Doucement, je perds ma liberté
Ma liberté prend des gnons. Il me semble que je perds le contrôle
Depuis 18 mois, ma liberté prend des gnons. Il me semble que je perds le contrôle. Ma moto n'est plus une alliée, mais une source de doute.
Il y a fort longtemps, vers la fin du siècle dernier, j'allais faire le tour des concessionnaires avenue de la Grande Armée quand j'avais un coup de blues. Je me promenais entre les motos, je rêvais à la prochaine et ma vie allait mieux.
Aujourd'hui ? Aujourd'hui tout est fort différent. Un temps, j'ai pensé que la liberté c'est un réservoir encore à moitié plein et quelques pièces de monnaie en poche. Aujourd'hui, je doute : dans l'intervalle, l'équation s'est compliquée. À la petite monnaie, j'ai ajouté une blague à tabac, une carte routière, une carte à piste magnétique, puis un téléphone ; on ne sait jamais.
Petit à petit, ma moto s'est alourdie. Elle est loin, ma première balade à bécane, sans casque, sans assurance, sans un sou en poche, en priant pour que le moteur rafistolé tienne les sept kilomètres de mon tout premier périple pirate.
Aujourd'hui, j'ai deux motos dans le garage, alors il faut faire un choix. Transvider dans l'une le gilet jaune, la veste et le pantalon de pluie ; on ne sait jamais. Le support de GPS ‒je pourrais en acheter un autre. Le kit de réparation de pneus ‒je n'ai jamais crevé de ma vie sinon à Paris, à 30 mètres d'un garage, mais on ne sait jamais. J'empile et j'entasse : on ne sait jamais.
Ma moto, révisée, pourrait filer jusqu'à Kabarovsk (Finistère oriental), y vidanger les trois litres et demi d'huile moteur et repartir dans l'autre sens sans que je doute de sa capacité à me ramener à la maison sans panne. Est-ce vraiment ça, la liberté ? Je me demande.
Est-ce vraiment pouvoir partir vers où je veux ? Car je reviens infailliblement à mon point de départ, non ? À l'inverse de certains, je ne me suis jamais interrogé, pour de vrai, où j'allais dormir le soir même. Jamais, sinon pour rire, je n'ai cherché d'endroit où m'allonger à l'abri de la pluie et du vent, des bestioles et des humains ‒est-ce un bien ou un mal ? Je ne sais pas.
Je me demande si, depuis des années, je ne fais pas fausse route, avec mes histoires de réservoir d'essence et de trente francs en poche, le nez au vent.
Je me demande plutôt si je n'ai pas besoin d'encore moins qu'un réservoir d'essence et une destination lointaine. Quand j'en vois certains tirer comme des bûcherons sur leur guidon pour franchir des langues de fesh-fesh en Mauritanie ou des bourbiers en Lozère, je me dis souvent : "à pied, en se décalant d'un mètre, ça passe sans même réfléchir".
Aujourd'hui, certains citent le Discours de la servitude volontaire. Je me demande s'il ne serait pas temps d'écrire celui de la liberté volontaire ‒je n'ai aucune illusion sur l'intervalle de temps très réduit entre la mise en pratique de sa toute première phrase et une comparution, forcément immédiate.
Quelque chose de confus bouillonne à l'arrière de mon crâne. Je flaire l'imposture derrière la "liberté" qu'il y a à choisir entre vingt-sept modèles différents de gants d'été homologués Euromachin ‒j'ai compté !
J'ai dû être plusieurs fois contrebandier. Je sais faire le dos rond, mais seulement un temps : cette République Populaire de France me sied de moins en moins ; j'ai des réflexes de fuite, de contournement, d'approche de biais.
Je regarde Lapin-Lap1 et remarque son réservoir trop petit, ses pneus trop lisses, ses suspensions trop courtes : il me faudrait un trail. Mais je vais quand même faire avec, cet été.
Cet été, je vais me planquer. À moi le réseau routier avec de l'herbe au milieu, les pistes en pointillé sur les cartes, les voies sans panneau indicateur qui finissent en sentier. J'occulterai les chromes de Lapin-Lap1 sous une bâche moto anonyme. Je vais profiter clandestinement des causses et des vallées vides.
Il y a quelques années, j'aurais dû feindre le péril pour me mettre dans l'ambiance. Aujourd'hui, ce n'est plus nécessaire.
Commentaires
Ah, les problèmes de riches et la servitude de la possession ! Est ce l'homme qui possède des biens ou l'inverse ? Vaste débat. Tout comme celui de savoir ce que signifie d'être libre et, en fonction de la définition qu'on en donne, est ce possible de l'être sans vivre comme diogène, seul loin de tout et de tous ?
29-06-2021 08:58Allez, on se reprend et on surmonte cet instant mélancolique. Car après tout, rien ne dit qu'il est nécessaire d'être libre pour être heureux. C'est vrai, quoi. On fustige allègrement sur ce forum celles et ceux qui prône la sécurité à tout prix, mais, est il mieux de prôner la liberté à tout prix ? Est ce qu'ériger une idée au rang de dogme n'est pas justement un moyen de s’aliéner ? A tout le moins une entrave au bonheur ?
Enfourchons nos montures, concentrons nous sur la route, sur les sensations et oublions le reste. Je ne fais pas de la moto pour être libre, j'en fais pour être heureux. On est pas déçu tant qu'on ne se trompe pas d'objectif.
Biz à tout ceux qui pense que la vie est belle quand même !
et aux autres aussi d'ailleurs.
1) pas besoin d'être riche pour être libre, ça aide quand même.
29-06-2021 09:52On peut trouver son plaisir avec toutes sortes de motos et à tous les prix, ça se passe dans la tête.
2) "Ta sécurité est le garant de ta liberté", c'est con à dire mais je compte quelques estropiés qui voudraient bien refaire de la moto un jour.
Pour eux le mot liberté n'a plus le même sens car ils en sont privés.
3) Dites vous que quel que soit le voyage que vous aurez décidé, ce sera le plus beau ou le plus instructif sur vous même.
4) En désespoir de cause, inscrivez vous à un cours de Yoga ou de sophrologie
c'est le BAC Philo aujourd'hui?
29-06-2021 12:48La liberté, c'est comme le mouillé, c'est dans la tête non ?
29-06-2021 13:47=XM
29-06-2021 14:15Au vu de ce qu'est devenue l'épreuve de philosophie, dernière du bac à encore donner lieu à un examen, KPOK nous mets AU MOINS au niveau khâgne. Si ce n'est l'agrégation !
Par les chemins noirs, presque?
29-06-2021 15:56"La liberté, c'est comme le mouillé c'est dans la tête"... trop bon et très vrai. Pour certain l
29-06-2021 15:59un vélo avec une bonne selle, des sacoches.
29-06-2021 23:19coucou Chourave !
02-07-2021 17:21