Roman : René (épisode 35)
Episode 35 : Le comte SATOVITCH, roi de l'éprouvette…
Inutile de te préciser que le réveil fut… plutôt douloureux, et le départ assez tardif le lendemain matin. Néanmoins, Raoul et les siens furent présents pour leur souhaiter une bonne route, et nos trois lascars – pas très frais - reprirent la route vers le sud à une allure très modérée…
En début d'après midi, ils venaient de dépasser le massif central mais le point de destination final se trouvait encore à bonne distance et il était hors de question de continuer à ce rythme académique s'ils voulaient arriver avant la nuit à l'hôtel. Maintenant quelque peu dégrisés, les frangins et le minot entreprirent de dérouiller les bielles de leur brèle respective sur instruction d'un René dont le style n'avait pas sa superbe habituelle, mais qui imprima une vitesse de croisière plus en rapport avec ce que l'on attend d'une moto.
Mais, comme tu vas le constater plus loin, la route n'a décidément rien d'un long fleuve tranquille…
Quelques bornes au compteur plus loin, les premiers contreforts de la chaîne alpine commencèrent à se dessiner, mais il était temps de s'arrêter pour ravitailler à cette station se présentant à l'entrée du village ou ils venaient de pénétrer. Ils s'arrêtèrent, firent les pleins et se garèrent quelques minutes à proximité pour se dégourdir les articulations. Soudain, un bruit de deux temps se fit entendre, suffisamment rare pour qu'aussitôt ils dressent l'oreille…
Une sportive fit son apparition et s'arrêta à la pompe, une machine proche d'une R1, avec quelque chose de la Bimocati, propulsée sans aucun doute par un moteur sans soupapes et chevauchée par un grand gaillard faisant ressembler son étrange monture à un pocket-bike.
Le motard en question, sitôt descendu de sa machine, enleva son casque, toussa fortement puis, méprisant le panonceau d'interdiction de fumer, sortit une clope du paquet qu'il venait de sortir avidement de son blouson, et l'alluma : Nico Cescovitch !!!
Les Respectables et le môme se pincent, ils viennent de traverser une bonne partie de la France pour tomber sur ce brave Nico, lui aussi très loin de son domicile…
« Nico ? s'étonna René, qu'est-ce que tu fabriques par ici ??? »
La montagne fumante se retourne alors, aussi surprise :
« Hein ???, René, Maurice et Ziva ?????? Pas possible, je rêve… »
L'Ancien reprend :
« Nous, on a décidé de se mettre au vert quelques jours dans un p'tit coin provençal et on tire plein sud, mais toi… ? »
« J'vous avais pas parler d'mon cousin il me semble
? Vous vous doutez bien que mon nom a une origine en provenance des pays
de l'Est, plus précisément de Russie. Il se trouve
que ma famille fait partie d'une noblesse déchue, émigrée
en France, mais ayant su garder et faire fructifier une partie non négligeable
de l'immense fortune qui était la nôtre à l'époque,
à l'exemple de mon père dans l'industrie du
tabac. Son frère, Igor, avait épousé une comtesse
assez excentrique avant de s'établir dans l'hexagone
et de former un véritable empire dans le domaine des lubrifiants.
Il a eu un fils, lequel porta le nom de sa mère selon une vieille
tradition russe. Il hérita en plus du côté un peu
désaxé de cette dernière.
C'est chez lui que j'habite pour quelques jours, et, si vous
le voulez, je vous invite à visiter le château de mon cousin,
le Comte Vladimir Satovitch, un passionné de mécanique,
chimiste accompli et artiste peintre à ses moments perdus. Le trip
vous branche ? »
René est un peu embêté, l'intermède de la veille a déjà fait perdre une journée, et aujourd'hui ils ne sont pas en avance non plus. Les trois se concertent puis, devant l'insistance de Nico, finissent par accepter.
Bientôt, à la queue leu-leu derrière le révolutionnaire deux-temps qui ne fume pas – à la différence de son concepteur -, le trio se trouve rapidement sur une petite route sinueuse en montée menant à une espèce de château fort dont l'entrée porte l'inscription suivante : Gatouléum Compagnie – château Dugaz.
Ils pénètrent dans l'enceinte de l'imposante construction et Nico leur fait signe de s'arrêter sur un petit parking goudronné et matérialisé au sol, à proximité d'un bâtiment ultra moderne contrastant furieusement avec l'ancestrale demeure, c'est surprenant, pour ne pas dire incongru en un tel lieu !
Une autre moto se trouve garé sur ledit parking. Enfin, une certaine définition de la moto sortie de l'esprit d'un designer un lendemain de fête. C'est gros, difforme même, avec ce réservoir large comme le string d'un sumo dont elle a l'allure, c'est marqué X11 dessus, et ça a été produit par le premier constructeur mondial, lequel nous pourtant habitué à des réalisations bien plus esthétiques… Et je ne te parlerai même pas des écopes de l'imposant radiateur. Vu de face, comme attrape moustiques, on a rarement fait mieux. Néanmoins, il faut reconnaître que, comme toutes les Honda, cette machine était évidente à la conduite, efficace et pas dénuée d'un certain caractère. Seulement les qualités dynamiques ne font pas tout et les jaunes se sont bien plantés sur ce coup-là…
« Ma moto précédente, explique Nico, elle sert maintenant de laboratoire roulant permettant de valider les expériences de mon cousin, lequel, à la tête de sa boîte de recherche pour l'industrie chimique, vient de mettre au point un carburant miracle risquant de mettre à mal le monde pétrolier. Quand on parle du loup, le voilà justement ! »
Un gars d'une bonne quarantaine, en blouse blanche, vient en effet de sortir du bâtiment et s'avance à leur rencontre. Nico s'allume une clope puis fait les présentations :
« Messieurs, voici le comte Vladimir Satovitch, mon cousin et maître des lieux. Comme nous tous, en plus de ses activités, c'est un passionné de moto et je pense que vous allez vous apprécier mutuellement. Vladimir, je te présente le fameux René Gédeufoitrentans, dont je t'ai si souvent causé, son frère Maurice, et le jeune Ziva. »
Tu t'attends à voir le comte s'incliner et parler avec l'accent Russe ? Raté !
« Bienvenue dans ma demeure mes amis, et enchanté de faire votre connaissance, dit Satovitch avec un large sourire, vous tombez bien : je viens d'apporter une nouvelle modification à ma formule de carburant, et je pense qu'il va me falloir quelqu'un sachant tourner suffisamment la poignée pour juger de son effet sur la X11, car les chevaux vont débarquer en pagaille… »
Vladimir leur explique alors que ses recherches, à la demande de l'industrie pharmaceutique, l'ont poussé à plancher sur le retardement du vieillissement. Il a cogité longuement le problème avec l'aide de son équipe de chercheurs, puis un jour Satovitch s'est souvenu que dans son pays d'origine, la gatouillerie arrive beaucoup plus tard que par chez nous. Il a cogité sur le pourquoi de ce phénomène et en a déduit que la différence notable entre les russes et nous est cette consommation qu'ils font en verveine et camomille. Poussant ses recherches dans ce sens, il s'est alors aperçu qu'avec un mélange des deux plantes, non seulement le cobaye vieillissait moins vite, mais gagnait en tonus…
Vladimir est un passionné de mécanique mais aussi un original. Pour lui, un moteur réagit exactement comme un être humain. Il a alors mélangé sa substance à un carburant du commerce, et l'a testé sur une mécanique. Instantanément, cette dernière a vu sa puissance augmenter proportionnellement à une baisse d'usure des pièces en mouvement !!!
Pourquoi s'arrêter là ? Satovitch ne pouvant fabriquer du pétrole, il s'est alors concentré à produire un carburant à base de colza, cultivé sur ses terres. Le résultat final est, de son propre aveu, supérieur à toutes ses espérances : non seulement le moulbif qui carbure à sa mixture gagne en puissance, mais il s'use moins vite et pollue presque pas !!!
Là, il vient de peaufiner encore sa formule et quelqu'un comme René est la personne toute indiquée pour tester « en live » la résultante de tout ça.
Pépère, s'il ne crache pas sur un coup de moto, trouve que ses vacances sont décidément moins tranquilles qu'il le voulait et fait un peu la moue à l'idée de faire encore une fois du testing. Mais, d'un autre côté, il est curieux de vérifier ce truc par lui-même…
Satovitch lui demande alors d'effectuer un premier essai avec un carburant classique. Pépère s'exécute et revient quelques minutes plus tard l'air pas très convaincu :
« C'est moche ce truc, commence t'il, mais quand t'es d'sus tu l'vois pas. Elle est grosse cette bécane, et même si elle est équilibrée, c't'une enclume à emmener quand on visse un poil. Le moulin ? Mouais…, mais c'est loin d'valoir ma Kawasuki ! »
Pas convaincu l'Ancien…
Vladimir vide le réservoir et remplace le carburant par sa mixture. À la mise en route, le bruit est tout de suite plus grave et le moteur semble avoir moins d'inertie au coup de gaz. René grimpe de nouveau en selle et repart pour un nouvel essai. Là, il semble prendre son temps et revient une bonne demi-heure plus tard. Cette fois, en descendant de l'imposante machine, il semble quelque peu impressionné :
« Vache !, c'est vrai qu'ça marche ce truc…
On la r'connaît plus tellement elle pousse partout. Y'a
des ch'vaux en bas, au milieu, en haut…, et si t'insistes,
elle cabre même sur le troisième rapport. T'imagines
? cabrer un éléphant comme ça ???
C'est pas ma V6, bien sûr, mais ça marche drôlement
bien ! »
Satovitch semble ravi du résultat et insiste pour les inviter à prendre un coup à l'intérieur, ce que refuse René car ils sont attendus en Provence. Néanmoins, il promet une halte au retour à la demande des deux cousins.
Maurice, quand à lui, a insisté auprès du chercheur pour que ce dernier lui verse l'équivalent d'un litre de ce carburant dans une bouteille qu'il range très vite dans son top case.
« Qu'est-ce que tu vas faire de ça ? », lui demande alors son frangin.
« T'inquiète, répond Maurice avec un petit sourire, j'ai ma p'tite idée… »
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