Essai moto Suzuki RGV500 XR89
L'ultime évolution des 500 GP 2T championne du Monde des Grands Prix 2000 avec KR Jr, Kenny Roberts Junior
Tel père, tel fils
Mission accomplie. Après avoir remporté quatre Grands Prix et terminé deuxième du classement général du Championnat du Monde 500 GP du dernier millénaire, Kenny Roberts Junior et la Suzuki RGV500 XR89 ont réussi à faire mieux en 2000. KR Jr a remporté le titre mondial deux courses avant la fin du championnat après avoir remporté à nouveau quatre épreuves dans cette saison de 16 Grands Prix, avec un seul abandon à Assen après que le moteur ait cassé alors que junior semblait filer vers un cinquième succès. Un total de quatre poles positions, neuf podiums et trois meilleurs tours en course ont sacré le roi Kenny II et la XR89 comme l'équipage dominant de ce nouveau millénaire, devant Valentino Rossi qui courait sa première saison avec Honda. Ce succès, le pilote Suzuki l'a obtenu après avoir pris la tête du championnat dès la troisième course et l'avoir conservée tout au long de la saison malgré un manque de puissance évident de la part du moteur Suzuki sur lequel Kenny s'est beaucoup exprimé tout au long de l'année. Cela a juste signifié qu'il a dû travailler un peu plus pour succéder à son père en tant que maître de l'univers du 500GP, exactement 20 ans après que KR Senior ait décroché son troisième et dernier titre mondial avec Yamaha...
Cap sur Phillip Island
Deux jours après le Grand Prix d'Australie qui marquait la fin de la saison, j'ai eu la chance de pouvoir tester la nouvelle Championne du Monde 500GP sur le circuit de Phillip Island. J'avais déjà eu l'opportunité d'essayer la RGV500 sous sa forme XR89 un an plus tôt à Jerez. Mais Jerez est une piste plus serrée que le rapide et intimidant circuit australien. En Espagne, j'avais découvert le principal point fort de la moto : sa direction douce et sa maniabilité précise, fruit de la collaboration entre Roberts, le staff Suzuki d'Hamamatsu et l'ancien pilote et ingénieur de course Warren Willing qui a doté la XR89 d'un châssis particulièrement équilibré la distinguant de ses concurrentes. Cependant, la capacité de couper à l'intérieur et de maintenir une trajectoire serrée dans un virage lent était une chose à Jerez, mais la piste rapide et fluide de Phillip Island était l'occasion de réaliser un nouvel examen pour savoir si l'agilité et l'équilibre de la Suzuki dans le changement de direction étaient obtenus au prix d'une instabilité à grande vitesse ?
Vingt-cinq tours sur l'île plus tard, j'ai eu ma réponse, ainsi qu'une leçon sur les niveaux de compétence phénoménaux nécessaires pour piloter l'ultime évolution des 500 GP 2-temps à un rythme compétitif. Pourtant, deux ans plus tard, ces motos allaient entrer dans l'histoire, remplacées par des 4 temps plus lourdes mais non moins exigeantes.
Alors que par le passé, en testant des Superbikes Factory à Phillip Island, j'ai toujours été en mesure de prendre le rythme assez rapidement et d'atteindre un temps de qualification pour la course de WSBK organisée sur le même circuit, je dois admettre qu'essayer de faire la même chose avec la plus légère, mais aussi puissante et infiniment mieux freinée RGV500 présente une courbe d'apprentissage bien plus raide et demande bien plus de temps à maitriser.
Mais j'étais en bonne compagnie aux côtés de l'ancien Champion du Monde Kevin Schwantz qui reprenait le guidon d'une 500 pour la première fois depuis 5 ans. Figurez-vous que même lui comptait sept secondes de retard sur les temps du roi Kenny II et son nouveau coéquipier espagnol Sete Gibernau (qui découvrait la Suzuki dans le même stand que moi). Oups !
Tout arrive plus vite
Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais une fois que l'on a programmé son cerveau pour se convaincre que ce qui semble être une vitesse d'entrée suicidaire pour la courbe Siberia, juste après un passage parfait dans le Honda Corner, on se rend compte que c'est la bonne approche pour piloter ce missile plus ou moins guidé que représente une 500 GP. La différence avec une Superbike tient dans le poids, ou plus précisément dans le rapport puissance/poids, ce qui fait que tout semble arriver beaucoup plus vite. Et pourtant, ces deux types de motos très différents étaient pourtant à l'époque à égalité sur le record du tour à Phillip Island.
Sur une Superbike de 162 kg, on a au moins l'impression d'être plus ou moins aux commandes, capable d'utiliser la puissance de même niveau, mais plus souple délivrée par le moteur quatre temps et par-dessus tout de faire usage de la combinaison plus contrôlable de frein moteur et de disques métalliques avec plus d'assurance au moment de freiner à haute vitesse qu'avec les freins carbones composites et le frein moteur minimal du missile de 132 kg.
Mais sur la RGV 500, bien que la vitesse maximale de plus de 300 km/h soit actuellement plus lente que plusieurs Superbikes factory de l'époque, on atteint cette dernière beaucoup plus rapidement. Ce faisant il est encore plus crucial de choisir la bonne trajectoire, presque instinctivement, à travers les courbes rapides qui se succèdent à Phillip Island, car la trajectoire idéale se rétrécit beaucoup plus rapidement sous une telle explosivité à l'accélération, on a donc beaucoup moins de temps et encore moins d'espace pour faire des corrections.
J'en ai fait l'expérience après Siberia quand, grâce à l'excellente propulsion de la Suzuki même sur l'angle, je suis tellement bien sorti de la courbe que j'ai raté le freinage pour le droit suivant à Hayshed et suis parti trop loin dans le virage, ce qui à son tour m'a mis dans l'erreur pour tout le reste jusqu'à Lukey Heights. Là, j'ai été dépassé sans effort par Kenny Roberts en personne, avec un hochement de tête de pitié, avant qu'il ne me fasse une démonstration sur comment s'arrêter pour le virage en épingle de MG juste après. C'est arrivé après une autre leçon lors de ma session précédente où j'étais trop occupé à me complimenter sur le freinage tardif que j'avais réalisé dans le premier virage Doohan Corner, en attendant le panneau de 150 m à la fin de la ligne droite principale pour descendre deux rapports et freiner copieusement... au moment où KR surgissait, toujours gaz grands ouverts sur le dernier rapport !
Kenny Roberts Junior :
J'ai fait un tour en 1'31 ici, mais seulement en ne freinant pas du tout pour le premier virage. Je descends simplement deux rapports au panneau 100 et je réduis la vitesse du pneu. Ok, il faut un certain temps pour y parvenir, mais c'est l'un des principaux avantages de la Suzuki : la vitesse de passage en courbe. C'est aussi notre gros handicap, car nous avons moins de chevaux que les Honda et Yamaha. Donc si on les devance, on a une chance de gagner. Mais si un pilote Honda se retrouve devant nous, chaque fois qu'il met les gaz, il creuse l'écart. Je peux prendre n'importe qui au freinage sur la Suzuki, mais pas s'il part avec 20 mètres de retard à cause du manque de puissance.
À moins de ne pas freiner du tout dans certains virages, bien sûr...
Les subtilités du freinage
Même à mon rythme plus lent sur la Suzuki, j'ai pu apprécier à quel point elle conserve sa vitesse en virage. Il y a en plus ce bon feeling de la fourche Öhlins adoptée par l'équipe au milieu de la saison 1999 et idéalement installée pour offrir beaucoup de retour d'information du pneu avant Michelin de 17" avec lequel le team a toujours roulé, plutôt que le 16,5" préféré par d'autres équipes. Mais les leçons sur le maintien de l'élan mis à part, c'est le freinage à haute vitesse qui a pris le plus de temps à maitriser sur la RGV 500. C'est assurément là que j'ai perdu le plus de temps.
L'année précédente à Jerez, c'est un aspect de la moto que je trouvais critiquable, son manque de stabilité sur les gros freinages. Ce point a même été commenté par certains des rivaux de Kenny, y compris le champion précédent Alex Crivillé. À Phillip Island, un an plus tard, ce freinage est devenu l'obstacle pour améliorer mes temps au tour, surtout parce qu'il m'a fallu réapprendre tous mes points de repère de freinage de Superbike pour m'adapter à l'efficacité des freins en carbone Brembo. Fabriqués par la société italienne à partir d'un matériau composite Mitsubishi qui maintient la chaleur plus longtemps et assure ainsi un meilleur feeling au levier ainsi qu'un arrêt super efficace à haute vitesse, tout en étant plus durable.
Eugenio Gandolfi, technicien Brembo :
"L'équipe Suzuki n'a consommé que trois jeux de disques par moto sur la saison. Mais nous préférions qu'ils utilisent des disques plus petits de 290 mm à Phillip Island, comme ils le font sur plusieurs autres pistes pour aider le disque à maintenir sa température dans des conditions plus froides. Seul Kenny préfère les disques de 320 mm pour leurs performances supplémentaires aux différents points de gros freinage ici en Australie."
Un châssis très stable
Le châssis performant de la Suzuki s'est avéré tout aussi indulgent sur une piste rapide comme Phillip Island que sur un tracé plus lent comme Jerez. Elle change toujours aussi bien de direction et reste équilibrée en passant rapidement sur les ondulations à la sortie de Siberia, ignorant leurs effets sans effort et maintenant sa trajectoire. Au virage droit suivant, il est cependant préférable de prendre un rapport plus bas que prévu pour rester dans la traj, avec le moteur chantant à haut régime, mais sur la fin de la courbe de couple. Un rapport au-dessus cela a pour effet de pousser la roue avant et force à ralentir pour corriger le tir. À haute vitesse, la Suzuki est très équilibrée, ne secouant la tête qu'une fois par tour sur la grosse bosse du virage 12 menant à la ligne droite Gardner, mais cela est probablement dû à un réglage de l'amortisseur arrière un peu trop mou pour mon poids supplémentaire par rapport à Kenny.
Ailleurs, le châssis de la XR89 est ultra-stable. Mais si l'on serre les freins pour corriger sa vitesse d'entrée une fois sur l'angle et engagé dans le virage, la moto se redresse et tire tout droit. La Suzuki récompense ainsi un style de pilotage propre et précis de type GP 250 tel que celui dans lequel KR Junior excelle et qui m'a permis de garder de la vitesse en courbe en prenant beaucoup d'angle grâce au grip des flancs du Michelin arrière de 16,5" sur les accélérations. Le fait que je l'ai découvert par erreur après avoir raté mon point de freinage pour le virage 2 et que j'ai dû prendre la Southern Loop à une vitesse me semblant suicidaire est bien sûr totalement hors de propos. Au tour suivant, j'y suis retourné tout aussi vite, mais cette fois volontairement... !
La seule fois que la partie cycle de la XR89 semble nerveuse est sur les freinages très forts, spécialement dans la descente vers l'épingle MG, quand le transfert de poids supplémentaire lié à la gravité empire une situation déjà gênante. Bien que Kenny Robert ait dit qu'il utilisait le frein arrière en premier pour contrer ça, cela semble vraiment difficile, surtout par rapport au comportement plus équilibré de la Honda NSR500 de Valentino Rossi que j'ai pilotée le mois suivant à Jerez. Ironiquement, c'est encore plus évident dans la courbe Honda où je passais en cinquième à haut régime dans le précédent Stoner Corner avant de freiner très, très fort encore sur l'angle pour prendre l'épingle juste après.
Maitriser la puissance
La morsure redoutable des freins en carbone, associée à l'élan de la moto, soulève la roue arrière alors que j'essaie de redresser la Suzuki, la faisant onduler alors qu'elle serpente déjà sous le freinage, ce qui la rend très difficile à mettre sur la bonne trajectoire et à suivre cette dernière. À deux reprises, je me suis dégonflé, perdant ma confiance dans la capacité du Michelin avant et prenant le virage à vitesse excessive sur la mauvaise ligne, avant d'emprunter la voie de secours. En fait, j'y suis allé trois fois, la troisième après avoir oublié d'ouvrir le robinet d'essence avant de m'élancer pour ma deuxième session, ce qui a immobilisé le moteur V4.
C'est sur ce même moteur que la plus grande amélioration a été faite entre la moto que j'avais pilotée un an plus tôt et celle-ci. La puissance maximale avait été grandement améliorée et la transition vers les moyens régimes autour de 10.500 tr/min avait été renforcée et lissée. Comparé à la puissance plus abrupte de la Honda aux mêmes régimes, le moteur Suzuki est ici plus conciliant, mais pas aussi puissant que celui de la NSR. On peut dire qu'il est meilleur en bas que la Honda puisqu'en sortant de l'épingle MG je peux passer brièvement de la première à la seconde autour de 10.000 tr/min avant de l'emmener dans le long gauche suivant en jouant sur l'accélérateur pour la piloter proprement et prendre de la vitesse à mesure que la voie s'ouvre. Cela m'a permis de profiter du portage révisé de la Suzuki 2000 et des échappements à dimension variable à commande électronique pour éviter une reprise à bas régime plutôt cahoteuse lorsque la roue arrière décroche légèrement.
Le changement de vitesse du powershifter est vraiment bien paramétré. Je dois cependant admettre ne pas avoir accordé beaucoup d'attention à la ligne de 5 leds rouges qui s'illuminent successivement au-dessus du compteur analogique. J'étais bien trop occupé à tenir fermement la moto pendant que la roue avant palpait l'air et que j'essayais désespérément de persuader mon cerveau de suivre la redoutable accélération d'une 500 GP deux-temps. En me souvenant de ce que m'avait dit Warren Willing un an plus tôt, j'ai mis fin aux wheelings à la sortie de Siberia en montant dans les tours pour que le moteur sorte de la courbe de couple, ce qui paradoxalement assure un meilleur entraînement que l'utilisation du maximum du couple autour de 11.500 tr/min. C'était également mieux pour ma fréquence cardiaque. Au moins je peux voir où je dirige la moto pour le prochain virage, sans atterrir sur la roue avant avec le guidon tourné alors que j'essaye de faire tourner la moto avec la roue en l'air...
Conclusion
Le roi Kenny II a peut-être eu du pain sur la planche pour défendre sa couronne mondiale en 2001, après que Suzuki ait suspendu la R&D deux-temps en faveur de son projet de MotoGP à quatre-temps. Mais il s'est imposé à la loyale en 2000 sur une Suzuki qui s'est avérée être le meilleur package de la grille, tout comme son père l'avait fait 20 ans plus tôt sur une Yamaha développant la même puissance. Tel père, tel fils...
Points forts
- Agilité
- Maniabilité
- Puissance de freinage
- Accélération
Points faibles
- Stabilité au freinage
- Vitesse de pointe
Commentaires
Merci beaucoup Alan... Je déguste ce formidable essai/article/compte-rendu avec délice, en prenant mon petit café du matin.
07-11-2020 09:01Dommage que je sois si loin des paddocks ! Enfin, ce devait être bien là une époque "encore" bénie des dieux ! Merci à toi, motard !
C'est sûr que ça fait carrément envie: de piloter la meule de Kenny Roberts, de savoir la piloter, de fréquenter ces circuits mythiques... bref, on s'inscrit où pour recommencer sa vie de motard ?
07-11-2020 11:18Pour Mr Cathcart : piloter ce genre de motos... C'est du gâteau !
07-11-2020 22:59Je suis déjà parti très très loin =)
"comme son père l'avait fait 20 ans plus tôt sur une Yamaha développant la même puissance."
18-11-2023 22:09c'est une blague de traduction je suppose...