Permabécane, ou la moto éternelle

Est-ce que je pourrais fabriquer une moto éternelle ?

En permaculture comme en mécanique, il faut parfois se salir les mains

Quelques anarcho-quadrupèdes pensent qu'il serait bon d'apprendre à faire pousser nous-mêmes no radis. Cette philosophie peut-elle être étendue à la moto ? Est-ce que je pourrais fabriquer une moto éternelle ?

L'autre jour, nous fouillions dans la casse moto près de chez moi à la recherche d'un contacteur de béquille pour une DT-R 125 -la vraie, type 3RM, celle dont le moteur se débride bien plus facilement que les derniers modèles produits. Nous fouinions au rayon des merdouilles en plastique (parce qu'à 74,19 euros TTC en neuf, faut pas pousser) en bavardant de choses et d'autres. Bastien est un mordu d'horticulture et possède une petite parcelle en bordure de l'Ouche (c'est une rivière, pas une métaphore) où il cultive une grosse partie de ce qu'il mange. Régulièrement, il se pointe au Bouclard avec un plat cuisiné à partir de végétaux dont on entend souvent le nom pour la première fois. Ce matin, il m'entreprend à propos du micocoulier dont on peut croquer les feuilles et les fruits au goût de pomme caramélisée.

Je remballe ma remarque sarcastique sur le décalage entre ses paroles et le fait que nous sommes en train de tatouiller dans des boîtes noircies de cambouis à la recherche d'une pièce pour redonner vie à son deux-temps qui pue.

Puis ma sous-routine "Kronik à publier mardi et t'as encore rien écrit" se met en route. Ça serait quoi, une moto façon permaculture ? Non pas une machine qui s'entretiendrait elle-même, mais une bécane que je serais capable de réparer moi-même, quelle que soit la panne.

Je tombe presque sur la bonne pièce : un relais de clignotant. À deux euros près, c'est le même prix que le contacteur de béquille : ouch ! C'est vraiment de la meule de riche, les DT-R.

Il y a deux paramètres à ma petite énigme : la bécane elle-même et les compétences du quadrupède qui la grimpe. Comme en permaculture, je ne suis pas obligé de commencer sur un terrain raide pentu, où il pleut deux fois par an et juste à la sortie d'une mine de mercure ou de galène ‒rapport à la dose de métaux lourds dans la salade.

Je ne sais pas si tu te rappelles, mais dans le film sur Burt Monroe, celui-ci fond lui-même ses pistons avec de l'alu d'une provenance particulière (Chevrolet ? Ford ? Je ne me souviens plus). Je trouve fascinant ces personnes qui en deux coups de cuillère à pot te refont un plan de joint, te vérifient un jeu entre axes ou te tournent une bague pile à la cote, mettant une fin abrupte à un problème pour moi insoluble.

Parfois ‒rarement‒ c'est moi qui tiens ce rôle, comme avec le remontage de la Bleue de mon voisin du dessus (plus à ce sujet à la fin de cette vidéo, sponsorisée par Nord Shadow Legends). Il galérait pour renfiler le piston dans le cylindre et est venu sonner chez moi dimanche dernier. Sans me vanter, j'ai tâtonné deux minutes, gêné par la dose d'huile moteur dont il avait enduit l'ensemble et cloc ! le piston s'est sagement engagé où il fallait. Ce n'est qu'après avoir achevé de serrer la culasse que je lui ai demandé :

‒ Tu as bien vérifié le jeu à la coupe de tes segments, hein ?

Ce à quoi il m'a bien évidemment répondu, en toute innocence :

‒ Jeu à la quoi ?

La permaculture appliquée aux motos, donc, avec la capacité de faire soi-même ses pièces, rebobiner soi-même son allumage, refaire soi-même une section de cadre.

Où est la limite ? Avec un tour et un poste à souder, déjà, on fait beaucoup de choses. Pour les pièces d'habillage, je compte sur ces vidéos passionnantes sur le formage de garde-boue ou de flancs de carénage à la masse et par roulage à froid. Je ne savais même pas que c'était possible d'obtenir un tel rendu.

Bizarrement, je ne crois pas à l'impression plastique 3D. Je trouve le rendu grossier et les seules compétences déployées sont liées à l'emploi d'un logiciel de CAO. Bof.

‒ Alors ? Tu trouves ?

Bastien me tire de ma rêverie. Je suis resté figé, mon relais de clignotant inutile à la main, à envisager ce que je pourrais faire avec un atelier bien à moi, garni de plusieurs machines patinées par l'âge, de deux ponts ‒toujours travailler sur deux engins en même temps pour ne pas perdre de temps quand les pièces moulées refroidissent‒ et d'un poêle à bois pour tenir la cafetière au chaud.

En même temps, je me connais : si j'avais un tel atelier, je n'y ferais probablement rien de fantastique. Je n'ai pas la fibre du mécanicien qui bidouille sans cesse. Je vais au Bouclard pour l'ambiance, pas pour le cambouis.

En permaculture comme en mécanique, il faut parfois se salir les mains et je n'aime pas trop ça. Non, décidément, je retrouve mon côté nomade : je vais de moto en moto comme je vais de cerisier en prunier en me cassant la tête un minimum. Vidange-filtre-plaquettes-chaîne, c'est déjà bien. Burt Munro est un héros, pas un modèle, tout comme Bill Mollison.

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