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Le Repaire de Steph : les essais MotoGP

Course à l’échalote et poker menteur

Martin dans le plâtre, Márquez en feu, Tech3 dans le dur, du mieux pour Honda et Yamaha…

J’aime le MotoGP. Pour le spectacle qu’il propose, pour la qualité de la captation, pour le niveau hallucinant de pilotage, pour le caractère des protagonistes, qu’il s’agisse des pilotes, des ingénieurs ou des teams managers, c’est pour moi le pinacle du sport motocycliste. Alors, bien sûr, je conçois que voir des gars en tenue flashy, montés sur des engins qui semblent sortir d’un mauvais film de SF des années 50, tourner en rond avec la frénésie de hamsters sous acide, ne provoque pas les mêmes émotions chez mes compatriotes terriens. Il me suffit de voir l’air incrédule affiché par ma tendre moitié quand elle observe mes réactions durant les courses pour m’en convaincre. Je ne suis pas non plus ultra fan du traitement médiatique parfois apporté à la discipline, qui consiste à monter en épingle le plus petit mot ou la moindre réaction, si possible sortie du contexte, pour faire le buzz. Mais c’est l’époque qui veut ça, le syndrome CNN : il faut occuper l’espace en permanence, même si cela consiste à en faire des tonnes sur des non-évènements. Ce qui n’enlève rien au spectacle ni au mérite des pilotes.

Essais MotoGP : Course à l'échalote et poker menteur
Essais MotoGP : Course à l'échalote et poker menteur

On en a eu la preuve lors des cinq journées d’essais qui se sont déroulées à Sepang (Malaisie), puis à Buriram (Thaïlande), où il n’a pas fallu attendre longtemps pour assister à des coups de théâtre. Dès les premières heures Aprilia a perdu deux de ses pilotes. Martin (champion en titre) s’est envolé au quatorzième tour (il s’en était déjà collé une un peu plus tôt) avec pour conséquences un pied et une main fracturés, l’obligeant à un retour express en Espagne pour se faire opérer afin d’être d’attaque pour le premier GP de la saison. Une saison qu’il débutera donc avec une seule journée d’essai au guidon de l’Aprilia, lui qui ne connaissait jusqu’à présent que la Ducati. On a craint le pire également pour Raúl Fernández, parti violemment (le crash est terrifiant) au tapis très tôt dans la journée avec une main cassée comme conséquence. Autant dire qu’avec seulement Marco Bezzecchi (transfuge de Ducati lui aussi) et Ai Ogura (champion Moto2 en titre, qui découvre la catégorie) pour développer une nouvelle moto, ça faisait un peu la gueule du côté de Noale au soir du premier jour d’essai. Mais la nouvelle RS-GP semble bien née et les pilotes aussi performants que motivés, puisque les tests se sont conclus avec le troisième chrono de Bezzecchi, le onzième d’Ogura (et premier rookie) et le treizième de Fernández, revenu en Thaïlande après s’être fait opérer. Bref, de quoi donner le sourire à Jorge Martin alors qu’il récupère de ses blessures.

Marco Bezzecchi s'est bien adapté à sa nouvelle Aprilia RS-GP
Marco Bezzecchi s'est bien adapté à sa nouvelle Aprilia RS-GP

Dans le genre malheureux, impossible de ne pas décerner à Fabio di Giannantonio le titre honorifique de Gaston Lagaffe de ces essais, lui qui s’est auto-éliminé dès la première matinée après s’être cassé la clavicule au terme d’un wheeling (il a perdu l’avant en le reposant sur une partie sale de la piste) ! Pas rancunier, son team (propriété de Valentino Rossi, pas le dernier à apprécier les acrobaties) a déclaré qu’il ne reprocherait jamais à l’un de ses pilotes de faire une roue arrière. Reste que lui (avant son crash) et son coéquipier Morbidelli, tous deux équipés des excellentes Ducati GP24, ont montré de belles choses durant ces tests.

Chez Ducati justement, le "drama" qui a tenu (presque) tout le monde en haleine était de savoir si l’équipe d’usine allait valider la GP25 ou conserver la base de la GP24. En effet, le règlement changeant en 2027 (nouvelle cylindrée, limitation des assistances et de l’aéro), il a été décidé de figer les moteurs des marques ne disposant pas de concessions pour les deux prochaines années. Interdiction de se louper, donc, au moment de faire son choix. Or, même si les pilotes ont tenté de faire durer le suspense, ils ont rapidement décidé de conserver l’essentiel de la GP24. Il faut dire qu’avec 16 victoires en 20 courses (trois autres sont le fait de Marc Márquez sur une… GP23), le constructeur italien a largement démontré avoir la meilleure machine du plateau. D’après Bagnaia, le nouveau bloc ne manque pas de qualités, mais il restait trop de points faibles à éliminer, notamment sur la gestion du frein moteur, si important lors du freinage et pas assez de temps pour les résoudre. Bagnaia et Márquez repartiront donc sur une GP24, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour leurs adversaires. En effet, l’équipe dispose déjà de toutes les données concernant les circuits du championnat et possède une base qu’elle connait par cœur et qui n’a cessé de démontrer sa supériorité (une seule victoire non Ducati en 2024, Viñales et son Aprilia à Austin, trois GP24 dans les quatre premiers du championnat). La seule question demeurant chez Ducati à l’issue de ces tests étant : est-ce que Márquez va écraser son nouveau coéquipier ou pas ?

C'est la Desmosedici GP24 qui a été retenue chez Ducati par Bagnaia
C'est la Desmosedici GP24 qui a été retenue chez Ducati par Bagnaia et Márquez

S’il ne faut jamais prendre les résultats de ces tests au pied de la lettre, tous les pilotes ou tous les teams ne travaillant pas de la même manière, il faut avouer que la prestation de Marc Márquez a impressionné l’ensemble du plateau. Qu’il s’agisse de Time Attack (meilleur chrono absolu devant son frère Alex) ou de simulations de courses, il a atomisé la concurrence pendant que Francesco Bagnaia (jamais très présent quand il n’y a pas de véritable enjeu, il faut le dire), termine cinquième. Mais l’italien sait être là quand il le faut. Lors de ces essais, les deux pilotes ont fait front commun, montrant une belle unité à l’heure des choix techniques. Mais ce sont deux battants qui ont du mal à se contenter d’une seconde place. Ça a coûté le titre à Pecco en 2024 (malgré 12 victoires !) et l’on sait que ses péchés d’orgueil ont déjà envoyé Márquez plus d’une fois au tapis. Lequel sera le plus régulier en fin de saison ? Marc est-il déjà entré dans la tête de son adversaire au terme de ces essais ? Nous aurons bientôt la réponse.

Nul doute que les affrontements entre Marquez et Bagnaia seront scrutés de près
Nul doute que les affrontements entre Marquez et Bagnaia seront scrutés de près

Chez KTM, on a soufflé le chaud et le froid. Le chaud c’est pour Pedro Acosta qui, après des débuts timides en Malaisie, a endossé avec assurance son costume de patron en Thaïlande. Ça n’a pas dû faire rire son coéquipier Brad Binder, jusqu’ici leader incontesté du team officiel, mais le fait est que l’espagnol est devenu le chef de file de la marque orange. Régulièrement aux avant-postes, il semble capable de bousculer la hiérarchie avec encore plus d’aplomb que l’année dernière. Côté froid, c’est malheureusement du côté de Tech3 qu’il faut se tourner. Alors que le team français a rarement aligné un duo orné de pareil palmarès (2 titres mondiaux et 37 victoires à eux deux), Maverick Viñales et Enea Bastianini n’ont toujours pas trouvé le mode d’emploi de la KTM et ont végété au fond du classement. Et quand on sait que tous deux fonctionnent beaucoup au feeling (avec la moto) et au mental, il y a de quoi être inquiet pour la suite. D’autant que les tourments financiers dans lesquels la marque est empêtrée pourraient avoir un impact sur le développement de la moto.

En retrait en Malaisie, Acosta a montré un tout autre visage à Buriram
En retrait en Malaisie, Acosta a montré un tout autre visage à Buriram

Côté Yamaha, on a pu entrevoir des lueurs d’espoir, même si, je le répète, il faut se méfier des essais de présaison. N’empêche, revoir Fabio Quartararo aux avant-postes était réjouissant. D’autant que Jack Miller (qui a gagné sa place chez Pramac au petit jeu des chaises musicales) a démontré d’excellentes facultés d’adaptation et s’est retrouvé à régulièrement challenger le français, tout comme Alex Rins. Visiblement les Japonais n’ont pas l’intention d’attendre l’arrivée du V4 (qui en est au stade des essais pistes), ni le nouveau règlement, pour faire progresser la M1. Cette dernière semble avoir retrouvé les caractéristiques qui faisaient sa force (vitesse de passage en courbe et stabilité au freinage) et ne plus seulement se focaliser sur la vitesse de pointe. On croise les doigts pour que ça se matérialise par des chronos lui permettant d’accéder plus souvent en Q2 et qu’elle puisse dépasser plus facilement ses adversaires.

Les prestations d'El Diablo sont encourageantes pour la suite de la saison
Les prestations d'El Diablo sont encourageantes pour la suite de la saison

Chez Honda non plus on ne s’est pas endormi. Tout comme sa collègue nippone, la RC213V a énormément évolué en aéro. On n’en saura pas plus pour ce qui est des évolutions moteur, mais l’ensemble a permis à Joan Mir de s’emparer du 6e chrono. Bon, en même temps l’espagnol était le premier à trouver la Honda pleine de qualités et de prédire de bons résultats il y a12 mois et on a vu le résultat. Plus discret mais très appliqué, Johann Zarco n’est pas du genre à dépenser inutilement son énergie. Le championnat d’intersaison ce n’est pas pour lui, mais quand il faut décrocher une place en Q2 ou revenir aux avant-postes en fin de course, on peut compter sur lui. Or, il a déclaré que la nouvelle machine avait le potentiel pour se retrouver régulièrement dans le top dix, voir mieux. Il faut dire aussi que l’arrivée de nouveaux pilotes, deux Ducati en moins sur la grille et un certain turn-over parmi les « cadres » de la discipline ont quelque peu rebattu les cartes. De quoi offrir de jolies perspectives quand on est talentueux et opportuniste.

Ca va mieux aussi pour la Honda RC213V qui a beaucoup évolué en aéro et côté moteur
Ca va mieux aussi pour la Honda RC213V qui a beaucoup évolué en aéro et côté moteur

Parmi les pilotes dont on peut attendre de jolies surprises, citons Ai Ogura, qui a crânement décroché le onzième meilleur chrono au guidon de son Aprilia, devant des cadors comme Binder ou Marini. Mais le débutant dont on espère beaucoup, à cause de son talent, mais aussi parce qu’il pilote une GP24, c’est Fermin Aldeguer. Appliqué, consciencieux et commettant peu d’erreurs, il poursuit son apprentissage du MotoGP. Entre le japonais et l’italien, le duel pour le titre de meilleur rookie promet d’être saignant. Ça semble en revanche plus laborieux pour Somkiat Chantra, coéquipier de Zarco chez LCR. Imposé par un sponsor du team, le Thaïlandais, ex-pilote Moto2, fait de son mieux et se rapproche petit à petit du niveau que l’on attend de lui. Mais en tout état de cause il part de plus loin (il est longtemps resté à plus de 2 secondes des meilleurs temps) et les premières courses risquent de lui faire tout drôle.

Toujours devant lors des essais, Alex Marquez pourrait bien venir semer le trouble lors des premiers Grands Prix
Toujours devant lors des essais, Alex Marquez pourrait bien venir semer le trouble lors des premiers Grands Prix

Peut-être pas la Thaïlande, puisqu’il connait déjà ce tracé au guidon d’une MotoGP depuis ces essais, mais la tournée Argentine/USA/Qatar, avec ses circuits atypiques et très rapides sera une sacrée découverte pour lui. Cela permettra d’y voir un peu plus clair et de s’assurer si, oui ou non, les performances d’Alex Márquez (premier ou second durant quasiment tous ces tests) sont un feu de paille oui si, au contraire, Monsieur Frère de, après avoir subi la GP23 la saison dernière, a bien trouvé la monture qui lui correspond. Pourtant, même si le team officiel va conserver les bases de la GP24, ne croyez pas que les pilotes Gresini ou VR6 joueront longtemps à armes égales. La force d’une usine c’est de développer et travailler constamment sur ces petits détails qui, au final, peuvent faire la différence.

Les choses sérieuses vont débuter le 28 février et l’on verra alors où se situe chacun.

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Commentaires

Antoine BODROS

Merci, ça fait plaisir de lire un petit article de Steph LACAZE !

18-02-2025 08:28 
inextenza

A priori, ce ne sont pas tout à fait des GP24 tout de même. Le moteur est celui de 2024, mais il resterait des modifications de châssis et d'aéro.

N'empêche j'espérais de gros coups d'éclats de Martin avec autre chose qu'une Ducati... là j'espère juste que cela ne va pas faire comme tous les pilotes qui se font mal aux essais de pré-saison (Bestia le dernier à ce funeste jeu), c'est à dire relégué aux arrières postes pendant la moitié de la saison triste
Du coup, franchement, à ce stade, c'est l'ascenseur émotionnel (enfin, toute proportion gardée), je suis passé en fin de saison à de "ça va être super disputé l'an prochain, Ducati va être challengé par Aprilia avec des pilotes qui en veulent (parce que bon, j'ai beau très apprécier Aleix... il avait franchement relaché l'effort lorsqu'il eut décidé quitter le service actif), la force de KTM, et les derniers résultats plus que encourageants de Fabio avec en plus 2 nouveaux pilotes et une écurie réputée" à... "bon bah ce sera rouge maculé de jaune fluo et de mauve-gris sur les podiums..."
Non pas que Bezz puisse reprendre sa belle progression interrompue l'an dernier, juste pareil, je l'apprécie (y compris humainement) mais objectivement le voir devant Marc et Pecco...
Pour le V4 Yamaha: franchement je ne vois pas ça d'un très bon oeil, même si eux bénéficie d'une totale liberté reglementaire pour bosser sur les moteurs

Bref, nous serons au Mans parce qu'on est accros au MotoGP, mais pour la saison, les paris pourraient être moins ouverts qu'espéré!

18-02-2025 09:52 
BIG83

Salut
Les essais Motogp avant saison, c'est comme la foire.
C'est à la fin qu'on compte les bouses...
(Aussi précis qu'Inex... )
V

18-02-2025 10:20 
tom4

la dernière photo avec les 2 motos posées par terre, on dirait des scooter de tuning japonais



tom4

19-02-2025 08:33 
 

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