aston Martin AMB 001 qu'il fabrique actuellement à Toulouse. Avant cela, en 1992, j'ai pu acheter l'une des deux Fior 500 qu'il a construits pour le compte de mon ami italien Vittorio Negri afin que celle-ci rejoigne son incroyable collection de 500GP. Après sa mort prématurée, la collection a été démantelée et la Fior 500 est passée entre les mains d'Andrea Brega qui l'a remise en état pour la piste. Mieux encore, il a également retrouvé et reconstruit la toute première sportive d'endurance Fior-Yamaha XS1200 de 1978 pour conclure l'histoire chimérique de Claude Fior en course en faisant l'acquisition de sa première et de sa dernière création de GP. Pif aurait approuvé...
Points forts
- Train avant
- Puissance à mi-régime
- Freinage
Points faibles
- Position de conduite
- Répartition du poids
Commentaires
Merci beaucoup pour ce morceau d'histoire.
31-03-2022 21:51On a beau la connaître, cette histoire, c'est toujours plus qu'un essai que Alan nous dévoile.
31-03-2022 22:49