Essai Norton V4-SS
Best of British
V4 à 72° de 1.200 cm3, 200 ch et 130 Nm, 179 kg à sec, 48.000 euros
"Voilà une moto qui en jette !" s'est exclamé le mari d'un couple de quinqua alors qu'ils passaient devant le pub Fleur-de-Lys sur les bords du canal de Stratford à Lowsonford où je faisais une pause-café. "Qu'est-ce que c'est ?" Avant que je ne puisse répondre, son épouse élégamment vêtue à la britannique avec son sac à la Thatcher l'a fait pour moi. "Je sais ce que c'est ! C'est la nouvelle Norton V4 que j'ai vu sur la BBC après qu'ils aient réussi le Tourist Trophy l'été dernier. J'espérais en voir une un jour - ça marche comment ? Elle a l'air très rapide !"
Eh bien, après m'être rappelé de ne jamais juger un livre à sa couverture, j'ai dû avouer à Mme Diana Williams que oui, la nouvelle Norton V4-SS est en effet très rapide et à son mari Ray que sa palette de peinture chromée est en effet très lumineuse, à l'image de Norton, ce qui donne la V4-SS une présence à laquelle les rares et fortunés propriétaires ne peuvent rien mais marque les esprits sans même avoir à allumer le moteur.
En plein coeur du pays de Shakespeare à 80 km au sud de l'usine Norton de Donington Hall, j'étais chaque minute un peu plus impressionné par a) la capacité de ce nouveau V4 1200 à attirer les commentaires élogieux et même la foule ainsi que b) combien ce fût gratifiant de la piloter au milieu de la campagne du Warwickshire où j'ai grandi. Ces routes de campagne parsemées de tronçons de voies rapides aux virages intimidants et collines exigeantes constituaient autrefois le terrain d'essai privilégié des pilotes factory de Norton (alors distante de 30 km et à Birmingham) qui s'y rendaient en compagnie des essayeurs des sociétés voisines BSA et Triumph. Encore aujourd'hui, ces routes se rapprochent d'un nirvana de la moto et restent un lieu privilégié pour évaluer les qualités de la dernière et la plus grande Britannique, qui pourrait également être la meilleure. Chauvin, moi ? Jamais !
Découverte
Cette Norton 1200 V4, le premier modèle hypersport britannique à avoir atteint la série, a été dévoilée au Birmingham NEC Show en novembre 2016 avec non pas une, mais deux versions de la superbike britannique construite à la main ! Et hop, en moins de deux, tous les exemplaires de la SS étaient immédiatement vendus ! Mais depuis, tout le monde attend simplement de voir de quel bois est fait cette moto, alors que la production était progressivement repoussée (à la mode italienne des grandes années).
En octobre dernier, Norton a enfin commencé à livrer les premiers exemplaires de son édition limitée V4-SS, tarifée quand même 44.000 £ (environ 48.000 euros) et dont les 200 exemplaires avaient été vendus avant même le lancement à des clients désireux de faire l'acquisition de cette moto portant le nom de la plus prestigieuse marque de motos sportives de Grande-Bretagne. Depuis, la production a progressivement augmenté et lorsque propriétaire et président de Norton Motorcycles Stuart Garner m'a convoqué au siège de Donington Hall, installé dans une annexe moderne d'une demeure de 230 ans nichée dans un parc de 26 hectares au coeur de l'Angleterre, pour être le premier journaliste à piloter la V4-SS sur les routes britanniques, j'ai compris que la production de la plus rapide, la plus puissante et la plus technique des motos britanniques jamais conçues était enfin lancée.
Alors pourquoi Norton a-t-il pris tant de retard sur les livraisons des modèles V4 ? J'ai posé la question à Stuart alors qu'il me tendait les clés de la V4-SS no. 001/200 qu'il conserve pour lui.Il m'a expliqué que le développement du moteur, réalisé en interne avait pris du retard à la conception puis lors des réglages. Suite aux problèmes des Commandos relancées en 2011-2012, la marque se montre désormais très tatillonne en matière de développement. Pendant ce temps-là les pilotes de la marque utilisaient un V4 d'Aprilia sur les SG6 du Tourist Trophy.
Depuis la fin de la conception des 200 exemplaires de la V4-SS en juin, Norton a débuté celle des 300 modèles de la moins onéreuse V4-RR ("à peine" 28.000 £/ 30.500 €) que Garner souhaite boucler avant la fin de l'année et qui est équipée d'un cadre et d'un bras oscillant en aluminium moulé contrairement à l'aluminium forgé de la SS. Les deux versions sont propulsées par le même nouveau moteur V4 à 72°, refroidissement liquide, 16 soupapes et homologué Euro4 développé par Norton à Donington Hall après que sa collaboration avec Ricardo Motorcycle ait pris fin en 2016. Le fruit du travail des équipes de R&D est désormais en production, après calibration du système d'injection développé par Norton et finalisé en Suisse par le constructeur triple champion du monde Moto2 Suter Racing.
Mesurant 82 x 56,8 mm pour une cylindrée exacte de 1.200 cm3, le moteur V4 est également construit en interne par l'usine et revendique une puissance maximale supérieure à 200 chevaux à 12.500 tr/min avec un couple de 130 Nm à 10.000 tr/min, soit encore plus que la coupleuse Aprilia RSV4 1100 Factory de 122 Nm que j'avais pu piloter sur le circuit du Mugello quelques jours seulement avant ma balade Norton. Il comprend des soupapes en titane, une boîte 6 rapports à cassette, un embrayage à glissement limité avec shiter up/down, deux injecteurs par cylindre et un système d'admission à longueur variable. Un accélérateur ride-by-wire contrôle les cylindres avant et arrière de manière indépendante grâce à son ECU Norton offrant le choix entre trois modes de conduite (Road, Race, Rain).
En selle
En passant la jambe par-dessus la Norton, où l'on découvre immédiatement la jolie selle à 817 mm ornée de l'Union Jack sur la partie arrière et du bouchon de réservoir à l'avant, la V4-SS se montre à la fois confortable et spacieuse, même avec les repose-pieds relativement hauts nécessaires pour garantir une prise d'angle maximale grâce à l'adhérence du Dunlop Sportmax GP Racer D212 de 200/55-17 monté sur une jante OZ en aluminium forgé de 6 pouces. Les versions non peintes laissant apparaître le carbone sont quant à elles équipées de jantes en carbone BST.
La position de conduite spacieuse, malgré la relative compacité de la Norton, m'a permis de m'abriter derrière la jolie bulle sur les longues lignes droites, me donnant l'impression que j'aidais la Norton à aller plus vite même si, compte tenu de l'énorme couple disponible de 4.000 à 13.000 tr/min, ce n'était pas vraiment le cas.
Côté accessibilité, je peux facilement poser les deux pieds à plat aux feux rouges avec mes 1m80. Ce qui signifie que malgré sa position sportive, la 1200 V4 reste accessible à tous les gabarits de motards, principalement grâce à la finesse du cadre à la base du réservoir. Cela ne signifie pas pour autant que vos jambes rôtissent en restant coincées le long du moteur, loin de là. Et je n'ai eu aucun problème de ce type durant mon roulage.
En ville
En pressant le démarreur de la V4-SS on se retrouve face une sonorité incroyablement pure, tout droit sortie d'une grille de MotoGP grâce à son échappement en titane sans réducteur de bruit installé en série sur la SS et en option sur la RR. La note du "silencieux" est indéniablement unique, personne d'autre ne fabriquant de V4 à 72°. Dès que vous avez appris à ne plus être gêné de sortir les gens de leur sieste de l'après-midi et croyez moi ce n'est pas facile en Grande-Bretagne, vous commencez à chercher le moyen de faire résonner cette symphonie hautement distinctive que produit le V4. En fait, après avoir roulé l'Aprilia juste avant, j'étais prêt à comparer les deux. La Ducati Panigale V4 R à gros régimes de 998 cm3 que j'ai piloté l'hiver dernier avant que celle-ci ne s'impose dans le WorldSBK est sans aucun doute un ténor, l'Aprilia RSV4 de 1.078 cm3 un baryton et la Norton de 1200 cm3 est indéniablement une basse. Partout où vous allez et à presque n'importe quel régime supérieur à son ralenti de 1.700 tr/min, la moto sonne toujours très profond et grave, dédiée à la cause et très efficace. Pour les fans de rugby, pensez à Sonny Bill Williams, si vous ne l'êtes pas, allez regarder sur Google. C'est la Norton, à la fois en look et en performance, en dehors du fait que les Kiwis n'ont l'Union Jack que sur un quart de leur drapeau...
La Norton est aussi douée pour les changements de rapports, grâce à son shifter en montée et descente qui permet de garder la main gauche bien en place même dans les embouteillages et dispose d'énormément de couple presque partout sur la plage de régime que les changements de vitesse deviennent presque optionnels. On sort du ralenti presque sans à-coups de transmission et, une fois lancé, on peut ouvrir en grand sur le dernier rapport dès 2.500 tr/min sans la moindre perturbation, même si en dessous l'alimentation connait des ratés. Le rupteur est placé à 13.500 tr/min, ce que fait presque de la Norton une automatique et n'allez pas croire qu'il est difficile d'atteindre cette limite en partant de si bas régimes. Dès que le très lisible écran de bord TFT (qui dispose de trois affichages différents, un pour chaque mode) affiche 4.000 tr/min sur le tachymètre, la Norton surgit de manière explosive. Au final, c'est une sportive qui tient toutes ses promesses.
Sur route
J'ai passé une bonne partie de la journée à jouer sur les rapports de la Norton entre 8.500 et 9.000 tr/min et elle délivre des performances plus que suffisantes pour une conduite sur route. En poussant jusqu'à la zone rouge en troisième ou quatrième vitesse, il vaut mieux se tenir fermement car dans les tours la Norton délivre une accélération extraordinaire comparée aux motos de routes "standards", surtout en mode Race. J'ai plutôt utilisé le mode Road qui offre plus de contrôle mais conserve du répondant à l'accélération sans toutefois générer de départ trop brutal qui peuvent nuire au plaisir de conduite. Le mode Race se montre considérablement plus réactif et pour être honnête, les propriétaires auront intérêt à lire ce qui est écrit et à garder ce mode pour les journées sur circuit. Le mode Road est largement suffisant pour apprécier la Norton V4.
En fait, la 1200 V4-SS en ferait même trop pour certains types de routes s'il n'y avait pas ces assistances électroniques fournies par la centrale inertielle Bosch à six axes offrant au pilote un meilleur contrôle de sa superbike de plus 200 chevaux homologuée pour la route. Elle utilise différents systèmes avancés comprenant un anti-patinage, un réglage du frein moteur, une assistance au départ et un régulateur de vitesse, ainsi qu'un collecteur de données pour une utilisation sur circuit ou encore un anti-wheelie désactivable.
L'écran TFT couleur de 7 pouces permet d'accéder à tous ces paramètres, avec même une caméra arrière diffusant tout ce qui se passe dans votre dos sur une petite portion de l'écran, bien que très esthétiques rétroviseurs en fibres de carbone assurent déjà le boulot à ce niveau. Il est également important de mentionner que la qualité de fabrication de ce 001/200 est littéralement superlative et que, même si Stuart Garner et d'autres ont déjà bien roulé avec, elle reste très désirable et porte bien ses kilomètres.
Question maniabilité aussi le travail est impeccable. La fourche Öhlins entièrement réglable est particulièrement bien réglée, offrant un bon retour d'informations du Dunlop avant qui permet de tirer parti de cet improbable appétit qu'a la Norton pour les courbes rapides. Improbable parce qu'avec un moteur aussi coupleux, on ne s'attend normalement pas à ce qu'elle tourne aussi facilement qu'elle le fait. Elle arrive surtout à bien tenir sa trajectoire si vous arrivez rapidement en courbe grâce au format du V4 à 72° qui a permis de centraliser les masses de la moto et de les repositionner au centre de l'empattement. Un point qui favorise aussi l'agilité et qui a été particulièrement noté dans une série de virolos à la sortie de Warwick où, bien qu'étant une grosse machine de 1.200 cm3, la Norton pas d'un angle à l'autre comme une supersport 600.
Partie cycle
Même avec un moteur rageur à l'appétit démesuré pour les tours et à la copieuse dose de couple, le package se montre finement maniable et dépasse les attentes initiales. En raison de tout ce couple et de la parfaite géométrie de la direction, je pouvais aborder des virages que je connaissais déjà parfaitement en étant un rapport au-dessus avec la Norton. Elle pardonne aussi énormément. Par deux fois j'ai voulu accélérer la V4-SS en courbe et j'ai eu la sensation de glisser juste avant que cela ne se produise et que je puisse me reprendre. Le feedback de la partie cycle est extraordinaire et semble avoir été calibré pour avoir juste ce qu'il faut de flexibilité pour que la moto vous "parle".
Consommation
On peut dire qu'Aston Martin, voisin de Norton situé un peu plus loin à Gaydon, est en quelque sorte l'équivalent sur quatre roues. Mais il vaudrait alors mieux se préparer à construire une moto pour Daniel Craig pour le prochain James Bond car si 007 devait rouler à moto, ça devrait être avec celle-ci, compte tenu de sa préférence pour les voitures Aston. La V4-SS est coupleuse, puissante, mais reste totalement maniable, une sportive de gentleman en somme et dispose même de l'Union Jack sur sa coque de selle. Dites juste à M de préparer sa carte bleue car la Norton V4 est une vraie assoiffée, le témoin de réservoir se met à clignoter presque aussi tôt que vous sortez de la station service après avoir fait le plein du réservoir. Rien n'est gratuit dans la vie et ça vaut aussi pour les hautes performances que délivre cette moto.
Conclusion
Piloter cette moto sera toujours un événement pour les heureux propriétaires, pas seulement pour son apparence, mais aussi pour sa mélodie et sa maniabilité hors pair. Et finalement elle serait presque "pas chère" pour ce qu'elle propose, si vous êtes suffisamment fortuné pour vous le permettre.
Et c'est la chose qui m'a le plus impressionné après ma journée au guidon de la moto britannique la plus rapide et la plus puissante qui soit, mais qui a été construite avec une plaque minéralogique et un klaxon. Il parait vraiment incroyable qu'une société qui n'avait jusqu'à présent rien construit de plus exotique qu'un twin de 961 cm3 refroidi par air de 80 chevaux ait pu créer une moto aussi phénoménale, comparable à tout ce qui existe sur le marché actuel, que ce soit en style ou en performance. Ca aurait déjà été remarquable que Garner commande une 1200 V4-SS à un fournisseur extérieur comme Ricardo, comme le font déjà plusieurs fabricants européens réputés. Mais avoir entièrement dessiné, conçu, développé et construit cette fabuleuse moto en interne chez Norton est littéralement incroyable. Mais ils l'ont fait et sont parvenus à se faire une place à la table des BMW S1000RR, Ducati Panigale V4 et Aprilia RSV4.
Oh, je vous en pris, n'allez pas croire que cet éloge est un soudain élan de chauvinisme en rapport avec ce drapeau sur le côté de mon casque. J'ai beau avoir eu la chance d'être le premier à piloter cette Norton V4-SS sur les routes britanniques, je sais que ceux qui la testeront après auront la même opinion.
Points forts
- Moteur puissant et coupleux
- Agilité et maniabilité
- Sonorité de l'échappement
- Shifter up&down
Points faibles
- Exclusivité
- Consommation de carburant
Commentaires
"Mais avoir entièrement dessiné..."
02-08-2019 07:50Mmm... le moteur à été développé à partir du Aprilia V4, le châssis c'est un Spondon... on voit, une Union Jack, ça pèse!
Belle moto quand même .......
02-08-2019 21:37