Valentina ou le pèlerinage Rossi

L'absolution du cuir au lieu du saint-suaire

Chaque année au mois de mai, Valentina se prépare pour un long et éreintant pèlerinage à travers la France. Certains font des centaines de kilomètres pour apercevoir le pape mais Valentina préfère rouler des heures et des heures pour approcher son Dieu. Ce Dieu-là n’a pourtant rien de catholique quoique Italien, préférant porter le cuir au saint-suaire, s’enivrer à l’essence plutôt qu’à l’eau bénite et enfin écrire ses dix commandements sur l’asphalte plutôt que sur une tablette de pierre.

Vous l’aurez sans doute compris, Valentina n’est pas vraiment une enfant de chœur. En témoigne ses nombreux tatouages à l’effigie du sacro-saint Valentino Rossi, son idole, son maître, que dis-je son Dieu.

Une fois son casque jet jaune canari bien vissé sur la tête et son blouson de cuir bien ajusté, la voilà prête à prendre la voie du circuit Bugatti. Un petit tour de clé et voilà que sa Yamaha, jaune elle aussi, façon replica, fait entendre son frêle rugissement.
Après avoir dépensé une bonne partie de son pécule dans l’achat d’une Ducati Monster Replica Rossi il y a quelques années et dans un billet loge tribune fan club Rossi, Valentina n’avait guère les moyens d’investir dans une Yamaha aux couleurs de son idole. C’est pourquoi elle mettait les gaz au guidon de son X-Max 125 customisé en direction du Mans.
Sa chevelure blonde peroxydée volait au vent tandis que son scooter d’occasion filait à 90km/h sur l’autoroute. Les camions, camping-cars, twingo et autres dodoches s’en donnaient à cœur joie sur la file de gauche tandis que Valentina saluait sans grand succès les motards qu’elle croisait sur sa route.

Près de cinq heures plus tard, Valentina arrivait enfin au Mans. Avec son scooter jaune canari, on aurait dit un poussin au milieu d’un troupeau de coqs mais malgré quelques brimades et le regard dédaigneux voire moqueur de ses pairs, Valentina gardait le sourire car elle savait qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres seulement de son Valentino.

Dans l’enceinte du circuit, Valentina se sentait comme chez elle. Partout où son regard se posait, elle voyait un hommage à son Doctor. Stands, casquettes, T-Shirts, parapluies jaunes, Valentina aurait pu passer inaperçue dans cette marée jaunâtre. C’était sans compter sur sa tenue légère et son teint halé. Alors que la température ambiante ne dépassait guère les 10°, Valentina se promenait en jupe courte, sans doute un poil trop courte d'ailleurs et en débardeur moulant. Un look d’umbrella girls qui n’avait pourtant rien de flatteur puisqu’en vraie fan de Rossi, Valentina faisait un bon 46. On a du mal à imaginer ce que ça aurait donné si Valentina avait été fan de Nicky Hayden ou de Lorenzo. Mais que ne ferait-on pas pour se faire remarquer par son idole ?

A l’approche des essais, Valentina se rua dans la tribune fan club Rossi, bousculant au passage quelques autres patients du Doctor. Tout au long de la séance, Valentina donna de la voix pour encourager son pilote fétiche. Tant est si bien que la tribune finit rapidement par se vider laissant la pauvre Valentina éplorée alors que son Rossinounet terminait 9^ème.
En attendant la course du lendemain, Valentina profita un peu des animations et de l’ambiance autour du circuit. Après avoir fait un tour du côté du stand Monster où elle avait davantage l’impression d’être un morceau de viande de bas étage à côté des Monster Girls, Valentina monta à bord du petit train touristique destiné à faire le tour de l’enceinte générale du circuit où, il faut le dire, la concurrence se fait nettement moins rude.

A peine montée à bord que déjà un motard beurré situé à l’extrémité d’un stand avait repéré sa cible. Tel un Grominet voulant attraper Titi le canari, le motard s’approcha furtivement, esquissa son plus beau sourire et tenta un : « hé mademoiselle, tu me fais une petite place ? ».
Valentina n’était en général pas le genre de femmes sujettes à des tentatives de séduction aussi minables, elle n’était d’ailleurs sujette à aucune tentative de séduction. Aussi, elle entreprit un moment de s’écarter pour laisser l’homme en question monter près d’elle. Pourtant, un détail frappa sa rétine et mit fin à toute négociation. Le motard portait une casquette à l’effigie de Lorenzo. Un acte impardonnable pour Valentina qui poursuivit son escapade par une visite des paddocks.

Les paddocks. Voilà une chance en or d’apercevoir son idole de toujours. De l’approcher, d’obtenir un autographe, de le toucher du bout des doigts voire même de lui arracher une mèche de cheveu. Une fois dans les paddocks, Valentina longea sans grand intérêt les équipages des pilotes de Moto2 et Moto3. Elle avança à grands pas jusque vers les camions Yamaha où une foule s’était déjà amassée devant la loge de Lorenzéro, comme elle aimait dire et de Rossi chéri, comme elle aimait l’appeler.
Hélas, l’attroupement l’empêchait de voir quoi que ce soit et lorsqu’enfin Valentino Rossi pointa le bout de son nez, Valentina ne put apercevoir qu’un infime bout de sa casquette. La déception fut grande, d’autant plus que Lorenzéro passa à quelques centimètres d’elle à bord d’un scooter à peine deux minutes plus tard.

Peu importe, Valentina sera là première à encourager son idole pour la course du lendemain. Et en effet, elle fut l’une des premières à prendre place sur son siège au sein de la tribune Rossi. Avec près de trois heures d’avance, elle prit place et patienta jusqu’au départ de la course de MotoGP en hurlant de temps à autre le nom de Rossi histoire de se chauffer la voix.
Puis ce fut le grand moment, celui qu’elle avait attendu pendant un an presque jour pour jour, voir son Doctor s’élancer sur la piste en chair et en os.

Le départ fut donné et aussitôt Valentina se leva d’un bond en criant : « Vas-y Roro ! ». Les yeux scrutés sur le nom de Rossi elle vit son chouchou grimper dans le top 5 jusqu’à occuper la troisième place. Criant de joie, scandant son nom à tout va elle voyait déjà son idole monter sur le podium et sabrer le champagne au son de l’hymne italien. Entre temps, elle riait au passage de Lorenzéro qui, il faut le dire, n’était pas au meilleur de sa forme.
Et puis ce fut le drame, l’événement qui fit tout basculer, qui faillit faire tomber Valentina dans les pommes : son Rossi chéri venait de chuter. Aussitôt, les larmes montèrent à ses yeux car c’était désormais évident que son Dieu, son unique Dieu, n’allait pas monter sur le trône qu’il soit fait d’or, d’argent ou de bronze.
Pourtant, une lueur d’espoir revint dans son esprit lorsqu’elle vit son italien préféré remonter sur sa Yamaha et reprendre le cours de la course. « Voilà ça c’est mon Rossinounet » hurla Valentina en brandissant son drapeau, fière comme un paon, ou plutôt dans ce cas précis comme un canari.

A la fin de la course, elle se rua aux paddocks dans l’espoir de croiser le Doctor de son cœur. Pourtant, une fois encore ce fut une cuisante déception. Au bout des paddocks l’attendait cependant une belle surprise. Déçue, abattue, le regard perdu dans ses pensées elle ne remarqua pas l’homme qui se tenait devant elle et le heurta de plein fouet. Déséquilibrée, elle tomba à terre et une main tendue vint l’aider à se relever. Lorsqu’elle releva les yeux elle croisa un regard plein de douceur. Un regard qui la chamboula si profondément qu’elle en oublia aussitôt toutes les images de chutes de son Rossinounet chéri.
« Vous allez bien mademoiselle ? » lança une voix elle aussi pleine de douceur. Une voix familière que Valentina avait déjà entendue maintes fois. En se relevant elle reconnut aussitôt devant elle le pilote français MotoGP, Randy de Puniet.

Ce regard elle ne l’oublia jamais, ce contact quelque peu brutal non plus. Et finalement, Valentina se jura de soutenir son Randy Chéri l’an prochain au Mans.
Si par le plus grand des hasards vous croisez Valentina l’an prochain au Grand Prix de France, dites-lui qu'après une chute il faut toujours se relever. Et ce n'est pas Randy qui vous dira le contraire.

Une ou deux chroniques ?

• Toutes les chroniques