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Bikes & Sociologie appliquée au Hipster

Entre modernité et post-modernité

Devant l'injuste traitement réservé au Hipster, je vole à son secours une fois de plus. L'occasion pour moi d'exhiber mon DESS de sociologie obtenu un soir très tard dans un rêve de grandeur.

Bikes & Sociologie appliquée au Hipster (c) Milan Kunc

Je vais employer ici deux notions qui ont par ailleurs des définitions tout à fait officielles auxquelles je ne vais pas du tout me référer : modernité et post-modernité. La modernité est née au moment de la révolution industrielle ; elle suppose entre autres que tout individu, moyennant huile de coude, peut gravir les échelons de la société. Elle chante les louanges de l'efficacité, de la standardisation, du dépassement de soi. La vérité s'obtient grâce à l'effort. La post-modernité, elle, émerge un peu après la 1ere Grande Boucherie Inutile et emprunte à la période romantique pour faire de l'individu une valeur cardinale. Il faut détourner, déstructurer, voire abandonner tout repère. Bref, démolir l'héritage de la bourgeoisie industrielle et notamment son art, jugé ultra ringard.

Je soutiens que le Hipster, alors qu'il revendique son appartenance à la post-modernité (Kerouak, Pollock, Queneau, Warhol), est en fait un ayatollah moderniste qui s'ignore, notamment par son attachement maniaque à l'originalité qui finit par devenir une norme.

On pourrait croire, naïvement, que le Hipster colle au plus près à la post-modernité : application rigoureuse de certaines règles stylistiques, mais abolition des frontières entre esthétique élitiste et populaire puisque des motos populaires se voient travaillées comme des petites séries haut de gamme façon Bimota ; détournement de pièces ou de matériaux (carénages en bois, fourche hors de prix sur une moto qui ne vaut plus rien) ; recyclage et insolite (le rat sur le garde-boue était encore vivant la semaine dernière).

En réaction aux motos parfaitement oubliables façon Zèdmil', le Hipster veut créer l'inoubliable... mais si tout se vaut, comment faire ? Il considère que tout, alors, mérite une audience. En cela, il n'est guère différent des motardus simplex rassemblés à la Bastille ou à Vincennes : poser leur bécane et s'en servir comme excuse pour socialiser de différentes manières. A l'époque d'Option Moto, une peinture « perso » et un pot qui fait prout-prout suffisait à attirer du public. Le Hipster, lui, est obligé d'aller plus loin maintenant que les constructeurs en série eux-même se sont mis à pondre des modèles « limités » (en gros : trois autocollants et deux pièces peintes en noir mat provenant de leurs banques d'organes).

Reviens un peu en arrière et la boucle intellectuelle qu'effectue le post-moderniste dans son appréciation de l'esthétique. Tout est beau. Alors rien n'est beau. Voilà le raisonnement de base. Toute moto est exceptionnelle et donc aucune moto n'a plus de valeur qu'une autre -d'où ma détestation de tout ce qui est présenté comme élitiste, au passage. Pour sortir de cette boucle, le Hipster mise sur la singularité -en réaction à la standardisation moderniste. En découle son souci du détail, de la ch'tite vis chromée et du bidule à très très cher. Il faut choquer l'assistance, se faire remarquer, de préférence en visant les extrêmes : récupérateur d'huile d'époque plaqué argent ou à l'opposé canette de bière rouillée fermée par un ballon de baudruche.

Livre On The RoadC'est cette boucle intellectuelle qui le fait retomber dans la modernité : plus il essaye de s'extraire de la masse, plus il y retombe. On retrouve ici le « mérite » cher au moderniste, pour qui l'effort permet de gravir l'échelle sociale comme un vulgaire Rothschild, pilleur de cadavres à Waterloo. Mais le potentiel d'ascension a ses limites dans la société moderniste : faudrait voir à pas trop bousculer le dessus du panier qui déteste la concurrence, plus encore que les communistes. En adoptant les codes pseudo post-moderniste qui émergent avant d'être copiées à tout va (peinture ultra-léchée ou au contraire laissée à l'abandon, tatouages, bijoux, Nietzsche, les jantes en carbone, les flats béhème, les bécanes inconduisibles et mal gaulées, etc) il finit par s'enfermer dans cette marginalité convenue d'où n'émergent que quelques rares vrais originaux ; pour un Kerouak, mille Sulitzer.

Tout ça pour dire quoi, déjà ? Ah, ouais... le Hipster me fait bien rigoler. Surtout celui de ma rue, un type plus grand que moi qui se traîne sur une béhème à réservoir qui me fait penser à celui d'une CB 450. Il soigne sa moustache remontée en pointe, mais son moteur cliquette comme une danseuse de flamenco sous speed. J'aurais envie de lui dire :

te fatigue pas, mon gros, ta rebellitude pue le flan industriel en promo chez Leclerc .

Mais il n'écouterait probablement pas ; ou alors je prendrais une torgnole -peut-être méritée.

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Commentaires

fift

Tu me scotches à mes ricains, là KPOK.
Du bon, du léché, du léger, du grand KPOK.

Respect, Monsieur.

25-10-2016 15:51 
freddy.lombard

Kronik de l'année, sans souci.
Pas pour l'humour, mais pour le contenu et l'analyse ; il en faut aussi. super

25-10-2016 21:17 
Bronco

Respect pour la référence à Sulitzer; une sorte de madeleine des eighties

26-10-2016 11:01 
tom4

excellent.
et avec une citation du JBT en prime !

tom4

27-10-2016 10:02 
dante

Elle est bonne !

27-10-2016 11:13 
Manu5108

Perso j'ai fait option "mecano mains sales", mais miser sur "Bricoleur Des cartes" semblait plus judicieux...

02-11-2016 08:54 
 

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