Le Yoga du motard

Quel genre de yoga il faudrait aux motards ?

...étaler ses abdos-Kronenbourre sur le réservoir

Depuis plusieurs jours, je ressens une gêne entre les omoplates, comme si j'avais dormi n'importe comment. Ce n'est qu'avant-hier que j'ai compris d'où cela vient : à force de rouler voûté derrière le pare-brise bricolé de mon ER-5, j'ai fini par me faire mal au dos.

Je me rappelle aussi le début de tendinite que je m'étais fait lors d'une virée en Auvergne à force de jouer de l'embrayage, pourtant jugé civilisé, de ma GS-E. J'avais traîné ça facilement trois semaines, à avoir vraiment mal en chopant la commande. Ce qui rend d'autant plus admirables à mes yeux les embrayages de motos récentes comme la CB 500 F ou la Ninja 400, qui s'actionnent presque au petit doigt.

Ce qui m'amène à évoquer un autre sujet que je n'ai pas encore abordé dans ces colonnes : la posture à moto. Les voitures ont toutes des sièges réglables dans tous les sens, mais dans la presse moto ça crie au génie quand les DEUX leviers sont réglables en écartement ; et je ne te dis pas l'émeute quand la bulle s'ajuste en hauteur !

Cet été, j'ai eu l'occasion de tester le yoga, cette discipline un peu prout réservée aux femmes fortunées qui s'ennuient -j'ai un don certain pour les apriori à côté de la plaque. Plein de bonne volonté, j'ai essayé de répliquer les gestes de ma gourou d'une séance ; j'ai été très choqué et vexé de m'apercevoir que j'en était incapable, malgré ses sourires d'encouragement qui masquaient parfois des amorces de fou rire. A posteriori, j'ai bien senti les courbatures qui m'ont suivi pendant deux jours, alors que je n'avais pas fait d'effort : étrange. Mais l'expérience était néanmoins agréable et instructive.

Je me demande donc quel genre de yoga il faudrait aux motards, une fois maîtrisée la posture de base qui consiste à étaler ses abdos-Kronenbourre sur le réservoir (pour les hommes).

J'imagine que le premier exercice consisterait à se mettre de grandes claques sur les fesses à l'aide de plaques de fonte épaisses pour nous tanner le fondement afin d'affronter sereinement ces instruments de torture que sont les selles modernes ; ah ! la joie de les entendre faire "aïe" à notre place quand on s'assoit dessus !

Le suivant relèverait de la survie pure : trouver un exercice de renforcement des trapèzes afin que leur volume avoisine rapidement celui d'un bon quadriceps de culturiste. La mode étant au "rodstère", il faut bien ça pour résister à la pression irrésistible du vent passé 80 km/h (90 ailleurs, mais il faut deviner où et ne surtout pas se tromper).

Parallèlement et paradoxalement, il faudrait entretenir la souplesse de ces mêmes cervicales en multipliant les exercices d'étirement afin de donner enfin à la tête du motard la possibilité de faire un tour complet sur elle-même. L'incapacité des rétroviseurs des motos à la mode de rétroviser quoi que ce soit n'était pas une légende, pouvoir tourner la tête dans tous les sens est un exercice de base tant que l'évolution ne nous dotera pas d'une paire d'yeux supplémentaires au niveau du bulbe rachidien.

Le dernier qui me vient à l'esprit serait de travailler la souplesse de l'adducteur droit (et seulement le droit, par souci d'économie) afin d'enjamber sans risque de déchirure les dosserets de selle qui ne cessent de gagner en altitude.

C'est ici que je m'empresse de rassurer les "vrais" adeptes du yoga (car il y en a des "faux", ce que tout "vrai" confirmera avec un petit sourire méprisant ou un haussement d'épaules fataliste) : j'ai bien compris que cette discipline n'est pas juste une manière alambiquée de faire de la gym au sol et que le but de l'exercice est de soigner à la fois l'âme et le corps. L'important, dans le yoga, c'est l'action du corps sur l'esprit (si les éveillés me pardonnent ce raccourci casse-gueule).

Ce qui me fait dessiner un parallèle entre le yoga et la pratique de la moto et l'état de conscience modifié que tout vrai motard™ devrait être capable d'atteindre quand la route et la moto s'effacent pour ne laisser place qu'au mouvement immobile, que l'on roule sans trop savoir comment, comme on ne sait pas trop comment nous nous y prenons pour faire battre notre coeur ou faire pousser nos cheveux -et pourtant, nous y arrivons en permanence.

La prochaine fois que tu rentres de balade avec le cul démoli, les cervicales fracassées, les trapèzes en lambeaux et les poignets en vrac, dis-toi que c'est la sagesse qui rentre.

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