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Milan : la détresse de l'exposant chinois

Quelques grandes marques... et des anonymes bien esseulés

Le raz de marée business annoncé n'est toujours pas au rendez-vous

Milan : la détresse de l'exposant chinoisCela fait un plus d'une bonne douzaine d'années que je suis les grands salons internationaux et ce qui m'avait frappé à l'époque, c'était l'annonce selon laquelle la Chine allait tout envahir, dans une dynamique à la fois plus rapide et massive que les Japonais en leur temps. On allait se faire bouffer par les Chinois, ce n'était qu'une question de temps.

Or, douze ans après, on n'en est toujours pas là. On ne peut pas nier que la présence chinoise est, si ce n'est massive, du moins assez importante et son rôle en tant que fournisseur de l'industrie motocycliste reste loin d'être négligeable.

Mais globalement, qu'est-ce que l'on trouve sur ce salon ?

  • Premièrement, pour les créations originales : quelques grands groupes axés sur la moyenne cylindrée (de 250 à 650 cm3) et très présents sur le quad et l'ATV. Coté moto, par contre, on ne compte plus les années successives où l'ont voit les mêmes machines dont la commercialisation, supposément toujours imminente, est sans cesse reportée. CF Moto, par exemple, n'a pas de machines qui soient encore "Euro 4".
  • Deuxièmement, côté "la guerre des clones", plusieurs importateurs présentent les mêmes machines sortant de la même usine et ne se différenciant que par leur nom et quelques (micro) détails de finition ; ce qui n'empêche pas certains de faire cela avec un certain succès, à l'image de Mash, qui a vendu 7000 motos l'an dernier. Les joies et audaces du marketing n'ayant pas de limites, on assiste même à des renaissances telles la marque A.J.S, qui méritait peut-être mieux (y'en a qui doivent se retourner dans leur tombe) que cette énième 125 bas de gamme :

Moto

  • Troisièmement, on y trouve surtout une multitude de petites entreprises anonymes. Problème : comment exister sur un Salon quand on est inconnu, que l'on fabrique des roulements ou des rondelles de fixations de flexible de frein et que la seule problématique que l'on puisse défendre face à un client est probablement celle du prix ?

Tiens, intéressons-nous au cas de ces acteurs du monde de la moto...

Cherche ami, désespérément...

Posons les bases du problème. Vous travaillez dans une gigantesque usine d'une gigantesque zone industrielle gigantesquement polluée d'une gigantesque ville située au loin dans une gigantesque province. Vous faites des trucs d'une importance secondaire (des roulements, des câbles, des plaquettes), bref, du savoir-faire basique mais les effets de levier et la demande importante du marché intérieur vous permettent d'en faire des quantités gigantesques à des prix gigantesquement bas, car ce savoir-faire n'est pas très évolué. Comme relais de croissance, votre division marketing vous envoie conquérir l'Europe. Coup de bol : vous parlez 12 mots d'anglais (en fait vous avez dit 20 à votre hiérarchie et ils vous ont cru). Du coup, à vous l'Europe ! On vous alloue de quoi louer une table et deux chaises, on a confectionné des affiches et vous avez même le droit à un budget réception. Oh, attention, on n'est pas chez Flunch non plus, faudra faire avec deux oranges et un paquet de chips et zieuter avec envie les mecs d'en face qui ont une cafetière et une grosse boîte d'Haribo.

Pour exister sur un salon où la concurrence est rude, il faut avoir un vrai moral de winner et aborder la chose avec une détermination sans faille. La pédagogie et la pensée positive sont de vraies armes face, il faut le reconnaître, à un manque temporaire de notoriété. Le client, vous allez le magnétiser et les bons de commande vont fumer. Vous êtes un gagnant, le Jean-Claude Convenant de la province du Guangdong.

Hélas. Le salon EICMA a beau recevoir beaucoup de visiteurs (plus de 600.000 lors de la dernière édition), ils viennent pour les motos (plus de 50 grandes nouveautés cette année) et aussi pour les hôtesses. Et un peu moins pour vous. Oui, hélas.

Du coup, les journées sont longues. Et vous vous retrouvez, assis, à attendre, avec le regard aussi vif que celui d'une dame-pipi après une dure journée de travail dans les sous-sols de la Gare du Nord. Et pour tuer le temps, vous êtes frénétiquement attaché à l'écran de votre téléphone portable. La qualité de vos documentations ne permettant ni de bien comprendre ce que vous vendez ni les points de différentiation avec les quelques milliers d'autres fabricants de roulements à bille ou de rondelles de fixations de durit de frein arrière, tout ceci concourt à ce que le client potentiel aie plutôt envie de fuir. Oui, c'est un cercle vicieux. Du coup, comme bien d'autres, vous vous sentez un peu perdu dans la solitude de l'exposant chinois à l'EICMA.

Pour vous rassurer, dites-vous que c'est un peu aussi le cas de votre collègue de Ningbo Jaylin qui vend pourtant de belles poignées de guidon, ainsi que des disques et plaquettes de frein :

Milan : la détresse de l'exposant chinois sur le stand Ningbo Jalyn

Mais c'est aussi le cas de votre collègue de chez WLJF qui lui, vous aide à trouver des sous-traitants en Chine :

Milan : la détresse de l'exposant chinois sur le stand WLJF

Même scénario chez Yamakumo (et non, Yamaha ne s'est pas mis a faire des pneus ni des tambours de frein avec Khumo) :

Milan : la détresse de l'exposant chinois de Yamakumo

Quant à celui de chez Wenzhou, c'est pas la fête. Chez CXCL roulements, au moins ils sont plusieurs et peuvent se taper une belote. Ou pas. Le portable, c'est quand même vachement mieux :

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez CXCL et Wenzhou

Chez Zhejiang, il n'a pas eu droit au budget "réception"... Du coup, il lit le Repaire des Motards sur son portable.

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez Zhejiang

Alors que chez les casques Yueqing, vu l'affluence, le bol de mandarines confine à l'opulence :

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez YueQing

Ouf ! Personne pour le moment. Votre collègue de chez Anhui Tayucycle peut s'imprégner de son catalogue de bancs pour vélos :

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez Anhui

Chez Union Shanghai, spécialiste dans la biellette, le temps passe. Lentement. Un petit Candy Crush ?

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez Union Shanghai

Quant à votre collègue de chez Jiaxing, il est déjà parti visiter le Duomo de Milan...

Milan : la détresse de l'exposant chinois chez JiaXing

Par contre, chez Honz Helmet, c'est l'affluence. Ça sent bon les rentrées de RMB ! Elle est là, la clé du succès : faire des casques jaune fluo !

Milan : gros succès chez Honz à l'EICMA

Des progrès côté design

Ceci dit, les Chinois progressent. Contrairement à l'automobile où les copies de Smart, de Range Rover Evoque ou de BMW X5 fleurissent sans vergogne, la Chine commence à prendre du recul avec les clones d'ER-6, de Pan European voire de BMW R 1200 RT que l'on a vu il y a quelques années. Ils font d'indéniables efforts en termes de présentation, de finition, de maîtrise des coloris. Et au risque de ne pas se faire que des amis, la CF Moto CK 650 ci-dessous, elle serait sur un autre stand avec un insigne "Z" ou "CBF" et ça passerait (quasiment) comme une lettre à la Poste.

Milan : la CF Moto CK 650

Chez FK Motors, même scénario, avec des roadsters, un trail routier et un trois-roues très "jeune" ! On aime ou pas mais au moins on n'est plus dans le plagiat.

Milan : ca designe dur chez FK Motors

La notoriété par la compétition

Et tout comme les Japonais au-début des années 60, les Chinois commencent doucement à se construire une notoriété par la compétition. C'est ainsi qu'au dernier TT de l'Île de Man, une CF Moto 650 a terminé 4ème dans la catégorie Lightweight. De quoi donner à cette entreprise l'envie de retenter l'expérience.

EICMA de Milan : la CF Moto du TT

Quant à Zongshen, autre poids lourd de la moto chinoise, ils ont annoncé à Milan leur participation au prochain Dakar sur une 450 de leur conception. Grosse annonce, mais le proto n'était pas présente sur le stand. La communication, c'est un métier.

Milan : stand Zongshen à l'EICMA

En attendant, pas à pas, via des constructeurs/importateurs qui préparent et développent de façon indépendante les marchés nationaux en Europe, la moto chinoise commence à arriver pas à pas.

Plus d'infos sur le Salon de Milan

Commentaires

tom4

c'est marrant, c'est exactement ce que j'avais ressenti sur un autre salon, celui du jouet à Nuremberg.
Les grosses boites qui te regardent à peine, voire pour certaines qui filtrent (!!) à l'entrée des stands (photographe? vous avez un rendez vous? non, alors vous pouvez pas entrer), et le hall "chinois" où les fabriquants sont prêt à tout ou presque pour que tu prennes en photos leurs produits.
je me souviens même d'un stand qui avait un truc rigolo que j'ai pris en photo, et le gars du stand m'a pris en photo en train de prendre son jouet en photo !!

tom4, surement pour montrer à son boss que les 20 mots d'anglais étaient utiles :)

10-11-2016 20:39 
G2loq

Bravo Guillaume
Un reportage différent, bien construit et documenté; Très plaisant à lire grâce au style léger.
PS: L'affluence chez Honz, ce ne serait pas la visite ponctuelle d'un VIP ? M. Platini et sa cour ?

11-11-2016 09:28 
Serge

Chapeau pour ton article Guillaume.
Ton débridé, style enlevé, humour du matin calme...
Il n'y a pas à dire tu as parfaitement su t'y retrouver au sein de l'Empire du Milieu et de la moto copiée.

11-11-2016 17:24 
Ptit Loup1300

Marrant d'avoir pensé à ce sujet. AMHA, la Chine manque cruellement d'un capital confiance auprès de nous (je ne dis pas qu'ils le mériteraient !). Ils restent dans notre imagination (et dans les faits...) les rois de ma mauvaise copie, de la qualité médiocre et/ou aléatoire, et de la technologie vieillotte et/ou obsolète.

Quant au SAV, on peut encore se poser des questions.

16-11-2016 17:13 
 

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