Roman : René (épisode 4)
Episode 4 : Faut persévérer, René…
150 : voilà le nombre de kilomètres inscrits au compteur de la nouvelle moto de René... C'est peu, effectivement, mais suffisant pour se faire une première idée du truc...
Nous avions laissé notre Respectable (c'est un terme généralement employé par la new génération, car ils sont polis et bien élevés...) dans le confort douillet de son fauteuil près du feu, charentaises aux pieds : il s'y trouve encore et s'interroge.
Il est vrai que not'René n'est plus de première jeunesse : la soixantaine lui va bien mais les premiers stigmates du basculement dans l'autre monde commencent à frapper à la porte...
Pourtant, au fond de lui, il est resté tel qu'il était
du temps où il chevauchait de fringantes anglaises qu'on mettait
en route en kickant du pied gauche (si, si, les jeunes, c'est vrai...).
Ces vénérables machines ne freinaient pas, ou si peu qu'il
fallait toujours faire gaffe avant d'aborder une courbe, laquelle faisait
se tordre la machine dont le cadre ne serait même plus digne d'un
cyclo actuellement, et glisser joyeusement grâce à l'adhérence
des pneus d'alors.
Fallait être un sacré équilibriste pour garder les
2 roues sur le bitume. De même que de bonnes connaissances étaient
nécessaires pour ne pas rester en rade sur le bord d'une route
en attente d'un hypothétique dépannage.
Seulement voilà, les performances étaient limitées,
ce qui demandait simplement au pilote un don d'improvisation...
Avec les années, le progrès aidant, elles sont devenues
de plus en plus performantes, plus faciles aussi. Mais, car il y a un
mais, avec le niveau de performance grandissant, paradoxalement la facilité
est allée de pair avec une exigence accrue des capacités
du pilote : faut reconnaître que maîtriser 150 bourrins piaffants,
même avec une partie cycle tip top, est autrement plus exigeant
qu'en maîtriser 50 avec un châssis qui avoue ses limites rapidement.
C'est sûr que tant qu'on taquine gentiment la poignée droite,
la bête se plie de bonne grâce, mais après, c'est une
autre histoire : faut être lucide et admettre ce qui est réellement...
Lucide, au fond de lui René l'est vraiment mais refuse de l'admettre.
Soyons honnête : à son âge, disons... mûr, René
devrait avoir une femme, des enfants et petits enfants autour de lui mais,
point de tout ça, c'est un célibataire endurci pour qui
le mariage est le commencement de la fin, une institution qu'il a toujours
fui comme la peste.
De même, dans sa condition on roule en GT ou gros custom (j'ai rien
contre, une moto pour moi étant une moto, du moment qu'elle possède
2 roues, un moteur et un guidon), René non : au prix d'une illusoire
cure de jouvence, il préfère souffrir plutôt que d'abdiquer
car telle est sa définition du motard et de la vie en général.
Il reconnaît quand même que sa dernière acquisition, si elle le remet aux standards actuels, est une machine demandant des capacités qu'il a toujours refusé de faire évoluer pour bien affirmer ses convictions qui, comme lui, commencent à sentir la naphtaline...
Il repense aux 150 bornes parcourus au guidon de sa new machine et un truc le turlupine : comment fait on pour déhancher ?, car il a bien pigé, et admis, que ces motos actuelles ne virent pas au guidon mais avec la partie basse du corps et c'est sans doute pour ça qu'il a eu tant mal aux poignets pour ses premiers tours de roues !
Fort de cette certitude, et comme il n'a plus le choix désormais, il sait qu'il va devoir s'adapter. Et comme c'est un optimiste qui ne doute pas de ses capacités, l'obstacle sera vite surmonté et l'autre là, l' p'tit jeune qu'a encore des couches culottes, y rira moins quand René le Grand redeviendra celui qui faisait trembler ses congénères 30 ans plus tôt (l'avantage avec les années, c'est qu'on se construit son propre passé au fur et à mesure que la mémoire des autres s'estompe...).
René, remis de sa courte sortie, se lève péniblement du fauteuil qui fait tout pour le retenir, et descend au sous sol admirer sa moto, le bouquin d'utilisation en main.
Bon sang, c'qu'elle est belle !, s'extasie celui qui, une bonne semaine auparavant, dénigrait ces « espèces de trucs tout en plastique » : ne dit on pas que seuls les imbéciles ne changent pas d'avis ?...
Voyons, voyons, par où commencer ? : Ha oui, le tableau de bord...
Il ouvre le manuel au chapitre « réglage de l'heure et remise
à zéro des totaliseurs journaliers »
Pour ce dernier, c'est facile pense t'il, en se rappelant le gars à
la station service : il est noté qu'il faut appuyer pendant 2 secondes
sur le bouton A, presser le bouton C pendant 4 secondes et régler
avec le bouton B. C'est enfantin dis moi donc, se dit il en s'exécutant
(car il a remarqué que la montre retarde de 30 secondes...). Il
s'exécute et... ça ne marche pas !!!
Pas possible !, se dit René, j'ai pourtant fait c'qui est écrit
là d'dans !!!
Il reste ainsi, perplexe, cherchant à comprendre, pendant de longues
minutes puis, eurêka !, l'explication : il fallait aussi mettre
le contact...
Il en fut ainsi du reste du tour du proprio mais, par respect pour ce bon René qui pourrait être mon père, je tairai les phases successives de la découverte de sa moto…
Une heure après, il remonta à l'étage, satisfait de lui et un peu rassuré de constater que le principal était préservé, c'est à dire que sa nouvelle monture possédait toujours 2 roues et un moteur, et quel moteur !, un 6 cylindres à injection, et en V s'il vous plait !.., lequel crachait, au bas mot, près de 200 canassons en version libre.
Heuuu, pour le débridage, on verra après le rodage et...
l'adaptation : pas fou quand même le René !
Pour le reste, finalement, c'est pas si compliqué que ça
à utiliser. Tiens, v'la qui s'met à régler sa montre
à quartz sans la notice maintenant...
Décidément, cette moto semble faire un curieux effet sur René et, à ce train là, p'têt qu'il va nous surprendre demain, sur la route...
Car René a décidé d'une longue balade en bord de mer en empruntant de la viroleuse qui va bien, histoire de roder la bête et, accessoirement, de s'essayer à la technique du déhanché : on va voir c'qu'on va voir !..
La suite au prochain épisode...
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