Kronik : Eddie

Pas le permis mais amoureux de sa 750

Eddie est un de mes collègues de travail. Il déteste les motards. Il n’a pas son permis. Il roule sur une GSX 750 à pneus à crampons.

Il doit peser plus de 100 kilos. Un gabarit de joueur de rugby. Le crâne rasé et une tête de mort grimaçante tatouée à l’arrière du crâne et les oreilles pleines de trous du temps où il portait des boucles d’oreilles. Pas exactement le type que tu sens sympa au premier abord. C’est une erreur. Eddie est un type affable, poli et souriant, quand il fait confiance.

Un jour qu’on arrivait ensemble sur le parking de l’usine, lui dans sa 106 commerciale blanche et moi sur ma trapanelle, on engage la discussion sur les deux roues, d’autant que je suis garé à côté d’un T-Max type 2. Il débarque côté scooters, alors je lui explique un peu le truc : mono contre bi, 32 chwo contre 42, un petit 150 contre un gros 160, etc. Il finit par me balancer :

- De toute façon, j’aime pas les motards, c’est tous des p’tits cons.

Il fait une pause, puis se reprend avec un geste de la main dans ma direction :

- J’dis pas ça pour toi, hein. Mais c’est tous des merdeux.

Je ne relève pas.

- Ça a l’air plutôt pas mal, ajoute-t-il en montrant le T-Max du pouce.

- Faut quand même un permis pour ça.

Il éclate de rire :

- Comme si j’en avais quelque chose à foutre ! Ça fait 35 ans que je roule à moto, est-ce que j’ai une gueule à avoir un permis ? J’ai commencé à 14 ans sur la 250 RM du frangin que même je pouvais pas toucher les pieds par terre alors j’étais obligé de m’arrêter à côté de troncs d’arbre ou de pierre sinon je me cassais la gueule et comme je pouvais pas la relever j’étais obligé de rentrer à pied et mon frangin m’en collait une. Alors le permis, j’m’en tape.

Je rigole à mon tour. Il poursuit :

- Les flics, dans mon coin, ils roulent à quatre dans une Laguna diesel, ils sont toujours aux mêmes endroits aux mêmes heures. Faut vraiment être manche pour se faire serrer. Le nombre de fois qu’ils ont pu me courser ! En mob, en 125, avec les bécanes de cross, avec ma bécane de maintenant.

Je suis surpris :

- T’as une moto ?

- Ouais, ouais, une Suzuki, une… sept et demie, une GS...X ou un truc dans le genre ; c’est mon frangin qui me l’a montée. On l’a dépoilée, repeinte en noir à la bombe et on a mis dessus des pneus à crampons pour pouvoir semer les flics. Quand ils se pointent, j’ai juste à enquiller un chemin creux pour taper l’esquive : c’est pas avec la Laguna qu’ils vont me suivre. Ça fait 40 piges que je traîne dans tous les sous-bois du coin, je les connais comme ma poche. Je les sème, je rentre, je colle un coup de bombe à la moto, je vais sur Le Bon Coin ou chez Emmaüs me trouver un nouveau blouson pour 15 balles et zou !

Je fais la moue :

- Faut pas non plus les prendre pour des crétins: ils doivent bien se douter que c’est toi, depuis le temps, non ?

- Pouarf ! Ils savent où j’habite, il z’ont qu’à venir me voir si z’ont un truc à me dire, moi j’les emmerde. Pis faut pas être débile non plus : la provoque, ça les énerve, alors faut pas non plus jouer au plus con avec eux. Pas comme les merdeux qui font chier tout le monde au village avec leurs pots trafiqués et qui leur font des doigts quand ils passent devant eux.

On marche quelques secondes en silence. On passe les grilles d’entrée. Il reprend :

- Et tu payes combien, en assurance ?

- Aux environs de 200 balles.

- Ouais, ben la même chose que moi, en gros.

Je lui fais remarquer que sans permis il n’a pas d’assurance. Il rétorque :

- Ah non ! Moi j’déconne pas avec les assurances. Pas de permis, OK, mais toujours assuré. Tou-jours ! Nan, faut pas déconner avec les assurances, assène-t-il d’un geste vif de la main.

Plus d'infos sur les kroniks

• Toutes les Kroniks