Essai sportive Ducati MH900e
Unique en son genre
V-Twin desmodue, 904 cm3, 75 ch et 76 Nm, 186 kg à sec, 2.000 exemplaires produits
Vous savez que vous avez réussi en tant que designer moto quand un de vos confrères salue votre travail - et mieux encore - s'en inspire pour produire sa propre variation sur une thématique similaire. C'est ce qui est arrivé au Sud-Africain Pierre Terblanche 20 ans après avoir créé sa célèbre Ducati MH900e néo-rétro. La 900 MH900e c'était l'association fascinante d'ancien et de nouveau, conçue comme un anniversaire, pour ses 10 ans à la tête du design Ducati. La production suivra en décembre 2000.
Le désormais ex-directeur du design de MV Agusta Adrian Morton lui attribue ensuite la genèse de sa sensuelle Superveloce 800 :
J'aime beaucoup la Ducati MH900e que mon pote Pierre Terblanche a conçu en 2000. Quand j'ai vu cette moto pour la première fois, elle m'a vraiment touché au niveau du design. Car elle n'était pas rétro, mais pas non plus moderne. Elle parvenait à capturer l'équilibre entre le futur et le passé d'une manière inédite. Nous avons essayé de faire de même avec la Superveloce.
Mais, était-elle magnifique ou horrible ? Belle ou carrément divine ? On ne pouvait assurément pas rester indifférent au showbike MH900e de Terblanche lors de sa première apparition à Intermot 1998. C'était une moto que l'on aimait ou que l'on détestait la première fois que l'on posait les yeux sur elle, ce qui a divisé l'opinion à un point que peu de motos ont atteint (à part peut-être la Bimota DB3 Mantra de 1995). La création de Terblanche a ainsi rempli son objectif présumé, faire parler d'elle, créant ainsi un nouveau prestige pour la marque Ducati dans son ensemble tout en attirant l'attention sur celle-ci. Pour un showbike, le contrat était rempli !
Genèse
Oui, mais ce n'est qu'un concept, pensaient les fervents admirateurs de la MHe à travers le monde, nous ne pourrons sûrement jamais en acheter une ? Eh bien, Ducati a été tellement submergé par les retours, qui ont même entraîné le crash de son site web, à ce qui devait initialement n'être qu'une création unique, que la décision de construire une édition limitée et numérotée de 1000 exemplaires fut rapidement prise. Il est vite devenu évident que cela ne suffirait pas. Et pour le Salon de Bologne en décembre 1999, Ducati avait déjà doublé ce nombre pour répondre à la demande.
De plus, la MH900e, pour "evoluzione", serait la première moto à être exclusivement vendue par internet. Chacune des 2000 motos fabriquées étant vendues au prix de 15.000 €, quel que soit le pays dans lequel on se trouvait. Le succès fut immédiat lors de l'ouverture du site dédié, les 1000 premiers modèles partant en seulement 31 minutes, les autres dans les douze heures qui suivirent avec environ 38% d'acheteurs au Japon, 30 % en Europe, 30% aux États-Unis et le reste en Australie et en Amérique du Sud. Une fois la commande validée, le client pouvait suivre l'état d'avancement de la construction de sa MH900e sur internet avant que celle-ci ne soit envoyée chez le concessionnaire le plus proche.
Inévitablement, la MH900e a rapidement atteint le statut d'objet de désir, laissant une horde d'acheteurs potentiels insatisfaits, avec des machines confirmées revendues à prix d'or sur le Web... Ducati a même publié un livre intitulé Aooh! Ch’e ‘sto net? Manname ‘na moto! (que l'on peut traduire approximativement par "Hé ! Qu'est-ce que c'est que ça le net ? Donne-moi juste la moto !"), une collection de messages provenant de diverses sources, allant de ceux qui furent assez rapides pour attacher leur nom à la moto, à d'autres qui n'étaient pas si chanceux, ainsi que ceux qui ont préféré admirer, ou de dégainer, de loin. Comme la moto, le livre ne fut naturellement disponible que via le site internet de Ducati.
La production de la MH900e devait à l'origine être sous-traitée à Bimota et commencer en juin 2000. Mais l'effondrement de la petite entreprise de Rimini en avril a poussé Ducati à trouver de l'espace dans son usine de Bologne pour la fabrication artisanale d'une moto qui, par définition, ne pouvait pas être assemblée sur les lignes de production habituelles. C'est pour cela que la construction des 2000 motos n'a finalement débuté qu'en décembre 2000, un an après le lancement, avec un équipement assemblant les machines par lots de 50 pour les livrer partout dans le monde. Cinq motos environ étaient produites chaque jour, un rythme relativement lent qui explique que les 2000 unités promises ne furent finalement terminées d'être produites qu'en 2002 !
Le concept MH900e a su relier les différents pans de l'histoire de la moto en utilisant une technologie moderne, en la vendant via un marketing de demain et en s'appuyant sur le style des conceptions d'hier. Rappelons que MH représentait Mike Hailwood, vainqueur de l'un des deux succès les plus célèbres de Ducati, sur l'Ile de Man lors du Formula 1 TT de 1978 et dont la moto fut le point de départ du travail de design de Pierre Terblanche.
La version de production était une réplique relativement fidèle du concept bike d'Intermot. D'ailleurs, Ducati fit le choix curieux de mettre ce prototype original aux enchères lors de la vente Sotheby de Chicago en septembre 1999. S'il n'a pas atteint son prix de réserve de 1 million de dollars, le proto est monté jusqu'à 750.000 $. Encore une bonne publicité pour celle que l'on pouvait acheter pour une fraction de cette somme.
Tout aussi curieusement, Ducati, qui était à cette époque sous contrôle américain, aurait dû être plus consciencieux sur la question des droits d'auteurs. Il est apparu quelque temps plus tard que la marque n'avait pas contacté Pauline Hailwood, la veuve de Mike, ou son fils David pour obtenir l'accord d'utilisation du nom du pilote dans sa MH900e. Aucune disposition n'avait donc été prise pour rémunérer les ayants droit sur les ventes de chaque modèle. En 2001, Ducati fut attaqué par Pauline pour l'utilisation abusive du nom de Mike Hailwood et s'est défendu de manière originale en avançant que la MH900e était simplement "inspirée par la moto Ducati que Mike Hailwood a pilotée lors du Tourist Trophy 1978". L'affaire s'est réglée de manière confidentielle, Pauline accordant à l'entreprise une licence rétroactive, vraisemblablement sur la base de compensations financières.
Découverte
Alors que la version de production conserve le revêtement métallique du prototype autour du moteur, afin de donner l'impression qu'il est propulsé par un moteur bicylindre en V desmo des années 70 similaire à celui qui a conduit la moto de Mike à la victoire au TT, il s'agit en fait du même moteur Desmodue à simple arbre à cames en tête, injection, refroidissement à air, entrainement par courroie et boite 6 rapports que les 900SS et Monster contemporaines, produisant seulement 75 chevaux à 8.000 tr/min sous sa forme MH900e. C'est 4 chevaux de moins que la 900SS en raison du système d'échappement plus restrictif, avec un couple maximal de 76 Nm à 6.250 tr/min.
À bien des égards, la conception originale de Terblanche réussit l'exploit difficile de préserver futurisme et rétro. Elle repose ici sur un cadre treillis en acier Chrome-Moly dessiné de manière à ce que le moteur puisse être vu le plus possible de chaque côté. Le résultat est une moto plutôt haute dont la selle à 825 mm semble encore plus relevée, de sorte que même un pilote de 1m83 ne puisse poser que la pointe des pieds au feu rouge. Avec son 1m93, son concepteur ne devait pas avoir le même problème. Il a d'ailleurs admis plus tard que c'était une moto qu'il rêvait de construire pour lui-même...
La selle raccourcie avec les doubles échappements est une des caractéristiques du modèle, tout comme le demi-carénage à nez pointu qui se mélange au réservoir de carburant, rappelant l'unité selle/réservoir monobloc de la Ducati d'Hailwood qui était alors surmontée du logo Ducati dessiné par le styliste automobile Giugiaro.
Le monobras oscillant en treillis tubulaire aux formes complexes est une véritable oeuvre d'art, une réinterprétation intelligente voire moderne de la marque de fabrique Ducati avec des matériaux d'époque. Pour beaucoup, c'était l'élément le plus admirable de la moto, un chef d'oeuvre de cintrage de tubes et de ferronnerie, intégrant le décalage du mono amortisseur Paioli à action directe vers la gauche.
Les roues Machesini sont uniques à la MH900e et identiques à celles montées sur le proto d'Intermot. Mais on trouve désormais deux disques avant Brembo de 320 mm montés sur les roues de 17 pouces au lieu de l'unique disque avant-gardiste du prototype dont le matériau n'était encore pas homologué pour la route.
On relève d'autres différences mineures avec le concept comme les clignotants arrière déplacés de l'intérieur des silencieux vers une position séparée en dessous, le phare avant plus large pour des raisons d'homologation, la clé conventionnelle au lieu de la carte magnétique, l'absence de demi-carter exposant l'embrayage en raison des restrictions européennes et enfin le feu-stop venu se placer à la place de la caméra qui surveillait la zone derrière le pilote.
En selle
J'ai eu l'opportunité de piloter le prototype de pré-production de la MH900e, estampillé du numéro 0000/2000. Le numéro était placé sur une plaque argentée au sommet de l'habillage du réservoir enveloppant une minuscule réserve de carburant en plastique d'à peine 8,5 litres.
Je me rappelle de ce jour, une glaciale journée de janvier 2001. Le mercure dépassait péniblement le zéro. Ces conditions m'ont toutefois permis de découvrir quelques bonnes surprises. Tout d'abord, c'est une moto de route beaucoup plus performante que ce qu'espéraient la plupart des gens.
La hauteur de la moto est son seul inconvénient majeur, même pour quelqu'un dont la taille n'est habituellement pas un souci, comme moi. Je ne sais pas comment les 38% d'acquéreurs résidant au Japon ont réussi à faire face à une moto sur laquelle ils n'avaient jamais pu s'asseoir avant de la commander...
Les proportions de la MH900e sont assez différentes de celles de la longue et relativement basse Hailwood/NCR TT, avec une position de conduite spacieuse et un empattement allongé. À 1.415 mm d'empattement sur la MHe, on est bien loin des 1.500 mmm de la moto d'origine et la position de conduite est également plus étriquée. De plus, en raison de son arrière surélevé, il y a plus de poids sur les poignets et les épaules que sur les anciens V-Twins. La création de Terblanche sur le thème des 70's parvient à donner une impression de sportivité et d'agilité supérieure lorsque l'on est assis dessus, beaucoup plus que sur la 900 SS.
À la place de la caméra du proto, Ducati a installé une paire de rétroviseurs issus de la 996 et tout aussi inutiles : on ne voit rien d'autre que ses bras. D'ailleurs, durant mon essai un des deux est tombé et j'ai ensuite du retirer le second, permettant à la moto de gagner en style. Puisqu'ils ne servent à rien, je parie que beaucoup des 2000 motos ont fini de la sorte. Un sort qu'a également dû connaitre l'échappement qui fournissait une note plutôt plate malgré son élégante apparence.
Le tachymètre de style Veglia à face blanche du prototype, qui comprend un compteur numérique en dessous, a été conservé, tout comme la béquille cachée que l'on ne peut déplier qu'une fois descendu et qui incite à laisser la moto en prise une fois garée.
Essai
Mais une fois à bord de La Hailwood, comme tout le monde l'appelle chez Ducati (Pauline avait surement raison !), on se sent immédiatement bien, avec les genoux blottis dans les découpes du "réservoir", tout comme sur la NCR d'origine que j'ai eu l'occasion de piloter à quelques reprises. Au premier abord, en roulant lentement pour essayer de faire monter en température les Michelin Pilot, la MH semble maladroite, avec une propension de la roue avant à essayer de rentrer dans les virages plus lents. Mais alors que les pneus chauffent et que tout commence à s'assembler, je réalise qu'il s'agit d'un ensemble bien développé, avec un accord des suspensions étonnamment bon et de belles qualités de conduite de la fourche Marzocchi inversée de 43 mm non réglable, mais surtout de l'amortisseur cantilever Paioli décalé.
Malgré l'absence de lien, il se montre étonnamment souple, à tel point que lors de ma première session j'ai ressenti une maniabilité supérieure à celle de la 900SS, à la fois en termes de géométrie du châssis et de réponse de la suspension. La MHe tourne plus vite et s'emmène très bien à des vitesses plus élevées, avec un angle de chasse à 24° et une chasse de 98.5 mm offrant une bonne stabilité dans les courbes rapides, même celles avec une bosse où la moto relativement lourde pour un V-Twin (186 kg à sec) ne fait que hausser les épaules.
C'est juste dommage qu'elle soit si haute, car cela la rend assez lourde à basse vitesse, en particulier à travers le centre-ville de Bologne jusqu'à la célèbre montée bordée de portiques qui mène à la basilique San Luca et à la campagne au-delà. Et si la garde au sol semble illimitée, je ne peux pas dire que j'ai exploré le bord des épaules des pneus dans les virages potentiellement très rapides en raison des faibles températures.
Malgré la conception relativement modeste de l'étrier à quatre pistons, l'ensemble de freins Brembo assure un bon mordant. Un arrêt d'urgence n'a pas provoqué de plongée excessive de la fourche Marzocchi. Elle est en fait assez agréable à conduire.
Un élément clé est le moteur desmodue qui semble avoir été retravaillé depuis ma dernière sortie sur une 900SS 18 mois auparavant. La plus grande amélioration réside dans la boîte de vitesse, qui est ici plus précise dans la sélection et surtout avec une action beaucoup plus légère sur le levier d'embrayage, bien plus que sur n'importe quelle desmodue de l'époque : même le neutre est facile à trouver au repos !
Il y a une bonne réponse du moteur dans les bas régimes, sans les à-coups que l'on rencontrait avant. Cela rend le pilotage de la MHe sur les routes sinueuses d'autant plus gratifiant, alors que l'on freine tard dans le virage en attendant le retour du pneu avant sur l'état de la route, que la fourche Marzocchi d'entrée de gamme, mais efficace, parvient à gommer.
La réponse souple, mais réactive lorsque l'on remet les gaz en sortie de virage permet de surfer sur la courbe de couple du V-Twin encore plus facilement que 20 ans auparavant sur la MHR 900 Mike Hailwood Replica, rendant au moins un des six rapports superflu.
Conclusion
OK, je l'admets : je ne m'attendais absolument pas à ce que la MH900e se révèle aussi satisfaisante à piloter que captivante à regarder. Mis à part sa position haute et sa sonorité terne, c'était une moto plus rafraîchissante et sans doute meilleure que la 900SS dont elle était dérivée.
Ce concept était trop beau pour être laissé à l'état d'édition limitée et abandonné après la livraison de 2.000 exemplaires promis. Ce que Ducati tenait là, presque involontairement, c'était la base de la nouvelle génération 900SS et de ses soeurs desmodue sur le segment Sport Classic. C'était un concept qui méritait plus que les 2.000 chanceux qui étaient devant leur écran d'ordinateur pendant que nous faisions la fête le soir du Nouvel An 2000. Malheureusement, c'est une opportunité qui a été rejetée par la direction de Ducati : la MH900e est destinée à rester à jamais unique en son genre.
Points forts
- Look
- Suspensions
- Moteur souple
- Transmission
Points faibles
- Hauteur de selle
- Son de l'échappement
- Béquille fébrile
- Rétroviseurs
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