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Mais tu vas la bouger, ta merde

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L'emmerdeur, c'est l'autre. Celui qui vient envahir ta planète avec son existence. Le bâton de maréchal passe de main en main. Qui le tient quand la musique s'arrête ?

Kronik : Mais tu vas la bouger, ta merde ?
Kronik : Mais tu vas la bouger, ta merde ?

- Mais tu vas la bouger, ta merde ?!

Michaël est d'habitude d'un naturel affable. Chauffeur-livreur depuis trois ans, il a suffisamment d'expérience pour être devenu sage sans virer fataliste. Il conduit un de ces camions à hayon bien pratiques pour l'acheminement des colis de taille et de poids raisonnables.

Mais ce matin, tout le fait chier. Le camion qui peine à démarrer. Les collègues qui se sont trompés dans le remplissage de la cabine, ce qui va l'obliger à faire un long détour inutile juste au moment du déjeuner. Une greluche en Mini qui lui a grillé un cédez-le-passage sous le nez, le forçant à piler pour éviter la collision ; cette conne ne s'est même aperçue de rien.

Et là, en haut du boulevard, c'est inexplicablement bloqué alors que d'habitude ça circule bien à cette heure. Une caisse arrivant de la gauche est venue se planter d'autorité devant son pare-choc -un type en mode "rien à foutre, j'avance". Michaël cède volontiers le passage quand il le peut, mais là, ce matin, tout le fait chier.

- Mais tu vas la bouger, ta merde, grogne-t-il entre ses dents.

- Mais tu vas la bouger, ta merde ? souffle en écho Stéphane qui serre les mains sur son volant. Derrière, dans son siège enfant, sa fille continue de chantonner cette mélopée agaçante qu'elle produit depuis le réveil malgré ses demandes pourtant fermes et posées de silence. Chloé persiste à fredonner les mêmes trois mesures. Ils sont déjà en retard pour l'école et Stéphane va devoir une fois de plus affronter le regard accusateur et la remontrance du Cerbère de l'entrée.

Ni plus ni moins mauvais conducteur qu'un autre, Stéphane déteste cependant les usagers de la route qui se croient tout permis au motif qu'ils conduisent une grosse Blaireaumobile ; les maladivement pressés énervés qui utilisent leur gros pare-choc pour soumettre les plus faibles qu'eux.

Mais ce qui le fait sortir de ses gonds, c'est cette connasse à vélo qui est venue se planter d'autorité devant sa calandre, en mode "t'as qu'à freiner, toi". A l'opposé du gros con à Blaireaumobile en termes de gabarit, il y a la connasse à vélo qui jette sa roue avant dans la circulation avec un geste de défi, l'air de dire "moi je suis écolo, donc dégage". Facile à dire quand on n'a pas de gamins ou qu'on réside à 10 minutes à pieds de l'école ; ingérable avec trois mômes en habitant à seulement quatre kilomètres de l'établissement.

Stéphane cherche le regard de la femme à vélo qui l'empêche de franchir le carrefour. Elle n'a qu'à avancer d'un mètre, grimper sur le trottoir où se prolonge la piste cyclable et il pourra braquer suffisamment pour prendre à droite. Mais non. Elle regarde ailleurs, pied à terre, la roue arrière à la hauteur de son phare droit.

- Mais tu vas la bouger, ta merde ? interroge Stéphane, les dents serrées.

- Mais tu vas bouger ton cul, oui ? soupire Caroline, bloquée en bout de passage piéton par une gamine à smartphone et écouteurs plantée au milieu de la piste cyclable. A droite, une poubelle abandonnée de travers par les éboueurs. A gauche, un court poteau métallique fiché là par la municipalité pour empêcher les voitures de stationner sur le trottoir. Et au milieu, cette petite gourde en train de papouiller sa tétine électronique.

Caroline est agacée par les piétons qui déambulent sur les pistes cyclables. Elle est parfois tentée d'utiliser son timbre pour les faire dégager, mais alors elle se souvient qu'elle aussi, quand elle ne fait pas attention, se retrouve à emprunter à pied les pistes cyclables, matérialisées parfois par une simple bande de bitume plus sombre et des pictogrammes au sol que personne ne voit. Elle déteste les têtes-en-l'air, les badauds en groupes, les mômes qui courent en zigzag, les troupeaux de touristes qui s'agglutinent systématiquement à l'endroit le plus étroit du trottoir ; elle les déteste parce que sa hantise est d'en percuter un -surtout un gamin !

- Bouge ton cul, morveuse, pense Caroline en tapotant son guidon des ongles.

- Mais tu vas la bouger, ta merde ? chuchote Agnès, arrêtée par un camion de livraison qui occupe presque tout le passage piéton. Elle pourrait passer à gauche, mais elle a vu le petit bonhomme rouge : elle ne veut pas s'engager et risquer de se retrouver bloquée au milieu du carrefour si la circulation redémarre.

D'un caractère d'ordinaire poli et réservé, Agnès est de mauvais poil aujourd'hui : la CAF lui cherche une fois de plus des poux dans la tête à propos de ses APL et elle sent qu'elle va encore passer un temps fou à régler cette histoire. Pour l'instant, elle pianote sur son téléphone pour vérifier que même sans APL elle pourra payer son loyer demain sans être à découvert. Comme si elle avait besoin de ça l'avant-veille de ses résultats de concours.

La semaine dernière, son vélo a été volé. Un vieux clou qu'elle espérait assez banal pour ne tenter personne. Mais la voilà piétonne et tout prend beaucoup plus de temps. Elle se retrouve à devoir partager le trottoir avec des piétons mollassons et des cyclistes pressés. Ceux-là la traitent comme les voitures la voyaient quand elle roulait à vélo : un obstacle à écarter de leur route ; les piétons sont aux cyclistes ce que les vélos sont aux voitures.

Agnès regarde dans le rétroviseur du camion pour essayer d'accrocher le regard du chauffeur et déterminer ce qu'il va faire, peut-être même l'encourager à avancer un petit peu pour qu'elle puisse passer sans risque :

- Tu vas la bouger, ta merde ?

Mais Michaël regarde ailleurs. Il regarde la voiture de Stéphane devant lui, bloqué par le vélo de Caroline qui attend à cause d'Agnès.

...

Tous ces regards qui me mangent … Ha, vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. Alors, c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru … Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril .. Ah ! Quelle plaisanterie. Pas de besoin de gril : l’enfer c’est les autres

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Attention Kronik ! 100% mauvaise foi ! Ceci n'est pas un article ni une brève (voir historique si nécessaire). L'abus de kronik peut être dangereux pour la santé de certains. Ne pas abuser.

Commentaires

XM

une des plus noires sinon la plus noire de tes Kroniks, j'adore!
c'est vrai que le jeu des regards est fondamental, tantôt défi, tantôt séducteur. en tout cas le regard accroché dans le rétro en interfile c'est la base pour décider si tu peux passer ou s'il vaut mieux s'abstenir...

25-09-2018 07:31 
freedom ciao tutti

qui n'a pas été ce gros blaireau qu'on déteste ?
je le suis plus qu'a mon tour, en voiture si je ne me contrôle pas, a moto, je me gare devant les voitures au feux rouges, je les pousse a se rabattre dans les parties sinueuses qui me plaisent, j'emmerde le blaireau qui me colle au cul en ralentissant le plus possible, si il m'a gonflé je l’empêche de doubler, et touti quanti.
le bléme est que nous avons tous envie de passer en premier car on ne sait pas si le blaireau d'a coté va nous laisser passer, si le cycliste va se rabattre afin de me laisser le passage, ou bien que ce C.. de piéton va se décider !
c'est le bordel mon adjudant.
c'est pourquoi je me suis juré de ne plus mettre une roue dans une grande ville, l'été sur la cote c'est déjà trop.

25-09-2018 10:44 
A-Lain

Chronique d'une journée ordinaire quoi...

J'en savoure d'autant plus ma tranquillité sur route., casque, bouchons d'oreille, et roule.

25-09-2018 10:45 
Rackham

Dans mon cas, je souffre hélas beaucoup de la beauf-attitude "Tu vas la bouger, ta merde ?", j'ai beau partir avec une positive attitude, soit sympa, remercie, sourit, je fini régulièrement par craquer.
Mais j'ai quand même remarqué qu'en moto, je suis beaucoup moins con qu'en voiture ou en vélo. Pourquoi:
- Le facteur risque déjà, tu te rends vite compte que la beauf-attitude te mets super en danger et comme tu es très très vulnérable on apprend mieux à garder ces nerfs
- Le facteur communautaire, en moto on roule avec les autres, on remercie, on dit bonjour, il y a tout de suite quelque chose de plus conviviale qui apaise
- Et puis en moto, on peut régulièrement se dégager sa évite d'avoir à demander aux autres de se bouger :)

Bonne chronique merci

25-09-2018 11:40 
olivierzx

En voyant le titre j'ai eu peur que ce soit la pensée du motard râleur en inter-file ...

Mais non, très vrai et drôle.
Chacun ne voit que son problème sans chercher plus loin.

25-09-2018 17:54 
cajo

... j'vais la bouger si j'veux ma merde !
nanmého ...
dingue
Bien vu KPOK ; on est bien tous dans l'panier de crabes ...

25-09-2018 18:03 
c@ssoulet

Ce matin. Les gens sont sympas et s'ecartent pour me permette de remonter la file. Je suis cool, pas un coup de gaz plus haut que l'autre, un petit merci aux BARistes coinces a perte de vue. Jusqu'a un X5. Je vois dans son retro qu'il m'a vu, et il se decale pour boucher, style je t'emmerde. Petit air de jeune loup. Trop looké. Faussement décontracté. Jacky.

Je revasse, arreté derriere, et je fais tilt sur le logo sur fond noir. Une hélice de presse-purée. J'imagine une pate jaune qui dégueule. Je souris. Et une connerie me traverse l'esprit: Jacky La Purée. Jacky-la-purée ! Je me marre comme un con.

Ca avance, Jacky m'a oublié ou a honte d'etre le vilain petit canard, je sais pas trop mais il reprend sa place, je passe doucement et je me fais le plaisir de lui faire un petit merci de la main. En arrivant au boulot, j'ai encore la banane. Jacky-la-purée m'a fait la journée. Faut jamais s'enerver.

25-09-2018 21:14 
RTT

Conduire à Paris, c'est une question de vocabulaire !
Cela dit il vaut mieux se lâcher sur les mots que de péter un anévrisme ou en venir aux mains voir plus ces derniers temps.
Vive les routes à bourricots, encore que quand on butte sur un troupeau de bovidés qui a pris soin de bouser la chaussée en attendant que l'on ouvre la barrière on est bien dans la merde là aussi, mais bon on est plus près de la nature, et en ce moment elle à le vent en poupe sourire

25-09-2018 22:58 
SieurAlex

Excellente Kronik. Si j'étais ministre, c'est ce genre de texte que je ferai lire à n'importe qui s'inscrit au permis de conduire.

14-11-2018 13:15 
froggyfr99

Excellent !
Je l'avais pas lu celle-ci.
Des fois, un petit sourire ça permet de désamorcer beaucoup de situations ... mais avec le cax c'est pas facile de faire voir ses quenottes.

15-11-2018 09:36 
KPOK

personne ne s'est aperçu que c'est la seule Kronik à ce jour où il n'y a pas de moto.
[attachment 30083 index.jpg]

16-11-2018 17:00 
Peterpan

Le mot "merde " ne désignait pas une moto ????!!! lol

16-11-2018 17:04 
 

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