Essai South Bay Triumph Street Tracker
Bonnie survitaminée
Bicylindre Triumph modifié de 988 cm3, 106 ch, 159 kg à sec
Aucune autre moto n'a été à l'origine de tant de variations au fil des ans que le bicylindre Triumph, depuis l'invention du concept de Café Racer durant les Swinging '60s via Dresda, Métisse et les autres préparateurs britanniques de motos, les victoires à la Daytona 200, les 24h de Montjuic et sur les courses du TT, à la foule de créations hotrod californiennes des années 60 et 70 à la fois pour la route et le hors piste, notamment pour les courses de flat track aux mains d'hommes comme Gary Nixon, Dick Hammer et Skip Van Leeuwen. Le twin parallèle de Triumph s'est révélé plus polyvalent que toute autre moto de l'époque classique et faisait son retour en 2000, 10 ans après la relance de la marque historique par John Bloor. Aujourd'hui, la Bonneville reste le modèle le plus vendu par Triumph avec plus de 180.000 exemplaires produits depuis la relance en 2000.
Et bien que Triumph ait lui-même livré une version plus sportive de sa Bonneville sous la forme de l'actuelle Thruxton 1200 R, il est curieux de constater que si peu de préparateurs dans le monde accordent aujourd'hui de l'importance à l'amélioration des performances de ces moteurs DOHC 8 soupapes à refroidissement air-huile qui avaient remplacé les OVH originaux. C'est ce qui a valu à Matt Capri de South Bay Triumph de se faire remarquer et pas seulement par sa concession de Long Beach en Californie. Il a été le meilleur distributeur Triumph des Etats-Unis. Pendant des décennies, le catalogue de modifications de Capri offrait aux propriétaires de Triumph un large éventail de pièces pour améliorer les performances de leurs modèles bicylindres. Désormais retiré de la vente, Capri continue de créer des Triumph sur mesure pour une poignée de clients en s'appuyant sur le moteur de Bonneville dont il est devenu un expert.
Découverte
Natif de New York, Capri s'est installé en Californie en 1973 pour devenir directeur des ventes de la côte ouest pour BMW. Il a construit la R90S Superbike avec laquelle Steve McLaughlin remporta pour la première fois Daytona en 1976. Puis il a fondé en 1980 Luftmeister, le département de préparation de BMW qui durant les 15 années suivantes établira de nombreux records de vitesse avec des boxers turbochargés par Capri et standard, tout comme des 4 cylindres de série K. En créant South Bay Triumph en 1995, Matt s'est rallié à la marque britannique au début de l'ère Bloor et fut un de ceux à ramener la marque aux Etats-Unis. Je suis fier de pouvoir dire que c'est grâce aux compétences de Matt que je suis actuellement détenteur de plusieurs records du monde de vitesse FIM sur les Triumph Bonneville de South Bay dans les catégories bicylindres 1000 cm3 à admission standard et forcée.
Un de ses clients a dûment commandé un Street Tracker complet, construit autour d'un cadre Flat Track de compétition que Capri a commandé et propulsé par un moteur Bonneville réglé au même niveau de performances que celui utilisé sur la Thruxton de mon record du monde, le tout complété par une peinture quelque peu flamboyante réalisée par l'atelier de Bob Cunningham à San Pedro avec un cadre repeint du même orange que celui d'une Dodge Charger. Cette moto ne pouvait venir que du sud de la Californie et j'ai eu l'opportunité de pouvoir l'essayer avant qu'elle ne soit livrée à son propriétaire (merci à lui également).
Le cadre léger à deux amortisseurs de la Street Tracker ne pèse que 14,5 kg avec le bras oscillant et est identique à celui utilisé par la West Coast Triumph AFT, l'équipe de course de l'American Flat Track pour laquelle Capri s'occupe des moteurs. Ce cadre berceau ouvert en tube d'acier CrMo 4130 utilise le lourd moteur de la Bonneville (pesant environ 100 kg) comme élément porteur, ce qui permet à la Tracker de ne peser que 159 kg avec l'huile, mais sans carburant dans le réservoir en aluminium de 10,2 litres.
De grosses économies de poids ont été réalisées grâce aux jantes en aluminium forgé Carrozzeria qui affichent à elles seules 9 kilos de moins que la paire d'origine montée sur la Bonneville. La roue avant de 18 pouces est associée à un simple disque Galfer de 310 mm pincé par un étrier radial Beringer Aerotec fixé à une fourche KYB de 41 mm reprise d'une Yamaha R6 de 2004. La géométrie affiche un angle de chasse de 26,5° et une traînée de 97 mm, la fourche est réglable en précharge et détente, tandis que seule la précharge est réglable sur les deux amortisseurs Öhlins, situés de part et d'autre de la roue Carrozzeria de 17" portant un disque EBC de 254 mm et un étrier Brembo à deux pistons.
Au-delà de la peinture clinquante, un autre pur produit de la scène custom californienne est la selle matelassée, couse à la main avec des surpiqûres oranges renvoyant au cadre. Le guidon courbé et les leviers de frein et d'embrayage réglables sont eux issus du catalogue Triumph Performance, tout comme le triple T et les rétroviseurs en bout de guidon. Cependant, ne le répétez pas, mais ce phare avant minimaliste provient d'une Harley-Davidson Sportster...
Pour concevoir ce bicylindre parallèle boosté à installer dans ce cadre minimaliste de street tracker, Matt Capri a acheté un moteur de Bonneville 2003 sur eBay et ajouté un vilebrequin rééquilibré et réalésé de 6,3 mm, en conservant le calage à 360° de l'époque. Les cylindres de série ont été alésés jusqu'à 92 mm, soit la valeur maximale supportée pour ne pas éclater les cylindres, une valeur qu'a découverte Matt à ses dépens lors de la deuxième année sur les Salt Flats. Ceci a porté le moteur original de 790 cm3 à 988 cm3 avec des dimensions de 92 x 74,3 mm contre les 86 x 68 mm d'origine.
Les bielles Carrillo en acier sont associées à des pistons Arias, équipés chacun d'axes personnalisés plus légers de 40% et décalés de manière à minimiser les frottements des pistons en contrant les effets des jupes ultra-courtes de ces derniers. Le moteur offre une compression de 11,5:1 (contre 9,2:1 pour le stock) bien qu'il fonctionne toujours sur une pompe à essence traditionnelle, tout en fournissant 106 cv à la roue arrière à 7.500 tr/min sur le même banc d'essai Dynojet qui enregistrait 61 ch pour le même moteur dans sa version stock. En effet, ça fait 75% de puissance en plus sur une moto 25% plus légère qu'une Bonnie de série, avec une hausse de couple équivalente puisque celui-ci passe de 64 Nm à 108 Nm à 4.200 tr/min. Ca fait beaucoup.
Cela a obligé Capri à relever la couronne de 17/42T pour une 19/38T, une modification qui nous avait permis d'enregistrer officiellement une vitesse de pointe de 246 km/h à Bonneville avec un moteur quasi identique. Pour exploiter cette substantielle augmentation de couple et de puissance, la boîte 5 rapports de série a été renforcée avec un embrayage multidisque Barnett en Kevlar et des ressorts plus rigides pour assurer plus de progressivité à l'accélération.
La clé à cette énorme augmentation des performances est la culasse modifiée du moteur huit soupapes que le préparateur Rick Kemp a travaillé. Le résultat est le passage des soupapes d'admission à 36,5 mm, soit 6 mm plus large que l'origine et d'échappement à 31 mm, soit 5 mm de plus. On retrouve également les arbres à cames high-lift propres à South Bay Triumph. Enfin, la culasse est ajustée sur les carters à l'aide d'un joint MSL à trois couches recouvert de caoutchouc pour empêcher tout risque de fuite avec cette compression plus élevée. Un refroidisseur d'huile suédois vient limiter les risques de surchauffe liés à toute cette puissance supplémentaire.
Deux carburateurs Keihin FCR Flatside de 41 mm remplacent les 36 mm d'origine. Equipés d'une paire de filtres K&N, ils s'associent avec la boîte à air de South Bay qui offre une respiration plus libre pour les régimes supplémentaires apportés par un boîtier d'allumage Triumph Performance remappé. Cela permet d'ajouter 2.000 tours supplémentaires par rapport aux 7.200 tr/minutes programmés dans l'ECU de série de la Bonneville. Pour finir, Capri a repris le système designé pour la Thruxton Cup avec son double échappement Lubricor sur la droite de la moto. Le résultat est une sonorité d'échappement musclée, sans être agressive.
En selle
En montant à bord de la Street Tracker on découvre que la selle minimaliste est malgré tout confortable, avec les repose-pieds positionnés assez bas, mais en retrait pour offrir une excellente position de conduite pour qui se doit être la Triumph ultime pour la route.
Cet outil idéal de roulage n'est pas une sorte d'über-maxi scooter, mais un Supertwin coupleux qui est aussi incroyablement facile à piloter en dépit de la considérable hausse de performance apportée par la préparation moteur. Pour y accéder, il suffit d'ouvrir le robinet de carburant, de laisser tomber le starter sous les 26°C du soleil californien et de mettre simplement quelques coups de gaz pour amorcer les gros carbus Keihin, de presser le bouton d'allumage et de se préparer à ce que la Triumph prenne vie et se cale sur un ralenti à 900 tr/min où l'on peut presque entendre chaque cylindre s'allumer individuellement. Passez la première et préparez-vous à une surprise, car le moteur s'assouplit à mesure que le régime augmente.
En ville
Grâce à son gabarit élancé, à un angle de braquage très ouvert qui transforme les demi-tours dans les rues étroites en jeu d'enfant et à une position relativement haute et droite offrant une vue imprenable sur les toits des voitures, la Street Tracker permet de se frayer un chemin idéal à travers les 70 banlieues qui nous séparent de la métropole de Los Angeles.
La Street Tracker est tout simplement idéale pour remonter les files de voitures qui attendent aux feux rouges ou se faufiler dans le trafic sur autoroute ou encore sillonner les collines qui surplombent l'océan Pacifique où ses changements d'angles rapides et sa maniabilité prennent tout leur sens.
La courbe de puissance est très linéaire et les accélérations punchy, avec le son profond des deux silencieux offrant l'accompagnement typique des Swingin' '60s qu'il faut avoir sur un twin britannique, pendant que la roue avant se soulève et survole la chaussée à chaque feu rouge qui se transforme irrésistiblement en GP. Les carburateurs offrent une réponse immédiate aussi bien au départ arrêté qu'en sortie de virage, mais le résultat est encore meilleur sur les moyens régimes, en particulier au niveau de la sonorité. C'est comme à l'époque, mais en bien plus puissant et bien plus coupleux. C'est un véritable hotrod classique du 21e siècle.
Sur routes
Le réglage est optimal alors que les vibrations restent minimes même lorsque l'on ouvre les gaz en grand en quête du rupteur à 9.200 tr/min accompagné par le son typique d'un twin britannique préparé et amplifié par ses deux mégaphones. Le moteur tourne librement avec une accélération parfaitement adaptée et immédiate, mais non saccadée. L'alimentation n'est en revanche pas tout à fait idéale dans les bas régimes et on peut constater un léger hoquet voire même des coupures de transmission lorsqu'on accélère fort sous les 3.500 tours/minutes. Peut-être que l'alimentation a encore besoin de réglages. C'est là que débutent les vraies performances, le moment pour le moteur Triumph d'envoyer du couple à mi-régime pour des accélérations impressionnantes alors que la roue avant se fait plus légère sur les deux rapports inférieurs pendant que le compteur numérique Acewell passe la barre de 7.500 tr/min.
Ce qui vous marque en premier, en dernier et tout le temps avec la Street Tracker, c'est le grognement sans effort de ce moteur, qui permet de changer rapidement de vitesse autour de 7.000 tr/min sur n'importe quel rapport pour vous permettre de profiter de sa courbe de couple ultra-plate. Il ne faut vraiment jouer de l'embrayage que pour monter depuis la première vitesse. Le reste du temps, on se retrouve avec le changement de vitesse le plus rapide, précis et propre dont je puisse me souvenir sur une Triumph Bonneville.
Bien que les changements de vitesses rapides semblent bons en termes d'optimisation de la puissance délivrée, le moteur très doux montre un sérieux appétit pour les hauts régimes, autour de 8.000 tours/minutes. La puissance à bas régime est musclée, mais à partir de 3.500/4.000 tr plus hauts lorsque la tonalité du silencieux se renforce, la Tracker décolle réellement et prend très rapidement de la vitesse. Tenez-vous fermement pour ne pas sentir le guidon trembler entre les mains alors que le couple délivre encore et encore, c'est juste après les 7.200 tr/min, là où le rupteur doit normalement faire son oeuvre.
Changez de vitesse à 8000 et vous revoilà dans la partie la plus haute de la courbe de puissance, accélérant encore plus fort. Cinq rapports dans la boîte de vitesses suffisent amplement à un moteur aussi puissant, surtout quand il est si facile d'accéder à ces tonnes de couple. Ce véritable flat-tracker de rue est à la fois pratique et amusant à piloter, bien que l'on manque d'effet de levier sur l'embrayage, le rétroviseur en bout de guidon vous empêchant de reculer davantage votre main.
Partie cycle
La seule chose qui demande vraiment à être revue sur la Street Tracker est le plus bas des deux échappements, situé justement trop bas et qui venait frotter le sol même avec des angles modérés. Un mois plus tard et après que je lui en ai fait la remarque, Matt Capri avait corrigé le tir et m'envoyait la photo du nouveau placement de la ligne. Je suppose que la garde au sol n'est pas un problème lorsque l'on glisse de l'arrière sur une piste en terre battue, mais la bonne adhérence des pneus Avon Storm invite ici à garder sa vitesse dans les courbes, ce qui m'a amené à limer copieusement l'échappement...
J'ai également constaté qu'il était assez facile de sortir de la zone d'adhérence du fin pneu arrière Avon de 170/60. Mais si cela arrive, il suffit de se servir du large guidon plat pour s'aider à revenir sur de bons rails. Ouf ! Après cette frayeur, j'ai appris ma leçon et j'ai piloté le Tracker en conséquence, freinant fort jusqu'au point de corde, puis redressant la moto pour ressortir rapidement.
Freinage
Le simple disque avant de 310 mm offre une puissance de freinage suffisante pour une moto aussi légère, même avec les performances accrues. Ca aide aussi pour conserver une direction précise et facile sans être gêné par le poids supplémentaire d'une configuration à deux disques. L'étrier Beringer à 6 pistons aide à fournir cette bonne puissance de freinage.
Conclusion
Disponible à l'époque à partir de 35.000 $ selon les spécifications, la Triumph Street Tracker de South Bay est un classique Hotrod californien doté d'un certain sérieux : c'est fin, souple, puissant, ça accélère, avec peu de concessions en matière de confort et restant fidèles à la tradition du Café Racer. C'est addictif à piloter, une machine comme celles d'hier, mais avec les optimisations de Matt Capri combinées à des suspensions et des freins modernes. Son propriétaire a vraiment de la chance...
Points forts
- Préparation du moteur
- Légèreté de la moto
- Freinage et suspensions
Points faibles
- Adhérence du pneu arrière sur l'angle
- Ligne d'échappement qui limite les prises d'angles
- Réponse à bas régime
Commentaires
On a aussi parfois la chance d'essayer des motos d'exception !
28-12-2019 19:45Je ne doute pas de la qualité du travail d'un point de vue mécanique, mais en ce qui concerne le look, c'est du vu et revu...
29-12-2019 09:06Néanmoins, l'article et les photos sont très sympas !
L'art de transformer une belle moto en laideron ...
30-12-2019 11:53