Jean-Pierre a un T-Max

Quand Jean-Pierre parle de T-Max, c'est du sérieux

Jean-Pierre* a un T-Max. En fait, c'est son cinquième. Le premier lui a été volé. Le deuxième aussi. Le troisième a fini chiffonné au-delà du réparable suite à un wheeling "oui-mais-y'avait-du-vent". Le quatrième aussi, "mais-y'avait-une-voiture".

Quand Jean-Pierre parle de T-Max, c'est du sérieux. Pas question de tolérer de l'origine. Un T-Max, c'est obligatoirement noir mat et carbone. Alors tout y est passé : le pare-brise, les "sabres", le passage de roue, le cache-neiman, l'entourage des compteurs, les caches latéraux de cale-pieds, les rétroviseurs, le cache de transmission, le support de plaque, les bouchons de valve et pour finir le porte-clef, en carbone lui aussi(1). Et tant pis s'il y a marqué en bas de la fiche technique de ces pièces : "matière : polycarbonate aspect carbone". Le tout a permis d'alléger le compte en banque de Jean-Pierre d'environ 1.800 euros montage compris -c'est fou comme ça pèse lourd dans l'addition, le polycarbonate de carbone.

Côté moteur, Jean-Pierre a vu les choses en grand. Pot Akarapopouêt à dB-killer, corps d'injecteurs retaillés à 40 mm, variateur Malossi à galets Dr Pulley, embrayage et demi-poulies mobiles Polini, courroie kevlar et visserie anodisée partout. "Pour gagner du poids", assure-t-il. Là encore l'addition est salée, mais nous tairons le budget pour ne pas enfoncer encore plus ce pauvre Jean-Pierre qui n'en a pas besoin.

Car Jean-Pierre ne s'est pas contenté d'équiper sa seule monture : côté sape, c'est la totale. Casque Roof noir mat, polo Lacoste, pantacourt Ralph Lauren, soquettes Eden Park à petit noeud-noeud rose, baskets Le Coq Sportif et l'inévitable pochette à bretelle "Louis Vuitton" en guise de portefeuille, aussi authentiquement Vuitton que son passage de roue est en carbone. La touche finale est apportée par une Patek Philippe énorme qui arriverait presque à tromper son monde de très loin par une nuit sans lune. Il la consulte régulièrement d'un geste large en vérifiant du coin de l'oeil s'il arrive ainsi à suggérer à la galerie que son appareil reproductif est à la mesure de sa montre.

Oui, Jean-Pierre est bien le prototype de ces têtes à claques qui écument chaque jour les rues de nos villes et banlieues. Celles à qui on ferait volontiers entrer deux grammes de civisme dans la tête. A la masse d'armes, de préférence. Du Code de la route, Jean-Pierre n'a que de très vagues notions qui tournent le plus souvent autour de sa petite personne. Tel un Chuck Norris(2) au stade très embryonnaire, ce n'est pas à Jean-Pierre de respecter le Code de la route, c'est bien plutôt au Code de la route de respecter Jean-Pierre. Quitte à distribuer de manière libérale coups de latte et crachats divers en direction de ceux qui ne Codent de la route pas assez vite au goût de Jean-Pierre.

Les bras tendus, le buste en arrière, les pieds en canard sur l'avant du tablier, le Roof crânement ramené sur la nuque, Jean-Pierre déboule pleine balle entre les files de voitures, son iPhone coincé sous le casque. Quand le Code de la route ne se Jean-Pierre pas assez rapidement, il donne de grands coups de gaz et de klaxon en gesticulant de manière menaçante. Pas une seule seconde il ne doute de sa suprématie, lui le pot de terre contre le pot de fer d'une tonne cinq de la voiture dont il invective le propriétaire. Quelque part, Jean-Pierre est le double nuisible et morveux d'un Don Quichotte périurbain.

Jean-Pierre est un type aux idées larges. Sur le forum T-Max Passion Forever où il est modérateur, il anime avec zèle et ferveur la section réservée aux T-Max premiers du nom, où les modèles jaunes sont révérés comme des reliques de Saint Tuningma, patron des goûts de chiottes. Les modèles suivants sont traités avec commisération, tandis que par une étrange pirouette intellectuelle, les T-Max derniers-nés font l'objet d'admiration -tant qu'ils ne restent pas d'origine- exception faite de l'Iron Max.

L'ambiance dominante sur le forum est un délicat mélange d'intégrisme vis à vis des premiers modèles et de tunisme débridé pour les autres. Il s'agit en effet de donner toutes les apparences d'un scooter sportif sans avoir aucune de ses qualités. D'où des pneus arrière(3) extra-larges qui alourdissent la machine, des suspensions rabaissées qui ruinent la garde au sol et des étriers de frein surdimensionnés alors que le maître-cylindre reste d'origine. Ces fétichistes du taillé dans la masse plussoye ou moinssoye au gré des dernières modes, en revendiquant bien fort leur droit à faire partie de la meute accablante. Leur Graal ? Le turbo, qui rend le T-Max complètement inconduisible mais qu'importe. Turbo ! Turbo ! Turbo ! scande le troupeau en délire, assurant, témoignage oculaire qui a vu l'homme qui a vu l'ours à l'appui, que cette monstruosité "passe aussi fort en courbe qu'une R6". Promijuré-sandek'-jlévu.

Dire qu'il s'est vendu pas loin de trois mille cinq cent T-Max l'an dernier...

*pour protéger son anonymat et lui éviter des désagréments avec ses potes, mon copain Jean-Paul sera ici appelé Jean-Pierre.

(1) je t'épargne la liste complète des micro-merdouilles que Jean-Pierre a collé sur son malheureux scooter.

(2) Chuck Norris ne se mouille pas, c'est l'eau qui se Chuck Norris -www.chucknorrisfacts.fr

(3) contrairement à ce que je pensais, "arrière" ici ne prend pas de "s" : il est invariable quand il indique une position. Le seul cas où il prend un "s" c'est quand il s'agit d'un nom : "protéger ses arrières".

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