Kronik : Le salut motard®

Cette pierre d'angle de la culture moto

Car figure-toi que depuis toutes ces années, je n'ai pas écrit une ligne sur cette pierre d'angle de la culture moto. Bouge pô, j'arrive...

En bonne minorité qui se respecte, les motards se font coucou. C'est l'un des réflexes caractéristiques des minorités -forcément opprimées : il faut à tout prix qu'elles se distinguent de la masse. D'où le coucou, l'uniforme, le vocabulaire, les blagues sur les Zèdmil' etc. Mais attention ! On ne fait pas coucou à n'importe qui. Nan nan nan... On fait pas coucou aux cyclos, par exemple. Beurk. Et aux 125 non plus -si tenté qu'il est possible de distinguer une 125 d'autre chose vue l'enflure des gabarits ces dernières années. On fait pas non plus coucou aux béhèmistes, parce que les béhèmistes ne font pas coucou... sauf ceux qui font coucou. On ne fait pas coucou aux scooters, parce que les scoutères, c'est le mal. Enfin, on ne fait pas coucou aux flics ou aux bricards, parce qu'il ne faut pas donner de faux espoirs au petit personnel -c'est nous leurs patrons, après tout.

Donc voilà. On fait coucou, mais pas à n'importe qui. D'où la nécessité d'opérer une identification-éclair de celui qui vient d'en face selon quelques critères de base qui malheureusement n'ont rien d'absolu. Un phare bas ? C'est probablement un scoobite (ou une Zèdmil'). Un phare faiblard aussi : c'est sans doute un cyclo -mais ptète aussi une Koehler-Escoffier en maraude. Un petit phare ? Ah... c'est délicat... ça peut être le lenticulaire d'une Ducati époque Terblanche, mais ça peut aussi être celui d'un cyclo « haut de gamme ». Le motard sont en fait deux et déboulent pleine balle sur la ligne médiane ? C'est de la bleusaille. Il est sapé tout en cuir noir sur une béhème bardée de bagages ? Gaffe, c'est ptète un Teuton -ou pire, un danois en repérage pour se faire la 2e manche de novembre 885. Même de face tu arrives à voir sa plaque d'immatriculation ? C'est un Rozbif et depuis le 23 juin (2016) la chasse est ouverte : y'en a marre de voir des immigrés venir user le beau bitume de nos départementales bucoliques.

Maintenant que l'on a cerné le qui, reste l'épineuse question du comment. Comment fait-on coucou à un motard ? Car le geste importe. Selon que le motard croisé semble être important ou pas, on prendra soin de mettre plus ou moins d'emphase dans le déroulé du poignet ou de l'avant-bras. S'il s'agit manifestement d'une plus petite cylindrée, il convient de ne se déplacer que le moins possible. Une simple extension de la main vers le haut sans vraiment quitter l'appui du guidon est appropriée. Face à un égal, tendre l'avant bras selon un angle d'environ 45 degrés par rapport à l'horizontale, le nombre de doigts tendus restant à la discrétion du pilote : un seul pour un salut nonchalant, deux pour former le « v » traditionnel pour les orthodoxes, trois pour les possesseurs de trois cylindres. Face à une machine d'exception (Münch, vraie Norton/Triumph, moto d'avant-guerre, deux-temps façon RD/TZ/RG/NS), saluer avec enthousiasme, pouce levé, en secouant le poing plusieurs fois : même en motardie, la hiérarchie n'est pas un sujet qui prête à rire.

Comme toutes les règles, il existe des exceptions et des cas particuliers. Si le saluant roule nettement au-dessus de la vitesse recommandée par les autorités, il peut préférer sortir le pied plutôt que de lâcher le guidon : comme il se déplace bien plus vite que le le salué, il a préséance, même s'il croise une machine d'exception. En cas de dépassement dans le même sens de circulation, procéder de même mais avec le pied droit. Sur un gros custom américain, lâcher une main du guidon est une opération délicate pour la cervelle du propriétaire, malmenée par le barouf infâme de son motoculteur à trente patates : ne pas tenter l'opération autrement qu'à l'arrêt et béquille déployée. Pareil pour les bécanes d'enduro qui sortent d'un chemin de terre : les pneus à tétines sont éminemment casse-gueule sur le bitume. Enfin, il reste le cas particulier du Solex, seule traction avant de Motardie : traiter avec respect et déférence, un peu comme un homo habilis croisé inopinément au détour d'un chemin.

Plus d'infos sur les kroniks

• Toutes les Kroniks