Portrait : Freddie Spencer
Fast Freddie : le triple Champion du Monde de GP reste ambassadeur Honda
Une idole accessible et profondément passionnée de moto. Un livre sur sa carrière publié au printemps prochain
Atteindre le soleil et puis s'y brûler les ailes. Freddie Spencer a tout connu. La gloire, le doute, les blessures, la désillusion, les come-back décevants, le business et puis, le temps faisant son œuvre, le statut d'idole intemporelle.
Petit rappel des faits à l'attention des nouveaux arrivants : nous parlons donc de Frederick Burdette Spencer, posé sur une moto à l'âge de 4 ans, sur sa première grille de départ à 5, passé pro à 11, repéré par Honda à l'adolescence au point que le géant japonais, absent de la scène internationale des GP depuis 1967, organise son retour en GP avec lui en 1981.
À partir de là, Freddie Spencer va révolutionner la discipline et non, le terme n'est pas surfait : en 1982, il devient le plus jeune vainqueur d'un GP 500 (en Belgique, à l'âge de 20 ans et 196 jours, un record qui ne sera battu qu'en 2013, par Marc Marquez, qui remporte sa première victoire en MotoGP à l'âge de 20 ans et 63 jours). En 1983, Spencer offre le titre suprême à Honda, son premier en GP 500 et devient encore le plus jeune à remporter un titre mondial dans la catégorie reine, à 21 ans et 258 jours (là encore, il ne sera battu que 30 ans plus tard, par Marc Marquez, titré à 20 ans et 266 jours).
En 1985, Spencer enfonce le clou en étant sacré la même année à la fois en GP 250 et en GP 500. Rendez-vous compte que cette année, là, il signe le doublé au Mugello, au Salzburgring, à Spa et au Mans. Une performance tout simplement prodigieuse (imaginez l'engagement qu'il faut à un pilote pour se taper deux fois plus de courses, de séances de qualifications, de risques, de départs, de réglages !) et qui le fait entrer définitivement dans la légende. Une prestation surréaliste qui lui vaudra le surnom d'E.T. (encore plus à la vue de ces photos en virage où il semble avoir les yeux fermés). La suite est, hélas, moins glorieuse : fatigue, blessures, transfert chez Yamaha, prise de poids, retour raté.
Au final, le passage de Freddie Spencer aura été aussi bref qu'intense. Une étoile filante et ô combien brillante au firmament des pilotes de GP.
Serein, lucide, reconnaissant...
À l’occasion d’une petite virée organisée par Honda dans le Pays de Galles en Africa Twin, nous avons eu ainsi l’occasion de rouler avec Freddie Spencer. Une petite balade sans autre but que de découvrir une belle région et le plaisir de rouler ensemble. Au café, à l'apéro du soir et lors des multiples pauses, Spencer nous est apparu d'une grande sérénité. Spencer vit l'instant présent et n'est pas ancré dans un passé glorieux dont il a du mal à se défaire, ne vivant que par et pour la nostalgie.
Jamais, au cours des discussions que nous avons pu avoir, Freddie ne nous est apparu comme auréolé de son riche palmarès. Au contraire, il est reconnaissant. Reconnaissant d'avoir traversé ses années sans blessure majeure (il est resté proche de Wayne Rainey, qui est sorti paraplégique de ses années de GP alors que, en ce qui le concerne, seuls des doigts bien tordus font office de blessure de guerre ; à l'époque, les 500 vous éjectaient dans un violent high side, les gants étaient moins bien conçus qu'aujourd'hui et les pilotes se fracturaient souvent la main à l'atterrissage), reconnaissant d'avoir travaillé avec les ingénieurs du HRC, dont il loue les talents, reconnaissant d'avoir pu piloter des motos de course mythiques, telles que la NR 500 à pistons ovales et surtout la NSR 500, sa machine préférée et qui reste, aujourd'hui encore, la machine la plus victorieuse en GP.
Freddie vous parle de ses années de course avec un étonnant mélange de passion, de détachement et de sérénité ; dans ces moments-là, il a la noblesse d'âme de se mettre en retrait de manière infime, mais suffisante pour passer d'acteur à témoin. Ses récits n'en gagnent que plus de profondeur.
Aujourd'hui, Freddie Spencer décide de son propre rapport à la moto, pour n'en garder que le meilleur. Après sa carrière en GP, il a immédiatement ouvert son école de pilotage à Las Vegas, qu'il a tenu pendant 11 années consécutives, avant de décider que la vie méritait d'être vécue avec plus de tranquillité. Car Freddie Spencer a une mission : le partage et c'est pour cela qu'il tient à continuer à être présent, épisodiquement, sur des stages de pilotages. "Je collabore avec la structure 4G des frères Garcia et je conserve le plaisir de partager mes connaissances avec des plus jeunes. Souvent, je me concentre sur les petits gestes à faire sur la moto pour qu'ils soient plus en confiance, j'arrive à cerner ce qui peut les débloquer, ça peut être parfois de petits détails, comme la position des mains, par exemple".
Fan de GP
Quand on branche Spencer sur le sujet des GP d'aujourd'hui, c'est encore cette notion de partage qui ressort. "Quand j'étais petit et que je lisais des magazines de moto et que je voyais Jim Redman, je me disais : c'est ça que je veux faire". Freddie Spencer est très clair sur le rôle d'un pilote : "nous ne faisons cela que pour les fans", martèle-t-il. "Point barre. Sans eux, on n'existe pas".
Aujourd'hui, nous vivons dans l'ère de l'instantanéité. Les pilotes modernes sont mieux connectés que nous. Et pourtant, ils sont plus seuls, plus protégés, moins accessibles.
C'est vrai que la période a changé, que les enjeux financiers ne sont plus les mêmes, que les pilotes sont plus sollicités. Mais là encore, Freddie n'est pas nostalgique de sa période même s'il ne faut pas creuser beaucoup pour deviner sa préférence pour les gros 2-temps. Quand Honda a développé la RCV, Freddie a fait partie des pilotes qui ont été invités à essayer les prototypes. Dès 2006, quand, comme celles de Nicky Hayden, elles ont commencé à avoir un contrôle de traction prédictif, il a su que ces machines allaient avantager les pilotes moyens. Mais il conserve un regard sain sur la compétition moto d'aujourd'hui.
Au final, cela reste la même chose qu'à mon époque : des courses avec des mecs sur des motos. Et au final, ce n'est pas le plus rapide qui gagne, mais le meilleur. Celui qui, chaque week-end, sur un tracé différent, avec des conditions différentes, arrive a tirer 100 % du potentiel de sa machine et de ses pneus, sur toute la durée de la course. Quand on est un pilote et que l'on arrive à faire ça, la satisfaction est énorme.
La moto, un lien social...
On peut parfois se demander pourquoi on fait de la moto. Freddie, lui, a eu le temps de murir sa réponse. Et elle est plutôt inattendue de la part d'un champion de ce calibre.
Au-delà de ce nouveau modèle et de cette nouvelle machine que je n'avais pas encore eu l'occasion d'essayer, au-delà de la notion de performance et de vitesse, ce que j’aime dans la moto, c’est qu’elle nous permet de partager des moments comme cela, de rouler et de vivre ensemble, de passer un moment très plaisant dans cette belle région que je ne connaissais pas. La moto, ce n’est pas qu’un moyen de transport. Cela crée du lien social.
Et voilà un triple Champion du Monde de GP qui vous parle de lien social !
Freddie Spencer travaille actuellement sur un livre qui retrace sa carrière et qui sera disponible au printemps 2017 dans plusieurs langues, dont le français. Nul doute que cette lecture sera aussi riche en souvenirs qu'en inspiration.
Commentaires
Idole rencontrée l'été dernier. Le gars est bien conforme à l'image qu'il a toujours laissée : accessible, sympathique, affable, souriant, modeste.
01-04-2017 18:32On a eu plaisir à évoquer sa carrière et pas mal échangé sur la 100 CBX, machine qu'il a bien connu et que j'ai le privilège d'utiliser.
Très discret aussi sur sa ferveur chrétienne, qui ne fait aucun doute ; mais bon, c'est un américain...