Essai Aprilia Caponord 1200 Travel Pack
L'âge de la maturité
Les Aprilia sont comme le bon vin, il faut attendre quelques années avant qu'elles arrivent à maturité. C'est le cas du gros trail Caponord 1200 qui, deux ans après sa sortie, gomme la plupart des défauts dont elle souffrait à sa naissance !
Il y a un truc surprenant chez Aprilia. Lors de chaque lancement d'une nouveauté majeure (ou presque), la firme de Noale donne l'impression que ses produits sont commercialisés avant la fin de leur cycle de développement. Dans un langage moins politiquement correct, ça veut dire qu'il y a toujours un petit truc qui cloche, un grain de sable qui vient gripper la mécanique, un défaut qui est passé sous le radar. C'est d'autant plus dommage que le constructeur italien met systématiquement les petits plats dans les grands pour réagir rapidement aux critiques formulées dans la presse. Prenez la Shiver 750 par exemple. La première génération souffrait de quelques tares rédhibitoires comme un ride-by-wire aussi inédit que capricieux et un accord de suspension avant/arrière pour le moins fantaisiste. Des défauts -aujourd'hui disparus- qu'on retrouva plus tard sur les premières Dorsoduro 750 et Dorsoduro 1200... Quant à la fabuleuse RSV4, les casses moteurs spectaculaires lors de sa présentation -causées par un lot de pièces défectueuses- ont marqué les mémoires. Bref, tout ça pour dire que la Caponord, malgré des qualités avérées, n'a elle aussi pas échappé au “signe indien” lors de sa présentation début 2013 : embrayage viril, suspensions électroniques ADD pouvant être pris en défaut, consommation pouvant flirter avec les 10 litres... Cette fois-ci, Aprilia a mis un peu moins de 18 mois pour nous convier à tester un millésime 2015 revisité. Chapeau bas !
Présentation
Sur le papier, celui du dossier de presse, les changements ne sont pourtant pas légion.
Les modifications ? De nouveaux étriers de frein avant monobloc Brembo, une boucle arrière renforcée, un cadre en treillis retouché au niveau de sa géométrie et des suspensions semi-actives ADD au fonctionnement optimisé... Ah, j'oubliais, l'échappement a aussi été revisité et l'injection reparamétrée. Signalons enfin que sur ce millésime 2015, le coloris noir vient remplacer le gris du modèle 2014.
Pour cette présentation un peu particulière (la version 2015 est plus une mise à jour qu'une véritable nouveauté), Aprilia nous a convié à un essai au format XXL : une boucle de 600 km autour de Bercelonnette et étalée sur deux jours, le tout via un énorme paquet de cols dont le plus haut d'Europe (2 802 m), celui de la Bonnette. Et qui dit étape dit “obligation” de charger les valises latérales afin d'emmener tout notre attirail civil. Bref, un truc roots genre vrai trip de motard dans la vraie vie histoire afin de mesurer « tout le potentiel GT de la Caponord », dixit l'attachée de presse de la marque.
Pour l'occasion, nos montures sont des versions full option équipées du Travel Pack (suspensions ADD semi-actives, valises latérales, béquille centrale et régulateur de vitesse) ainsi que d'un échappement optionnel Arrow plus gracieux que l'origine et, comme nous le découvrirons plus tard, bien plus sonore. Pour une description technique complète, je vous invite à consulter l'essai de la Caponord 2013. Rappelons juste que le twin de 1187 cm2 développe 125 chevaux à 8 250 tr/min et 11,7 mkg de couple 6 800 tr/min.
Contrôlé par un ride by wire, il dispose de trois cartographies Rain, Touring et Sport, modifiables en roulant d'une pression sur le bouton du démarreur mais sans toucher l'accélérateur. Pour les autres fonctions électroniques, tout doit être fait à l'arrêt. Cela inclus la déconnection de l'ABS, le choix du niveau d'intervention de l'antipatinage ATC (3 réglages + off) et les cinq programmes de la suspension semi-active ACC : solo, solo plus bagages, duo, duo plus bagages et enfin le mode Auto. Le système joue sur l'hydraulique ainsi sur la précharge à l'arrière grâce à un moteur électrique intégré dans le corps de l'amortisseur. Aprilia précise que quel que soit le mode choisi, l'ACC ajuste en permanence l'hydraulique en fonction des différentes phase de conduite (accélération, freinage) et de leurs intensités. Terminons avec le poids. Le trail italien pèse plus de 250 kilos tous pleins faits, valises incluses ce qui le place dans la moyenne haute de la catégorie.
En selle
Difficile de trouver à redire sur la finition, comme la plupart des machines du segment. Les périphériques (freins, jantes, suspensions...) sont tous de qualités, la peinture de qualité, les fils bien planqués, bref, c'est du haut de gamme.
Le tableau de bord LCD est complet avec le duo compteur compte-tours, kilométrage total plus deux partiels, une jauge de carburant, le rapport engagé, la température moteur, le mapping moteur sélectionné, le niveau d'intervention de l'antipatinage et le mode choisi pour les suspensions électroniques. Sans nécessiter un bac plus 12 en poussage de bouton, l'interface permettant de modifier les paramètres de l'électronique embarquée demande un certain temps d'adaptation. C'est un peu mieux que sur une Ducati Multistrada, moins bien que chez BMW avec la GS, la référence en terme d'ergonomie demeurant KTM avec l'Adventure.
Plusieurs informations supplémentaires peuvent être affichées via l'Aprilia Multimedia Platform disponible pour iPhone et Android (voir rubrique accessoires).
L'ergonomie du poste de pilotage est particulièrement bien étudiée avec une position de conduite droite très naturelle, des repose-pieds bas, un guidon large mais pas trop cintré et un réservoir assez échancré pour ne pas écarter excessivement les jambes. La selle est du genre équestre : étroite à la jonction du réservoir pour faciliter les arrêts au feu rouge et plus large dans sa portion arrière. Tout ceci est parfait à condition d'avoir les pieds qui touchent par terre... Avec mon mètre soixante-dix, la selle non réglable juchée à 840 mm de hauteur me permet d'avoir les dix orteils en contact avec le sol mais pas plus. Combiné au poids conséquent et un rayon de braquage tout juste correct, les manœuvres dans les petits coins ne se font pas sans une pointe d’appréhension.
Compte tenu de la vocation de ce SUV à deux roues, la capacité d'emport est un point critique. Ici, on a le droit à deux valises de 29 litres chacune capable d'accueillir un casque intégral. Les cadres sup' parisiens et les journalistes pesteront un peu contre leur forme tarabiscotée (comme la plupart de ses concurrentes d'ailleurs) qui rend problématique l’accueil d'un ordinateur portable grand format. Côté fermeture et arrimage, on est ici aussi dans la moyenne du genre. C'est à dire pas terrible sans un minimum d'habitude avec un risque d'ouverture intempestive sur les premiers mètres de roulage pour les moins méticuleux.
En ville
Les évolutions urbaines ne posent pas de problème particulier. Les 250 kilos de la Caponord peuvent se faire quelquefois sentir à très basse vitesse mais l'ensemble est homogène avec une mise sur l'angle naturelle et un train aussi léger que sécurisant. Tout va bien aussi au chapitre moteur. Bon, le V2 Aprilia est connu pour dégager pas mal de calories ce qui pourra occasionner quelques bouffées de chaleur à son pilote en été. Mais la boite est douce et le twin, remarquablement souple pour sa cylindrée, est capable de reprendre à 2000 tr/min jusque sur le 4e rapport. Seul point noir déjà critiqué sur la précédente génération, un embrayage hydraulique qui se montre toujours trop dur à actionner et devient fatiguant à la longue. La rétrovision est correcte, sans plus. Notez que, dans les embouteillages, les valises respectent la règle du « si ça passe devant ça passe derrière ».
Autoroute et voies rapide
Le moelleux de la selle gel optionnelle a ravi l'ensemble de mes collègues. Je lui préfère pour ma part le modèle standard plus ferme mais c'est une question de goût. C'est surtout l'assise plate et la grande latitude de mouvement qu'elle offre qui fait que les très longues étapes peuvent s'envisager sans le spectre du mal au fondement. Parlons maintenant de la protection. Le large réservoir prolongé par les écopes latérales isole les jambes des intempéries jusqu'à mi-mollet et l'ensemble poignées chauffantes + larges protège-mains n'appelle aucune critique. Quant à la bulle, courte mais bien dessinée, elle dévie correctement l'air jusque sur le haut du casque et son réglage est d'une simplicité enfantine. Dommage que l'on ne puisse l'ajuster en roulant. Enfin si, mais c'est à vos risques et périls. J'ai pour ma part perdu une des vis de serrage sur l'autoroute en tentant l'opération... Terminons avec les valises qui n'ont jamais perturbé la stabilité, même à haute vitesse. Un quasi sans faute donc.
Départementales
Rarement au parcours sur une présentation aura été si varié : routes de col, vallons avec plus de virages que de lignes droites et grandes courbes à foison, champs de mine ou billard, le tout dans des conditions météo oscillant entre l'enfer et le paradis. Nous avons été servi !
Il faut souligner d'abord l'excellent travail des suspensions AAS. Le mode automatique a été optimisé pour le confort avec une hydraulique tout en souplesse tirant le meilleur parti des grands débattements de suspensions (167 mm à l'AV, 150 mm à l'AR). Le résultat est assez bluffant avec un accord parfait entre avant et arrière, quel que soit le niveau de charge ou l'état du bitume. Trous et bosses, même en succession rapide, sont avalés sans pompage ni effet de bascule. Ici, tout travaille à l'unissons et sans fausse note. Mieux, on sent l'ensemble se raffermir lorsque le bitume se fait plus lisse tout en préservant le sacro-saint confort. Revers de la médaille, les transferts de masse sont importants (sans non plus tomber dans le syndrome du cheval à bascule) et si on force le rythme, il faut composer avec ce typage confort de l'hydraulique et se restreindre à un style de pilotage coulé pour ne pas être chahuté.
La solution ? Basculer en mode manuel, aux réglages nettement plus fermes en hydraulique et plus adaptés à une utilisation sportive. Mieux “tenue” dans les transferts de masse, la Caponord perd alors en confort ce qu'elle gagne en capital fun. Il faut dire que l'ensemble moteur partie-cycle se prête volontiers à l'exercice.
Rigide et saine, imperturbable sur l'angle, la Caponord bénéficie d'un train avant aussi planté au sol qu'insensible aux freinages sur l'angle. A tel point qu'on vient rapidement au bout de la garde au sol, pourtant copieuse, bien aidé par des Dunlop Qualifier II particulièrement bien adaptés à la machine.
Quant au moteur, il peut se plier à tous les types d'utilisation. Souple et suffisamment remplis pour cruiser entre 2500 et 4500 tr/min, il s'envole ensuite à l'assaut de la zone rouge avec en fond sonore le râle rauque et enivrant du “silencieux” Arrow. Seule ombre au tableau, un premier rapport un peu trop long dans les épingles et qui nécessite parfois de s'aider de l'embrayage.
Après, il suffit d'ajuster les aides en fonction de ses humeurs ou des conditions extérieures. Pour le tourisme ou une utilisation quotidienne, on choisira la cartographie Touring et le niveau 2 de l'antipatinage. Pour arriver le premier en haut d'un col, la cartographie Sport plus agressive (mais un rien brutal à la réaccélération) combiné au niveau 1 plus permissif de l'ATC (Aprilia Traction Control) seront parfaits. Et si comme nous vous affrontez un croisement entre un typhon et un tsunami pendant l'ascension du col de la Bonnette, mieux vaut vous arrêter pour basculer l'ATC en mode 3. Le mode Rain du moteur n'a en revanche que peut d'intérêt. Bridé à 100 chevaux, il ampute surtout le V2 de la majorité de son couple jusqu'à mi-régime et fait double emploi avec l'ATC. A oublier donc...
Duo
Le passager a le droit à des larges poignées de maintien et une selle séparée qui lui assure une assise droite. Il y a même un petit bourrelé central à l'avant pour limiter les glissements intempestifs lors des freinage. Et sauf à fréquenter des pros du basket, les repose-pieds sont ancrés assez bas pour offrir un niveau de confort presque équivalent à celui du conducteur.
Freinage
A part peut-être une Guzzi V7, on ne connait guère d'italienne à qui on puisse reprocher grand chose au chapitre du freinage. Ici, on touche au plus que parfait. L'ensemble radial Brembo à l'avant couplé à un ABS est irréprochable : mordant, puissant, dosable avec un ABS transparent dans son fonctionnement.. C'est simple, une hypersportive ne ferait pas mieux. A l'arrière c'est très bien aussi, avec une bonne consistance à la pédale permettant un dosage fin. On aurait juste aimé un peu plus de puissance sur les gros freinages mais l'anti blocage ne se déclenche jamais de manière intempestive.
Consommation
Aprilia a t'il buché sur sa cartographie moteur ? Le fait est que, outre un couple maxi disponible plus tôt, la consommation est revue à la baisse. Enfin à la baisse, il faut se comprendre... Avant la consommation était “excessive”, maintenant, elle est juste “élevée”. Avec des moyennes oscillant entre 7,2 et 7,9 L/100 km durant nos deux jours d'essais, la Caponord se situe toujours dans la tranche haute de la catégorie. L'autonomie est pourtant loin d'être ridicule puisqu'avec un réservoir de 24 litres dont 5 de réserve, on peut parcourir jusqu'à 330 km.
Accessoires
Outre les équipements spécifiques de notre version Travel Pack (valises et béquille centrale) et le silencieux Arrow optionnel, Aprilia propose pour son trail GT un bloque disque directement fixé sur l'étrier de frein avant, un couvre-réservoir ainsi que la sacoche qui va avec, une autre sacoche mais de selle cette fois, des selles avant et arrière avec insert gel, une alarme, une protection de carter d'embrayage, un top-case de 40 litres et enfin des poignées chauffantes. On notera également pour les futurs acheteurs de Caponord la possibilité de coupler leur machine à leur smartphone via une application spécifique baptisée Aprilia Multimedia Platform, disponible pour iPhone et Android. Outre la fonction GPS, elle peut afficher et stocker pour analyse ultérieure des informations supplémentaires plus ou moins utiles : prise d'angle, affichage instantanée du pourcentage de puissance et de couple moteur utilisé, capteur accélération... Il intègre aussi quelques gadgets pertinents comme l'indication automatique des stations d'essence les plus proches dès que l'on tombe sur la réserve ou la mémorisation de la position GPS du véhicule avant que le moteur ait été éteint. Un système pratique mais pour le moins capricieux.
Conclusion
Au terme de ces 600 km d'essai, on peut conclure que cette version 1.2 de la Caponord se place comme une des machines les plus pertinentes de sa catégorie. Saine et fun, elle l'était déjà. Elle est désormais parfaitement homogène et polyvalente grâce au confort royal et la flexibilité de ses suspensions semi-actives retouchées. C'est parmi ce qui se fait le mieux dans le genre. Quant à la consommation, toujours élevée mais contenue dans des proportions raisonnables, elle améliore l'autonomie globale autant que le budget annuel en carburant de son propriétaire. Une évolution réussie donc pour une machine offrant un des rapports prix/équipement les plus alléchant du marché avec son tarif de 15 399 € (12 999 € en version Standard). Ne reste plus maintenant à Aprilia qu'à adoucir la commande de l'embrayage et offrir une option selle basse pour les nains de jardin. Rendez-vous dans 18 mois ?
Points forts
- Suspensions électroniques
- Confort
- Moteur de caractère
- Qualités des aides électroniques
- Rapport prix/équipement
Points faibles
- Embrayage toujours trop dur
- Consommation élevée
- Réglages fastidieux de l'électronique
La fiche technique de l'Aprilia Caponord 1200
La concurrence
- Ducati Multistrada 1200
- KTM Adventure 1190
- BMW R 1200 GS
- Triumph 1200 Tiger
- Yamaha XT 1200 Super Ténéré
- Honda Crosstourer DCT
- Moto Guzzi Stelvio
- Suzuki DL 1000 V-Strom
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