Le Bouclard : Lazare

Le Bouclard renaîtra ailleurs

7ème épisode de la saga de l'été

Pleurez Pierrots, poètes et chats noirs,
La Lune Est Morte, La Lune Est Morte.
Pleurez Pierrots, poètes et chats noirs,
La Lune Est Morte ce soir.

Dans une rue anonyme en proche banlieue parisienne. Immeubles de briques jaunes, balcons de fer noirs. La jante de 4L remplie de béton a fini à la décharge ; les cercles de rouille sur le bitume s'effacent.

Dans les derniers jours du bail, Jeff a révisé toutes les motos de la bande pour écouler le stock d'huile, dans une sorte d'ultime cérémonie où la plupart riaient très fort et se racontaient des souvenirs de bourre. Les trois « Wiseco Express » avaient fait le déplacement exprès, plus deux ou trois autres bécanes sur lesquelles Jeff avait travaillé avant que je sois là.

J'ai été parmi les derniers à partir. Sirène était perchée sur un tabouret de bar, la tête penchée sur le côté, avec une petite moue songeuse ; Vincenzo faisait semblant de bricoler un truc sur son SV ; son sens aigu de la tribu lui interdit de partir, sinon le dernier.

Pendant quelques semaines encore, on s'est retrouvés -sans Jeff- pour le couscous chez Monique. Et puis j'ai eu la flemme de faire un demi-périphe juste pour ça. Sans le Bouclard et Jeff, je n'ai pas de raison particulière de revoir les habitués. Le Bouclard était l'agent liant, le ciment de nos relations. Disparu, sa communauté se délite faute de nouveau centre. Je suis mélancolique, sans lieu où aller les samedis désoeuvrés.

Je vais devoir trouver un nouveau mécanicien. J'anticipe le moment où il va falloir que j'explique -que j'excuse- la carburation revue avec des gicleurs principaux de 1000 CBR, des aiguilles de FJ et des ressorts de boisseaux de... de je ne sais plus quoi. Le Micron à réducteur soudé. La boîte à air ouverte. Tout ce qui fait de ma GPZ une GPZ « Bouclard Spéciale » et qui paraîtra farfelu ou suspect au mécano banal.

Jeff a fermé le Bouclard, résilié le bail. Il est parti en Grèce dans la famille de Sirène. La soeur de Jeff m'a appris qu'elle s'appelle Loukina en vrai : elle l'a vu sur son passeport.

Dans une rue anonyme en proche banlieue parisienne. Immeubles de briques jaunes, balcons de fer noirs. L'esprit du Bouclard s'est en allé. Il erre quelque part. Il attend un nouvel hôte. L'idée, le projet, sera repris par un autre Jeff, ailleurs, différemment. L'esprit du Bouclard ne meurt jamais tout à fait. D'autres, sans le savoir, reprennent le flambeau et le Bouclard reprend vie. Ailleurs. Différemment. Avec d'autres visages, d'autres motos, d'autres rituels. Peut-être qu'eux aussi « baptiseront » le premier coup de démarreur d'une FJ fraîchement réalésée avec « Back in Black » d'AC/DC. Ou pas du tout.

Qu'importe. Le Bouclard, tantôt feutré des fins de samedis soirs qui s'étirent, tantôt tonitruant d'un quatre en ligne qui démarre sans cartouche, renaîtra ailleurs.

Et je ne le saurai pas.

So take this world and shake it
Come squeeze and suck the day
Come carpe diem, baby

Plus d'infos sur les kroniks de l'été

• Le Bouclard - épisode 1
• Le Bouclard : Jeff - épisode 2
• Le Bouclard : Vincenzo - épisode 3
• Le Bouclard : Sirène - épisode 4
• Le Bouclard : KPOK - épisode 5
• Le Bouclard : Hadès - épisode 6
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