Essai Triumph Bonneville Speedmaster
Bicylindre en ligne, 1200 cm3, 77 ch à 6100 tr/mn, 106 Nm à 4000 tr/mn, 245,5 kilos à sec, à partir de 14 350 €
Une proposition plus moderne sur le segment des cruiser 1200...
Est-ce que l'on n'est pas là face à un petit problème de vocabulaire ? En d'autres termes, est-ce que les Anglais maîtrisent la langue de Shakespeare ? Car appeler "maître" (ou maîtresse, c'est selon) "de la vitesse" une machine qui fait 77 chevaux pour plus de 245 kilos et dont la vitesse de pointe (pas limitée électroniquement, donc parfaitement naturelle) est d'environ 180 km/h, c'est un rien prétentieux, au mieux. Mais ce que pensent les ignares, les historiens le mettent en perspective : on se souvient que dans la riche, complexe et prolifique histoire de Triumph, la 500 Speed Twin fut un modèle phare de la lignée des machines de Meriden. On précisera d'ailleurs que, dans les années 60, le nom "Speedmaster" avait été utilisé par l'importateur américain pour qualifier la Bonneville T120 R, mais n'avais jamais été utilisé officiellement par l'usine. Plus tard, à la renaissance de la Bonneville "Hinckley" et au vu du poids que cette machine représentait par le passé sur le marché américain, Triumph a décliné sur base du twin 900 des versions America, dédiée au cruising, puis Speedmaster, un peu plus typée et orientée vers la performance.
Eh bien c'est très simple : sur la base du moteur des Bonneville de dernière génération et du châssis de la Bonneville Black Bobber, Triumph s'est livré à un savant assemblage qui est dédié au fan de machine cool et de cuisine stylé, sans toutefois renier la performance ni la technologie. Une quadrature du cercle qui réunit les anciens et les modernes et qui de fait justifie parfaitement le patronyme : la Bonneville Speedmaster.
Découverte
On ne peut que louer l'effort et les progrès réalisés par Triumph sur ses dernières générations de motos : la qualité de construction et de finition, le sens du détail, le travail sur les matières (le mix d'aluminium poli et brossé), le "fit and finish" des logos, passepoil et liserés, tout ceci nous donne sans aucun doute une machine très qualitative, qui présente fort bien, même mise en perspective de deux de ses concurrentes évidentes, la Harley-Davidson Sportster 1200 Custom et l'Indian Scout.
De fait et encore plus dans cette livrée deux-tons (qui demande un supplément de 300 euros par rapport au tarif de base, qui concerne la machine en noir uni, quand un troisième coloris, rouge uni, demande un supplément de 125 euros), on a une machine qui dégage un classicisme de bon aloi. Pas de faute de goût, la modernité (feux à LEDs, double frein à disque) s'allie bien avec le traditionalisme (faux hard-tail, selle avec passepoil, abondance de chromes, roues à rayons).
Quand on rentre dans les détails, on découvre aussi une moto très technologique : tout comme la Bonneville Black Bobber, la Speedmaster présente ainsi un régulateur de vitesse, deux cartographies moteur, un contrôle de traction, un tableau de bord moderne avec ordinateur de bord complet dans la fenêtre digitale (et défilement des fonctions très facile, grâce au bouton "info" sur le commodo gauche). La clé de contact est sur le flanc droit, pour laisser un tableau de bord plus épuré.
Comme sur toutes ces générations de machines, la possibilité de personnalisation joue un grand rôle dans leur potentiel de séduction, en donnant à l'acheteur la liberté de se faire une machine sur mesure qui reflète sa personnalité. De fait, Triumph annonce ainsi une gamme de 130 accessoires disponibles (bagagerie, selle, guidons, échappements Vance & Hines et bien d'autres choses encore), mais propose aussi deux autres versions déjà accessoirisées. ll en va ainsi de la "Maverick", avec un look plus dépouillé et agressif et qui comprend entre autres un guidon plat, une selle monoplace en cuir marron matelassé de toute beauté et des échappements Vance & Hines noir (pour 1999 € de supplément), ainsi qu'un kit "Highway", avec des sacoches, un pare-brise, une paire de selles confort avec dosseret, des crash-bar pour un supplément de 2199 €.
En selle
Basse, la selle : 705 mm. Mais parfois, cet argument est fallacieux : sous le prétexte d'une faible hauteur de selle, des individus verticalement challengés se prennent d'intérêt pour une machine, tout heureux de poser les pieds par terre, puis se rendent compte qu'il faut des bras de gibbon et des jambes de basketteur de la NBA pour toucher les commandes. Pas de cela ici : certes, la selle est basse, le nouveau guidon est un poil courbé et les repose-pieds sont plus en avant que sur une Bonneville Bobber (fort curieusement - humour anglais, probablement -, le dossier de presse de Triumph n'indique pas de combien, mais on va estimer ça à la grosse louche à une bonne douzaine / quinzaine de centimètres). On a vérifié : que ce soit dans le cas de grands gabarits comme votre serviteur ou de frêles et gracieuses jeunes filles faisant à peine 1,70 m, tout le monde y trouve son compte. "C'est bon, l'équilibre", disait jadis une marque d'eaux minérales.
Une fois à bord, la vie est simple : on a le tableau de bord devant soi, d'apparence simple mais fort complet et lisible. On sélectionne sa cartographie moteur avec le bouton adhoc sur le commodo droit, tandis qu'à gauche, le bouton "info" permet, au besoin, de dé-selectionnner le contrôle de traction (mais franchement, pourquoi ?).
Ensuite, le gros twin prend vie dans un grondement sourd dénué d'agressivité, avec des montées en régimes assez vives, quand on fouette la (grosse et bien épaisse) poignée de gaz.
Moteur et transmission
Attention : pour les précédents propriétaires de Triumph Speedmaster (à partir de 2002 en version 790 puis 2005 en 865 cm3 à carburateurs puis 2008 en 865 injecté) et qui voudraient passer le cap de cette nouvelle génération, voici une super nouvelle ! En effet, la puissance a fait un bond de 25 % et le couple carrément de 42 % ! Nul doute qu'ils sentiront la différence. Et pour les autres, c'est très simple : dans cette déclinaison, la Bonneville Speedmaster reprend tout simplement la version du 1200 HT (pour "high torque") que l'on retrouve sur la Bonneville Bobber. Au programme, donc, 77 chevaux à 6100 tr/mn et 106 Nm à 4000 tr/mn. On a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur ce moteur et avons loué sa souplesse, sa bonne volonté aux régimes usuels (2000 / 4000 tr/mn) et qu'il n'est guère besoin d'aller l'emmener plus haut dans les tours, où il dévoile une certaine inertie. Peu importe, car ses qualités font qu'il colle parfaitement et mieux encore ici, à la philosophie de la machine.
Côté transmission, on a une chaîne secondaire et une boîte 6, comme sur le Bobber, donc. La différence, c'est que les repose-pieds avancés imposent une plus longue biellette de renvoi de sélecteur. Cela n'a absolument aucun impact sur la rapidité et la précision des changements de rapports, impeccables.
En ville
Arrêt à un stop. Devant moi, une grande blonde à l'air innocent (Bo Derek en jeune), un bonnet sur la tête (c'est l'hiver) mais en short et pieds nus (c'est la Californie) traverse la route, ses cheveux cendrés tranchant avec sa peau cuivrée. Deux secondes plus tard, un quinquagénaire en Mini Cooper s'arrête à nos côtés et nous déclare qu'il est content de voir autant de Triumph dans sa ville ! En même temps, c'est la Californie et les villes sont taillées différemment : de fait, la Bonneville Speedmaster séduit par sa souplesse, son bon rayon de braquage, sa bonne stabilité à basse vitesse et dans ses conditions, son poids élevé dans l'absolu ne se sent vraiment pas et l'on navigue entre les Ford F150, les Camaro et les Lexus de Carlsbad (cité balnéaire chicos au nord de San Diego) avec une belle facilité !
Ce qu'il faudra vérifier dans le cadre d'un aménagement urbain plus dense et géré de manière punitive par la doctrine du satanisme hidalguisant, c'est qu'éventuellement le guidon est assez large et qu'en plus, les petits rétroviseurs ronds sont situés au bout de fines et longues tiges (du coup, on ne voit pas ses coudes mais ce qu'il y a derrière). Par contre, ils sont peut-être un peu larges pour faire de l'interfile en zone de combat. Mais ce n'est pas forcément la vocation de cette machine, après tout.
Sur autoroute et grandes routes
Dans ce cas de figure, on vous recommande rapidement d'opter pour le pack Highway. Car la position de conduite de la Speedmaster, avec son guidon large qui crée une certaine prise au vent, ses repose-pieds en avant qui ne vous donnent pas la facilité de vous courber facilement, tout ceci concourt à ce que les hautes vitesses ne soient pas son exercice favori.
De fait et si ce chiffre dépend évidemment des corpulences, des musculatures et de la subjectivité personnelle à endurer ce type d'exercice, j'ai plutôt trouvé que 110 km/h était une vitesse de croisière correcte sur les grands axes. Au-dessus, la prise au vent commence à se faire sentir. Par contre, la moto n'a évidemment aucun problème de stabilité et le moteur, qui a une belle allonge, ne rechigne pas non plus. A 130 km/h, on est à environ 3300 tr/mn en sixième et l'on pourrait mettre le régulateur de vitesses pour aller au bout du monde (c'est une expression, à un moment faut refaire le plein et puis se reposer, aussi) ; régulateur qui, soit dit en passant, fonctionne à partir du troisième rapport et dans une amplitude de vitesses allant de 50 à 160 km/h.
Par contre, avec la nouvelle position des repose-pieds, j'ai trouvé qu'à partir de 3000 tr/mn sur le dernier rapport, on ressentait quelques menues vibrations, ce que je n'avais pas noté sur le Bobber.
Sur départementales
Ce qui compte avec ce type de machines, c'est la facilité de conduite, le caractère moteur, la capacité à procurer du plaisir, sans prises de tête : la Bonneville Speedmaster relève ces défis la tête haute. En effet, on ne sent pas son poids une fois en action, le gros vertical twin est bien rempli dès les bas régimes et que l'on se balade en bord de mer ou dans un montée de col en profitant du paysage, elle remplit sa mission, qui consiste à se laisser faire et délivrer du plaisir.
Evidemment, elle a des limites structurelles : elle les porte sur elle, par son look et sa géométrie. En même temps, achète t'on ce type de moto pour aller limer du vibreur. Si c'est le cas, appelez immédiatement un psy. Par contre, vous pourrez quand même limer du repose-pieds, mais les tétons sont longs et à gauche, la béquille arrive ensuite. Coup de bol (ou magie d'une conception bien pensée) : en prenant les repose-pieds pour indicateurs, il reste de la marge avant de poser le cadre ou les échappements. De fait, la Bonneville Speedmaster permet une conduite plus dynamique que celle de ses deux rivales désignées et de nationalité américaine. On loue aussi son naturel et l'équilibre de son châssis. Tout comme la qualité de son amortissement dans ces circonstances : la fourche ne talonne pas sur les bosses et si, avec ses 73 mm de débattement, il était peu probable que l'amortisseur arrière puisse faire des miracles, il travaille bien dans tous les cas de figure (compression et détente, donc), sans procurer de coups de raquette ou être caricatural dès le moment où il commence à faire ses gammes. Certaines de ses concurrentes ne peuvent en dire autant.
Partie-cycle
Là-dessus, pas de mystère : elle est strictement identique, à un détail près, à la Bonneville Black Bobber. Celle-ci se différenciant, comme vous le savez, de la Bonneville Bobber non Black (mais qui peut être noire !) par son train avant différent, composé d'une roue de 16 pouces (et pas 19), d'un pneu large (130 et pas 100 mm) et de deux freins à disques au lieu d'un seul. Seule différence : des réglages d'amortisseurs différents pour composer avec le poids d'un éventuel passager arrière.
Freins
Avec le dispositif hérité de la Bobber Black, donc avec les deux disques Brembo à l'avant, on peut dire que malgré le poids (pour rappel, 245,5 kilos à sec, tout de même), le dispositif fait bien le job. D'autant que l'on ne conduit pas forcement le couteau entre les dents avec ce type d'engin. La critique, s'il faut en exprimer une, vient plutôt de la qualité assez médiocre des pneus (des Avon Cobra - en même temps, les pneus de type de machines sont rarement extraordinaires, que ce soient les Michelin Scorcher des Harley ou les précédents Kenda de l'Indian), et, en corollaire, une capacité de l'ABS à se déclencher rapidement, même sur le sec. Encore une fois, pas de danger ici et la clientèle (pré-supposément passablement apaisée) de ce type de machine ne verra certainement jamais cet aspect des choses, mais en conduite dynamique, on arrive facilement à cerner les limites du système, sans toutefois se mettre en danger.
Confort et duo
Entre la position de conduite cool et la selle assez confortable, on se dit au début que la balade va être sympatoche, avant de ressentir une petite fermeté dans le fondement après quelques heures de route. Cela dit, vu la prise au vent, la vitesse moyenne et le type d'itinéraire choisi auront aussi une influence sur le confort.
Côté passager, on n'a pas réussi à choper la fille de Bo Derek (rappelez-vous, elle était pieds nus) pour lui proposer, en tout bien tout honneur, une petite balade histoire de faire connaissance. N'écoutant que notre sens du devoir, nous sommes donc montés derrière un estimé confrère à la calvitie naissante (c'est moins glamour, mais plus efficace), pour constater que le duo sera tout de même un rien spartiate, en raison de la faible surface de la selle passager et de la dureté de sa mousse. Bon point, cependant, pour la facilité d'accès de la poignée de maintien passager. Donc, si le duo est un argument pour privilégier la Speedmaster sur la Bobber, sachez que celui-ci n'aura rien du pullman. En même temps, on se console en rappelant que, dans le genre, on aurait encore moins envie d'être passager sur un Sportster ou une Scout.
Consommation & autonomie
Par rapport à la Bobber, le réservoir gagne en capacité en passant de 9 à 12,1 litres. De fait, Triumph annonce officiellement une consommation moyenne de 4,3 l/100 synonyme de rejets de 98 grammes de C02 par kilomètre. A l'issue d'un long parcours assez mixte (et parcouru à un rythme plus raisonnable que lors de l'essai de la Bonneville Black Bobber, même s'il a été possible de s'amuser sur quelques sections), je ressors une consommation de 5,01 l/100 (valeur de l'ordinateur de bord), à comparer avec les 5,2 l/100 de la Bobber Black. De fait, avec la contenance accrue du réservoir, cela permet une autonomie de 240 kilomètres, à comparer aux 175 de la Bobber Black.
J'avais mis "autonomie" dans les "points faibles" de la Bobber Black ; je le mettrai donc pas ici.
Conclusion
Si l'esthétique, séduisante au demeurant, est nouvelle, il est difficile de parler de "réelle" nouveauté, sur le plan technique, quand on connaît la généalogie récente des nouvelles Bonneville 1200. Aussi, on peut donc prendre cette machine sous deux angles.
Un : ce qu'elle est. Une extension de gamme, une Bonneville plus lookée et une Bobber plus polyvalente (duo, autonomie). De fait, le fan de Bonneville, de Triumph, de toute l'Histoire et les images que cela représente, peut être encore plus exigeant et trouver dans cette Speedmaster l'engin fait pour lui, qu'il n'arrivait pas jusque là à trouver dans la gamme. On imagine que le marché américain représentera le gros des ventes, mais elle peut aussi changer la donne en Europe.
Car et c'est le deuxième point, elle arrive sur un tout petit segment (les cruisers 1200), mais elle se révèle plus polyvalente que l'Indian et nettement plus moderne, à tous points de vue, que la Harley. Et de plus, avec la nouvelle législation qui contraint encore plus la pratique de la moto, ce type de machine style et apaisée va carrément dans le sens de l'Histoire.
Points forts
- Qualité de construction et de finition
- Ligne soignée
- Selle basse et ergonomie pour tous
- Moteur souple et agréable
- Sonorité moteur agréable
- Tableau de bord complet et lisible
- Facilité de conduite
- Dotation technologique de pointe
- Châssis sain
- Freinage correct
- Possibilités de personnalisation
Points faibles
- ABS sensible
- Confort un poil ferme, encore plus en duo
- Garde au sol, forcément
- Pneus pas extraordinaires...
- Tarif assez premium
La fiche technique de la Triumph Bonneville Speedmaster
Conditions d’essais
- Itinéraire : 240 kilomètres dans la région de San Diego (Californie, USA), avec une majorité de routes de montagne dans un mix complet (petites routes le long de la côte, un peu de ville et d'autoroute).
- Kilométrage de la moto : 1500 km
- Problème rencontré : rouler par 20°C en janvier en Californie, c'est quand même le kif. Le retour sur le périph' va être dur...
La concurrence : Harley-Davidson 1200 Sportster, Indian Scout...
Commentaires
Intéressant mais pas convaincu de l’intérêt par rapport à un T120, qui a + d’autonomie, + de confort, - de poids et globalement semble + polyvalent.
21-01-2018 09:38Merci pour l’essai cela dit !
Merci de votre commentaire, mais on est là en plein dans le débat entre l'efficacité et le style... La Speedmaster fait, éventuellement, plein de choses un tout petit peu moins bien que la Bonneville T12°, mais elle séduira plus les fans de motos de caractère et de cruising. Et, de fait, la gamme Bonneville se diversifie et il y en a désormais pour tous les goûts et tous les styles de conduite.
22-01-2018 00:17Merci de nous suivre en tous cas,
Philippe
Essai intéressant, merci, mais si la gamme Bonneville s'est élargie, elle est surtout très "américaine". La T120 étant la plus polyvalente et confortable -duo compris-, ne manque t'il pas pour le marché européen une Bonneville T120 "R" plus dynamique, avec des suspensions et des freins performants, quelques kilos en moins et surtout le bloc de 97 ch de la Thruxton ...
22-01-2018 22:01Votre suggestion est intéressante et c'est sur qu'une T120 R aurait de l'intérêt (et un tel modèle a existé dans les années 60). On fait suivre à Triumph, sait-on jamais !
22-01-2018 23:03Philippe