C'était mieux avant

Et c'est certain : j'y étais

Du temps d'il y a vingt ans où j'me disais que rien qu'avec une 125 je serais King of Zeu Oueurld, ou au moins Leonardo à l'avant d'un Titanic qu'aurait pas coulé, mais quand même avec Kate Winslet. Du temps où avec 8.500 balles - fais le calcul en Euros, ça fout la trouille- t'avais une Minsk raide neuve et pour deux mille balles de plus une MZ.

Ou si pas une 125, au moins un 50 pour aller à la fac, au lieu du métro les jours de pluie ou le bus depuis la gare Saint-Lazare les jours sans. Si ya eu des types pour faire Paris-Marseille en Solex, alors moi, avec mon 51, j'aurais pu moi aussi partir sur les traces de Fred Tran Duc, Athène via Ancone, sortie Porte d'Orléans en passant par le guichet du Louvre, puis cap au sud-sud-est, par de toutes petites routes où y'aurait presque pas eu de bagnoles pour pas avoir peur.

Alors forcément, quand j'en voyais passer à toute berzingue sur l'A10 quand on partait à la campagne dans la 309 toute neuve de mon oncle, j'me disais qu'un jour, moi aussi.

Et puis un jour, moi aussi.

Sur l'ex-GPZ de Tony qu'avait un pot Micron « full'bordel » (mais à l'époque on pouvait presque), j'ai filé sur l'A6 et j'ai ouvert en grand (on pouvait presque aussi, à l'époque). Pour faire comme les autres. Pour rattraper tous les jeudis où j'avais bavé sur celle-là. Et celle-là. Et celle-là aussi. Mon pote David* sur son Fazer (le premier modèle, le joli) me faisait signe d'y aller mollo. Mais non ! J'ai attendu 5 ans ce moment là ! Faut que j'en profite. Que je fasse comme les vrais. Péter un grand excès de vitesse environ 3 kilomètres après être monté sur ma première « vraie » moto à moi, papillon rose à peine sec en poche.

Moi aussi, j'en étais. Je faisais des coucous à ceux d'en face. Je laissais passer les plus rapides qui me remontaient, avec un petit geste flegmatique de la main, genre « vas-y, chuis pas pressé, gars », alors qu'en fait j'étais au-dessus de mes pompes depuis 30 secondes à essayer de ne pas me faire doubler et que j'avais eu trop la trouille. Mais c'était pas grave, j'en étais. En penchant la tête dans l'autre sens dans les virages pour faire genre que je prenais de l'angle comme un fou, ou au moins comme Doohan.

Ou comme quand je rentrais de Chilly-Mazarin vers 2 heures du mat' et que j'avais l'A6 et le Périphe presque pour moi tout seul. Le radar était forcément Porte Champerret et prenait de l'avant, donc c'était peinard mais je coupais quand même parce que c'est de la provoque à deux balles. Là, j'étais vraiment Doohan (celui d'avant Crivillé), avec mon pot qui faisait de gros poum poum sous les tunnels quasiment déserts.

Et comme les autres, je pouvais passer des heures entières à causer bécane. On était tous des héros de tous les temps face au vent Bob Morane, on avait tous les droits, la route était à nous rien qu'à nous moo-haha.

Moi aussi, j'étais jeune. Et donc con. Mais c'était bien. Parce que c'était avant.

Avant les radars fixes. Avant Gayssot. Avant Sarko (tiens, on l'avait presque oublié, çui-là ; un peu comme Giscard). Avant le gilet jaune. Avant les « cépôbien ». Avant qu'il y en ait sur le Repaire pour défendre le Code de la Route, ou alors c'était pour de rire. Avant Loana, aussi.

Avant, on moufetait carrément plus et au moins on essayait de faire semblant d'être des rebelles.

La pluie c'était même pas peur, chuis un vrai, j'en suis. On faisait 300 bornes pour aller manger une crêpe même pas bonne mais c'était pas grave puisqu'on était au bord de la mer. Je me disais que dimanche, s'il ne flotterait pas trop, j'irais bien me perdre une fois de plus dans le Vexin à la recherche de cette petite route qui tournicote gentiment entre les champs, après le pont où l'avant décolle presque du bitume, comme au TT. Aujourd'hui c'est mouais bof, trop la flemme et puis ya mon album préféré du moment dans le poste de la ouature, alors tu vois, forcément.

Avant, t'avais pas besoin d'un diplôme d'électronique pour comprendre ce que te disais le tableau de bord. Ou comment faire pour que juste elle roule sans faire chier avec plein de voyants qu'on dirait le poste de pilotage du San Ku Kay. Et pour monter une sacoche de selle ou de réservoir, t'avais pas besoin d'aller chercher du côté des sacs à dos pour Quasimodo. Au bout de la poignée qui fait du bruit, y'avait un bête papillon, ou un boisseau, voire une guillotine pour les esthètes. Et pas un potentiomètre comme dans les machines à laver ou les escalators.

C'était du temps où je ne me demandais pas tous les deux ou trois mois quelle bécane je vais bien pouvoir m'acheter pour remplacer celle que j'ai qui forcément n'est pas ceci-cela et patati et patata, yada-yada. Alors celle-là, ou celle-là, ou celle-là, ouiménon, trop ceci, pas assez cela, yada-yada.

Dans le fond, je me demande si je n'ai pas juste envie que ça soit simplement comme avant.

...

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~ hier matin, en cherchant je ne sais plus quoi dans mes papiers, je suis retombé sur le bon de commande de ma première moto, ma DR 125 ; ce genre de déterrage me fout à chaque fois un gros coup de nostalgie ~

* pas Lui, un autre.