La moto d'Alan Moore
"s'il te plaît, dessine-moi une moto"
Je regardais récemment un docu sur la vie et l'oeuvre d'Alan Moore et je me suis dit qu'il faudrait que je lui demande gentiment : "s'il te plaît, dessine-moi une moto".
Alan Moore, tu le connais peut-être pour "V pour Vendetta" ou "Watchmen". Un illustrateur et scénariste haut en couleur ; comme souvent avec ce genre de personnes, l'originalité de son travail est proportionnelle au caractère entier de son auteur.
J'imaginais sa moto comme une machine de prolo révolté, désabusé, mais tiré vers le haut par le merveilleux. Une moto avec des détails baroques : un té de fourche supérieur forgé à la main et gravé de runes celtiques, trois rétroviseurs de taille et de forme disparates pour te rappeler que le passé peut s'envisager de diverses manières, un compteur gradué en furlongs et en khèt egyptiennes, une jauge à essence à bille le long du réservoir et une canne-parapluie logée sous la selle, à côté des oeuvres complètes d'Élisée Reclus pour se promener pas idiot et à l'abri de la pluie ou du soleil lors des pauses en rase campagne.
Côté motorisation, je ne vois que le monocylindre, fidèle et droit, comme le bonhomme semble l'être. Pas question de cohabiter avec l'escroc de la chambre de combustion à droite ou le social-traître du cylindre de gauche. Non : du bon gros mono, caractériel, intransigeant -allez, j'ose même placer : 'péremptoire'. Avec les ressorts de soupapes à l'air libre pour te rappeler de ne pas la garer à l'arrache sous la pluie ; faut faire gaffe à ton matériel : d'autres prolos se sont cassé le dos pour extraire le minerai nécessaire à leur fabrication, alors un peu de respect.
Non, non, le klaxon ne jouera pas une version piratée de God Save The Queen des Sex Pistols, parce que Johnny Rotten a rejoint la cohorte des soixante-huitards parvenus qui se plaignent du raffut des autres depuis leur villa de front de mer.
En revanche, le tableau de bord utilisera un obscur protocole radio pour télécharger en très bas débit des maximes et des haïkus qui s'afficheront aléatoirement au démarrage, en remplacement des messages bêtes de la concurrence (Ta race est prête ? Chevauche les pets du changement, etc.).
A la place, nous aurons quelques perles, dont le fort cynique 'Arche ou crève' que l'on doit semble-t-il à Noé, le très élitiste '6EQUJ5' pour ceux qui ont la tête au-delà de la ceinture de Kuipert, le toujours utile : "Ça va pas ? Billie Holiday. Ça va ? Idem" et l'on-ne-peut-plus brève recette de la tarte à l'eau sans pâte qui tient en deux lettres et un chiffre en indice.
Tous les exemplaires seront numérotés au hasard en chiffres romains, mais jamais en dessous du 5.380.762e exemplaire, pour donner à l'acheteur le sentiment d'avoir acquis un objet unique et pas du tout une moto construite en grande série. D'où l'apposition du numéro de cadre sur plusieurs lignes tout le long du bras oscillant -fallait trouver de la place pour un système de numérotation qui, pour écrire "millions", aligne mille "M".
Je vois la moto d'Alan Moore comme une réaction aux productions actuelles qui ne se différencient que par quelques bouts de plastique et un pouième de cheval dans la fiche technique. Une manière de nous rappeler que nous pourrions tirer tellement plus de la créativité des dessinateurs de motos.
Si je peux commander une coque pour mon téléphone ou mon PC imprimée à partir d'un JPEG personnel, alors pourquoi ne pas faire pareil avec les peintures de réservoir ? Parce que sinon on va de nouveau voir fleurir les décos façon années 80 avec des loups, des pleines lunes, des portraits ratés de Johnny et des nanas à moitié à poil armées d'épées de trois mètres de long ?
Ouais. C'est peut-être ça, la raison. Peut-être que c'est une mauvaise idée finalement, le coup de la peinture perso.
Je ne me fais pas trop d'illusions : si Alan Moore se mettait dans l'idée de dessiner une moto, il s'en vendrait trois exemplaires à quelques furieux dans mon genre et c'est tout. Motardus simplex déteste l'originalité. Ce n'est pas propre aux motards : c'est la société qui veut ça. La société et le poids de ses normes et de ses habitudes.
Les types comme Alan Moore trouvent refuge dans un moyen d'expression qui leur sert à la fois de tribune et de refuge -oh ! jeter un oeil dans son carton à dessins où il est écrit "trop gros ; passera pas".
Mais quand même : un compteur de vitesse gradué en furlong, ça serait la classe.
Commentaires
Ce qui me fait penser qu'on ne l'a pas vu en couv' de [ce que tu veux] HEROES
13-06-2023 10:18´suis pas sûr qu’il y ait beaucoup d’américains connaissant les écrivains communards (j’ai bien écrit communard, hein ! Pas communiste !).
13-06-2023 11:07Mais il est pas fou, lui?! Vouloir pondre une meule qui sorte de l'ordinaire ! Non mais ho. "Pack shifter"-"étriéradioh"-"bluetooth", point barre, c'est tout ce qui guide le choix. Et en gris, noir, noir, voire rouge bordeau pour les punks.
13-06-2023 19:32Un truc qui sort de l'ordinaire, non mais j'te jure.
Merci !
13-06-2023 23:20Merci, je ne connaissais pas l'artiste. Ses motos joliment singulières survivraient-elles à la ségrégation normative écologico-libérale ?
14-06-2023 08:50Que de références ! Et pour la fin de la kronik : "Les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux ..."
14-06-2023 14:23Brassens est prévu pour la semaine prochaine.
14-06-2023 22:13Il fait partie des sept "B" avec lesquels j'ai été élevé : Bach, Bob (Dylan), Boris (Vian), Brel, Bobby (Lapointe), Beatles (The) et Brassens, donc.
Salut
14-06-2023 23:02...Kuiper avec un T...
Et pourquoi pas Oort avec un seul o ?
V
Merci!
15-06-2023 10:59Tu as tout dis!
C'est la faute des motards et pas des constructeurs!
Et toujours rien sur l'échappement
01-07-2023 06:49J'aurais bien vu une tubulure recourbée vers le haut comme le très vieux fantic motor
Ou une gamelle incrustée de versets en farsi avec l'œuvre du pouete Abbas ( celui là même qu'un mendiant persan peut t'offrir dans les rues de Chiraz pour une pièce)
À propos de Chiraz et du mendiant persan
01-07-2023 15:54Le mec a un petit pot avec des papiers griffonnés en vermicelles ( y a pas d'autre moyen de designer leur écriture)
Il a un perroquet sur l'épaule
Il quémande
Bon prince, tu lui donnes une pièce ou un bifton
Le perroquet descend de l'épaule du mec, fouille du bec dans le pot et sort une paperolle
Écrite en vermicelles
Le mec te la refile, c'est pour toi mon grand
À toi de te démerder pour la lire
J'y suis pas encore arrivé
Paraît que c'est pouetique, je dirais pas le contraire