La guerre est finie
C'est déjà demain
Paysage de poussière, à buissons rabougris. La route est large, collée au canyon. Le regard sans yeux du radar scrute la chaussée ; le moteur gronde. Il est encore tôt.
Depuis huit kilomètres, la réserve clignote. Pas d'inquiétude : la prochaine station-service n'est pas loin. Le calculateur, en fonction des données livrées par le GPS, sait qu'il est inutile de passer sur une cartographie plus économique : l'autonomie est suffisante.
Toutes les sept millisecondes, le radar Matsushita logé sous la double optique envoie un train d'ondes dont les échos sont captés par des antennes camouflées dans les branches des rétroviseurs. Dans le petit esprit électrique de la moto se dessine une image monochrome transitoire de la route.
Un scintillement au loin s'affirme. La station-service est partiellement protégée par un promontoire rocheux qui tend comme un index vers l'horizon. La moto ralentit et tourne sur la bretelle d'accès en pente douce. La direction s'ajuste vers une piste de carburant libre. Les gyroscopes montent en régime : la moto est bien stable. Elle s'engage sur le rail central. La manoeuvre est automatique : il n'y a pas besoin de corriger au guidon.
Deux voussoirs hydrauliques viennent immobiliser les pneus. Un laser balaye le réservoir pour aligner la trappe à essence. Déjà, le calculateur envoie un train d'impulsions : volume de carburant souhaité et données chiffrées relatives au paiement. Il faut aussi réajuster la pression des pneus : il va faire plus chaud, aujourd'hui. Le petit compresseur sous la coque passager fait le nécessaire, maintenant que la borne météo de la station a confirmé le bulletin régional.
En selle, le motard attend. Toute l'opération se déroule plus vite qu'il n'aurait pu le faire lui-même. À sa droite, une voiture démarre. Il n'y jette pas un oeil. Dans le restaurant d'étape, un robot-cuisinier fait cuire des steaks hachés et des galettes de pommes de terre.
Un dernier bip et la moto peut repartir, le réservoir plein. Il reste encore une longue route, aussi le calculateur coupe l'alimentation en essence de deux des quatre cylindres. À l'allure usuelle, la différence est minime et toute action sur la poignée de gaz rallumerait les deux injecteurs inactifs en un délai indécelable.
La moto poursuit son chemin à allure légale. Le vigilant radar accomplit sa tâche : même en pleine nuit, rien n'échappe à son regard électromagnétique.
Soudain, les bornes relais qui bordent la route pépient le code hexadécimal correspondant à "bouchon", en plus d'une distance exprimée au décamètre près. Au loin, monte dans l'air échauffé le mirage d'une file de voitures à l'arrêt, soigneusement en ligne, à deux mètres les unes des autres. Miracle de la technique : aujourd'hui, les carambolages ne sont plus possibles.
Il y a bien la place pour rouler au milieu, entre la deuxième et la troisième file : c'est tentant. Mais les portiques, ici, sont équipés de caméras de surveillance dépourvues d'empathie. Docilement, la roue avant s'aligne au milieu de la voie de gauche. Les gyroscopes du système de stabilisation vrombissent.
La moto s'arrête. Le moteur coupe automatiquement. Le silence revient. Le motard regarde droit devant lui.
Quelques mouches s'agitent dans l'embrasure de la vitre de la berline d'à côté. L'une d'elles décolle, virevolte un moment, avant de venir sur poser sur la botte du motard, où s'accroche une substance épaisse et collante.
La file de voitures est longue. Le bouchon s'étire sur plusieurs kilomètres. Que se passe-t-il ? À mesure que l'on s'avance, la chaussée est plus sale. Le sable y forme de minuscules monticules qui s'accumulent autour des pneus. Tout à l'avant du bouchon, la route est comme tranchée net par une profonde ébréchure aux bords noircis.
Le motard n'a pas bougé. Il n'est plus le dernier dans la file : une voiture est venue se ranger doucement, en mode automatique, à deux mètres exactement derrière lui. Sur le tableau de bord de la moto, en lettres blanches à la police de caractère sous copyright, clignote ce message : "voulez-vous définir une autre route pour rejoindre votre destination ?"
D'autres mouches sont venues rejoindre la première sur la botte du motard, sur la coulée de jus collant, marron, nutritif. Lui n'a pas bougé. Le regard vide des orbites de son crâne fixe l'énorme cratère trop parfait qui rayonne encore.
La guerre est finie.
10 PRINT "BONNE ANNEE ! BONNE SANTE !" #COLOR=00FF00
20 GOTO 10
RUN ? Y/N_
Bienvenue dans la nouvelle année.
Commentaires
bonne année, Docteur WHO!
05-01-2021 07:3230 GOTO 1990
05-01-2021 07:55Je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais vu un seul épisode de Doctor Who.
05-01-2021 08:47Je pense à tous ces systèmes électroniques qui continueront à "vivre" quand nous serons tous morts.
Un futur pas si éloigné que cela, qui aurait prédit que le téléphone portable et internet aurait une telle puissance et autant de fonctionnalités.
05-01-2021 09:01Sauf que dans futur proche, fini l'essence, fini aussi un certain plaisir de rouler à moto.
De toute façon mes enfants m'interdiront de rouler à moto, atteint par la limite d'âge suite à une mise en demeure des pouvoirs publics.
magnifiquement écrit (comme toujours d'ailleurs)
05-01-2021 09:06mais Quesque c'est flippant Oo un mélange de mad max dans un monde diriger par les cybermens de doctor WHO..
Bon il va falloir que je m'y mette car je n'ai jamais regardé Dr Who.
05-01-2021 10:06J'ai vu Mad Max 1 et 2, c'est peut être ce qui attend l'humanité.
C'est pas pour faire flipper, mais Mad Max est censé se dérouler en 2021.
05-01-2021 10:52oui en plein dans l'actu x)
05-01-2021 11:06La moto qui survit à son motard... glaçant
05-01-2021 12:05Le motard risque fort, comme les autres, d'être lobotomisé par les évolutions en cours et à venir de la "mobilité" du 21e siècle.
06-01-2021 08:26Aussi affligeant qu'une guerre ?
Ah! Ah! Ah! 2021, super-Kpok se révèle enfin en fan de Mad Max, balaie d'un trait toutes les billevesées qu'il nous a toujours assénées à base de petit mono 4 temps poussif, et exhibe des biceps de Musculator sur une V-Max turbo tunée à mort.
06-01-2021 16:13K-ta K-pok! K-ta K-pok ! I'm euh pour! Lonesomme cow-boylleuh...
06-01-2021 19:47J'ai vu un bon petit film d'animation sur le même thème, des avions automatisés et usés jusqu'à la corde continuent à faire la guerre alors qu'il n'y a plus d'humains pour la faire.
06-01-2021 22:46Sinon, rien que le début avec la description de tous ces trucs automatiques, c'est déjà un monde de cauchemar.
Oui, c'est de ce dessin animé du bombardier en mode automatique que vient mon inspiration. Bien vu.
07-01-2021 09:59Voici donc Last Day of War
et Fortress
Bah voilà, c'était ça.
07-01-2021 14:22Sont bons.